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Livre: Traces Du Genocide Armenien

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    TRACES DU GENOCIDE ARMENIEN

    Le Monde, France
    30 mai 2013

    LE MONDE DES LIVRES | 30.05.2013 a 14h56
    Par Jean-Louis Jeannelle

    "L'humanite ne peut plus vivre avec, dans sa cave, le cadavre d'un
    peuple assassine." Cette phrase, par laquelle Jaurès denoncait le
    massacre d'Armeniens dans l'Empire ottoman, fut prononcee en 1897,
    soit dix-huit ans avant l'extermination de près d'un million et demi
    d'Armeniens survenue entre avril 1915 et juillet 1916.

    A l'heure actuelle, si ce genocide armenien a ete reconnu par la
    France en 2001, la loi ne punit toujours pas sa negation (en depit
    d'un projet de loi en 2011). Parce que nous manquons de preuves
    ? Non : a ceux qui s'interrogent sur les faits, Le Genocide des
    Armeniens (Odile Jacob, 2006), de Raymond Kevorkian, ou Un acte
    honteux. Le genocide armenien et la question de la responsabilite
    turque (Denoël, 2008, reed. "Folio", 2012) de Taner Akcam (l'un des
    premiers universitaires turcs a reconnaître le genocide) apportent
    toutes les reponses necessaires.

    EN DECÀ OU AU-DELÀ

    Les deux ouvrages qui paraissent aujourd'hui ne visent pas a prouver
    quoi que ce soit ; ils se situent en deca ou au-dela des faits
    survenus. La parole du temoin precède, en effet, toute recherche
    historique. La publication de L'Agonie d'un peuple est exceptionnelle
    a plus d'un egard : paru en 1917 dans un journal armenien, ce recit,
    qui n'est autre que le premier long temoignage d'un rescape, n'avait
    jamais ete traduit.

    Qui en est l'auteur ? S'agit-il d'Hayg Toroyan, Armenien originaire
    d'Alep qui parvint a survivre en se faisant passer pour un Arabe
    chretien grâce a l'aide d'un officier allemand (alors que celui-ci
    etait officiellement allie des Turcs) et qui fut le spectateur terrifie
    d'innombrables massacres durant l'annee 1915 ? Ou de Zabel Essayan,
    grande figure de la litterature armenienne, qui tira des souvenirs
    de Toroyan un texte qu'elle signa de son nom ? Cette question est au
    coeur de ce que le traducteur et auteur de la postface, Marc Nichanian,
    nomme le "dilemme du temoin", a savoir cet ecart entre le sujet de
    l'experience et le sujet du recit.

    Les paradoxes s'accumulent : L'Agonie d'un peuple visait a denoncer
    le crime du gouvernement Jeunes-Turcs ; pourtant, il fut redige en
    armenien - ecrire dans la langue du survivant ou s'adresser a la
    conscience universelle, il lui fallut choisir.

    Mais le plus etonnant tient peut-etre a l'ecart entre l'horreur
    des scènes decrites et la reaction d'Hayg Toroyan : c'est lui qui
    dut prendre soin de l'officier allemand, habite par la volonte de
    "temoigner après la guerre de tous ces actes barbares", mais peu a
    peu gagne par la folie - cet officier finira d'ailleurs par se pendre
    afin d'echapper au cauchemar !

    POLITIQUE D'AMNESIE

    Si le temoignage est une parole incarnee se deployant dans le
    sillage immediat de l'extermination, bien avant qu'interviennent
    les historiens, la passionnante enquete menee par Laure Marchand et
    Guillaume Perrier (qui ecrivent sur la Turquie, la première pour
    Le Figaro, le second pour Le Monde) porte sur les repercussions
    contemporaines de l'evenement. La Turquie et le fantôme armenien
    s'ouvre sur une rencontre avec la communaute d'exiles installes a
    Marseille et s'achève par le portrait de quelques Justes turcs ayant
    sauve la vie d'Armeniens.

    Entre les deux se deploie un etonnant tableau de toutes les manières
    dont traumatisme, negationnisme d'Etat, et lutte pour preserver
    la memoire se melent aujourd'hui en Turquie. D'un côte, l'amnesie
    collective longtemps imposee a la societe turque, où l'evocation du
    genocide restait impensable, au point que certains des tortionnaires
    ont ete eleves au rang de heros nationaux, que la plupart des citoyens
    ignorent l'ampleur des spoliations, et que l'on n'a pas hesite a
    elever le memorial d'Igdir pour commemorer "le genocide des Turcs
    par les Armeniens"...

    De l'autre, des figures aussi etonnantes qu'Armen Aroyan, ancien
    ingenieur vivant en Californie qui a choisi de redecouvrir ses
    racines en Turquie, et organise depuis une vingtaine d'annees des
    circuits sur mesure pour les descendants de rescapes. Mais aussi
    Hasan Cemal, journaliste très connu en Turquie, qui comprit assez
    tard que son grand-père, Djemal Pacha (l'un des trois pachas du
    triumvirat Jeunes-Turcs a la tete de l'Empire ottoman pendant la
    première guerre mondiale) etait l'un des responsables du genocide,
    et qui a publie un ouvrage sur 1915.

    L'Etat turc voit arriver avec inquietude la celebration du centenaire
    du genocide, en 2015. Mais l'espoir subsiste : la presence de 100
    000 Turcs scandant : "Nous sommes tous des Armeniens", le 23 janvier
    2007, derrière le cercueil du journaliste Hrant Dink, assassine par un
    nationaliste turc, etait un signe. Peut-etre la societe saura-t-elle
    secouer cette politique d'amnesie sur laquelle continue a reposer sa
    vie culturelle et politique.

    http://www.lemonde.fr/livres/article/2013/05/30/traces-du-genocide-armenien_3421002_3260.html

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