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Ce genocide armenien qui hante encore les esprits turcs...

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  • Ce genocide armenien qui hante encore les esprits turcs...

    Le Figaro, France
    20 janvier 2007

    Ce génocide arménien qui hante encore les esprits turcs un siècle
    plus tard

    THIERRY OBERLÉ


    LA RÉSURGENCE d'un nationalisme turc virulent vient de prendre une
    tournure tragique, avec l'assassinat de Hrant Dink. Préoccupant, le
    phénomène s'était traduit l'an dernier par plusieurs agressions
    contre des religieux chrétiens, des tentatives de lynchage de Kurdes
    et le meurtre d'un prêtre catholique à Trabzon, lors de l'affaire des
    caricatures de Mahomet. Face à ce phénomène, les magistrats, garants
    des dogmes de l'État turc, paraissaient souvent plus prompts à
    poursuivre des intellectuels pour des délits d'opinion, telles des
    allusions au génocide arménien de 1915 ou des insultes supposées à
    l'identité turque, qu'à condamner les auteurs de violences contre les
    minorités. Les écrivains et les universitaires qui cherchent à ouvrir
    le débat sur l'épisode le plus sombre de la fin de l'Empire ottoman
    se sont ainsi heurtés autant aux réticences des autorités, qu'à
    l'hostilité des mouvements nationalistes. Ces crispations ne les
    avaient pourtant pas empêchés d'ouvrir un débat sur une question
    jusque-là occultée. En septembre2005, un colloque inédit s'était tenu
    à Istanbul malgré des pressions et des menaces à l'origine de
    plusieurs reports. Bravant les interdits, les chercheurs avaient osé
    ouvrir une brèche dans le mur des vérités officielles en proposant
    des analyses contradictoires sur le sujet. Les nationalistes, de
    droite et de gauche, avaient riposté en leur lançant des oeufs. Ce
    n'était qu'un début. Enhardis par le rapprochement entre Ankara et
    l'Europe, quelques esprits éclairés tentent depuis de faire sauter le
    tabou arménien. Il y a parmi eux des figures emblématiques comme le
    Prix Nobel de littérature, Orhan Pamuk, mais aussi des historiens et
    des journalistes soucieux de regarder la réalité en face. Réputé pour
    son indépendance, le journal Bügûn estime, par exemple, que seule une
    introspection sans complaisance permettra à la Turquie de sortir du
    cauchemar arménien. « Ne serait-il pas plus sain de crever maintenant
    l'abcès? », s'interrogeait en novembre le quotidien. Les extrémistes
    ont apporté hier leur réponse. L'héritage d'Atatürk
    Ultramajoritaires, les tenants du dogme récusent le terme de
    génocide. Selon eux, 300000 Arméniens - et non pas 1,5million sur une
    population de 2millions de personnes comme l'affirment les Arméniens
    - ont péri dans la répression d'un soulèvement organisé avec le
    soutien des Russes. La plupart des victimes seraient mortes de
    maladie et de faim, ou d'actes de brigandage, lors de l'exode des
    populations civiles. Il n'y a donc eu ni ordre, ni programme
    d'extermination: critères d'un génocide. Et le nombre de tués doit
    être comparé avec les 400000 soldats turcs tombés au champ d'honneur
    durant la Première Guerre mondiale. Couverts d'honneurs, une partie
    des responsables des tueries fut à l'origine de la création de la
    Turquie contemporaine aux côtés de Mustafa Kemal. Cette lecture de
    l'histoire est inculquée dès le plus jeune ge à l'école dans le
    cadre d'un système hérité d'Atatürk qui privilégie l'acquis de
    connaissances sans chercher à développer l'esprit critique. Elle
    conduit l'immense majorité des Turcs à assimiler toute remise en
    cause à une trahison. Et peut pousser des illuminés au meurtre. Un
    rôle de modérateur Souvent critiqué pour son « aveuglement » dans les
    pays occidentaux, Ankara rétorque que le pays est prêt à ouvrir ses
    archives et à réunir des commissions d'historiens turcs et arméniens.
    Mais les relations entre la Turquie et l'Arménie restent gelées. Plus
    flexible que les représentants de l'État kémalisme, le gouvernement
    de Recep Tayyip Erdogan joue la carte d'une ouverture prudente. Mais
    son souci de coller à une opinion publique lasse des difficultés
    rencontrées dans les négociations d'adhésion avec l'Union européenne
    le pousse sur la voie du repli identitaire. Connu pour sa modération,
    Hrant Blink s'était toujours déclaré favorable à l'Europe sachant
    qu'un tel ancrage serait la meilleure protection pour l'avenir des
    minorités. Conscient que chaque nouvelle crise arménienne relançait
    les convulsions nationalistes, il s'efforçait de calmer le jeu et
    appelait ses interlocuteurs et détracteurs à la sagesse et à la
    réflexion. Son assassinat en plein coeur d'Istanbul vise à briser ce
    rôle de passerelle. Plus de quatre-vingt-dix ans après le génocide
    arménien, la Turquie n'a toujours pas vaincu ses vieux démons.
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