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CINÉMA Dans «Vodka Lemon», le réalisateur Saleem évoque les Kurdes

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  • CINÉMA Dans «Vodka Lemon», le réalisateur Saleem évoque les Kurdes

    Le Figaro, France
    31 Mars 2004

    CINÉMA Dans «Vodka Lemon», le réalisateur Hiner Saleem évoque son
    peuple, les Kurdes
    Humour et survie de l'espèce

    Emmanuèle Frois

    Il a l'humour du désespoir. Et le coeur qui balance entre tragédie et
    comédie. Hiner Saleem est un magicien poète qui arrive à nous faire
    sourire, même au fond du gouffre. Les premières images de Vodka Lemon
    donnent le ton. Un lit en ferraille glisse à toute vitesse sur la
    neige. Un vieil homme y est allongé, enveloppé dans des draps. Le lit
    s'arrête brutalement devant une tombe. On tend un verre au vieil
    homme. Il y met son dentier. Et il commence à jouer de la flûte.
    Divinement. C'est dans les immensités glacées d'un village kurde
    d'Arménie, qu'Hiner Saleem a trouvé l'inspiration.


    «Il suffit d'observer les gens, dit-il. J'ai vu là-bas des choses
    surréalistes, absurdes. Au marché par exemple, on vend tout et
    n'importe quoi : une chaussure ou des piles usées, des instruments
    médicaux rouillés, des vestiges de l'ère soviétique. Je ne comprends
    pas comment ce peuple arrive à vivre dans un tel dénuement. Et
    pourtant, il reste optimiste malgré tout.»


    Hiner Saleem a trouvé là-bas en Arménie des paysages qui ressemblent
    à sa terre natale, le Kurdistan. «Je suis kurde. Kurde de l'enfer de
    Saddam Hussein. Le plus beau jour de ma vie a été le 9 avril 2003, le
    jour de la chute du régime de Saddam.» Dans son émouvant récit, Le
    Fusil de mon père (Seuil), il raconte son enfance, le goût de la
    pulpe des grenades qui va bientôt se mêler à l'odeur de la poudre,
    les persécutions - «j'ai découvert la barbarie» -, et sa fuite à 17
    ans avec, pour seul bagage, «le costume kurde, la cassette de musique
    kurde et le livre de poésie kurde». En fait, il y a une mélodie
    mélancolique qui ne l'a jamais quitté : «Plus le temps passe, plus
    les battements de mon coeur ralentissent, ma bien-aimée...» Et de
    citer une phrase de son grand-père qu'il n'a jamais oublié : «Notre
    passé est triste, notre présent est catastrophique, mais heureusement
    nous n'avons pas d'avenir.»


    Dans son livre, Hiner Saleem raconte l'histoire des siens et de son
    peuple. «Mon grand-père avait beaucoup d'humour. Il disait qu'il
    était né kurde, sur une terre libre. Puis les Ottomans sont arrivés
    et ils ont dit à mon grand-père : Tu es ottoman... A la chute de
    l'Empire ottoman, il est devenu turc. Les Turcs sont partis, il est
    redevenu kurde dans le royaume de Cheikh Mahmoud, le roi des Kurdes.
    Puis les Anglais sont arrivés, alors mon grand-père est devenu sujet
    de Sa Gracieuse Majesté... Les Anglais ont inventé l'Irak, mon
    grand-père est devenu irakien, mais il n'a jamais compris l'énigme de
    ce nouveau nom : Irak, et jusqu'à son dernier souffle, il n'a jamais
    été fier d'être irakien ; son fils, mon père, Shero Selim Malay, non
    plus.»


    Gamin, Hiner Saleem n'avait pas de rêve de cinéma, mais celui «de
    libérer le Kurdistan. Nous vivions la plupart du temps cachés dans
    des grottes. Le soir, à la lueur d'une lampe à pétrole, mon père nous
    lisait des classiques de la littérature kurde comme Mem Zin,
    l'équivalent de votre Roméo et Juliette. Je ne l'écoutais pas
    jusqu'au jour où il a apporté un livre de poésie illustrée. C'était
    la première fois que je voyais de la peinture. Une révélation. Comme
    si j'avais découvert l'existence de Dieu. Boule versant. L'autre choc
    c'est la télé à huit ans. J'ai vu des films de Bollywood. Et un soir,
    un film avec un homme grand et maigre qui portait un bonnet. Il m'a
    terrorisé, il parlait une langue inconnue. Quinze ans après, j'ai
    découvert qu'il s'agissait du commandant Cousteau !»


    Hiner Saleem dit enfin qu'il n'a pas «de monde idéal à proposer
    puisque je ne le connais pas». Mais dans son Vodka Lemon, bien arrosé
    de rire et de larmes, il fait le portrait d'hommes et de fem mes
    remplis de dignité. «Je crois à la théorie de l'évolution de Darwin.
    L'humour est indis pensable à la survie de notre espèce, nous les
    Kurdes.»
Working...
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