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Génocide arménien

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  • Génocide arménien

    Causeur, France
    23 dec 2011

    Génocide arménien
    L'histoire : première victime de la loi

    Publié le 23 décembre 2011 Ã 9:00 dans Politique

    L'Assemblée nationale a voté, hier, la proposition de loi de Valérie
    Boyer visant `Ã réprimer la contestation de l'existence des génocides
    reconnus par la loi'. La présidence de l'Assemblée avait enregistré le
    texte sous un intitulé un peu différent le 18 octobre dernier,
    puisqu'il s'agissait alors de porter `transposition du droit
    communautaire sur la lutte contre le racisme' et de réprimer `la
    contestation de l'existence du génocide arménien'. Entre temps,
    l'Europe et l'Arménie ont disparu de la carte. Reste un texte qui
    modifie la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et
    instaure des sanctions applicables `Ã ceux qui ont contesté ou
    minimisé de façon outrancière l'existence d'un ou plusieurs crimes de
    génocide défini à l'article 211-1 du code pénal et reconnus comme tels
    par la loi française'.

    Que s'est-il passé en deux mois pour que l'intitulé du texte soit à ce
    point édulcoré ? Les commissions ont fait leur Å`uvre, les amendements
    aussi. Le législateur ne s'abrite plus derrière l'Europe et la
    décision-cadre sur le racisme adoptée le 28 novembre 2008 par le
    Conseil européen : il y va solo. Comme il ne veut pas fâcher Ankara `
    c'est plutôt raté `, il choisit de ne faire aucune allusion au
    génocide arménien et étend la portée du texte `Ã tous les génocides',
    comme les commentateurs se plaisent à le répéter depuis hier. Tous les
    génocides ? Faisons le compte : la France ne reconnaît spécifiquement
    aux termes de la loi que deux seuls génocides : le juif et l'arménien.
    La loi Gayssot réprime, depuis 1990, les négationnistes du génocide
    juif. Les autres génocides que la justice internationale considère
    comme tels (Rwanda, ex-Yougoslavie) ne sont absolument pas visés ici.
    Il ne reste donc plus qu'un génocide concerné, et il est arménien.

    Les quatre mille personnes qui ont manifesté devant l'Assemblée
    nationale à l'appel de la Fédération des Turcs de France, alors que
    les députés discutaient le texte, ne s'y sont pas trompées. Et c'est
    Hervé de Charette qui a certainement le mieux résumé la teneur
    essentielle de l'enjeu en déclarant aux abords de l'hémicycle que
    c'était un `débat indécent' et qu'il ne s'agissait ici que de
    `démagogie pré-électorale'. En gros, selon l'ancien ministre des
    Affaires étrangères, l'objectif était de se partager les 300 000 voix
    de ce que certains appellent la `communauté arménienne'. Comme le
    texte a été voté sur tous les bancs de l'Assemblée nationale, on
    appréciera l'habileté de la manÅ`uvre : les Français d'origine
    arménienne penchant à gauche continueront à voter à gauche et ceux de
    droite à droite. �a, c'est de la grande politique !

    Rien ne changera donc. Il y aura bien des conséquences. La première,
    c'est que Paris vient de refroidir ses relations diplomatiques avec
    Ankara. J'hésite, d'ailleurs, Ã écrire `refroidir', puisque c'est
    l'inverse qui se produit exactement : ça chauffe un peu. L'ambassadeur
    turc en France a fait ses valises. Les ports turcs sont interdits Ã
    nos navires. Et le Premier ministre Erdogan a dit songer à une série
    de représailles qu'en politicien prévoyant il ne mettra évidemment pas
    en Å`uvre. Pour satisfaire son opinion publique, il n'ira peut-être
    pas, cette année, faire ses courses de réveillon au Carrouf
    d'Eskisehir. Puis tout reprendra son cours.

    Seconde conséquence : la France est devenue, par la grâce de nos
    députés, un théâtre d'affrontement idéologique sur des affaires qui ne
    nous concernent pas. Si l'appareil d'Ã?tat a une responsabilité
    certaine dans la réalisation du génocide juif, le génocide arménien ne
    nous regarde aucunement. Enfin, ce n'est pas tout à fait exact. Nous
    avons été le seul pays au monde à tendre, au moment où il le fallait,
    une main secourable aux Arméniens victimes des exactions turques.
    C'était en septembre 1915. Les vice-amiraux de la 3e escadre
    française, Dartige du Fournet et Darrieus, ordonnèrent de bombarder
    les positions turques afin de procéder à l'évacuation de plus de
    quatre mille Arméniens de la région du Musa Dagh. Cela reste le tout
    premier exemple, dans l'histoire moderne, d'une action militaire
    humanitaire comme de l'utilisation de l'armée comme force
    d'interposition.

    Ce qu'un �tat digne de ce nom devrait faire, ce n'est pas reconnaître
    le génocide arménien, comme le Parlement l'a fait en 2001, ni prévoir
    des sanctions pour ceux qui en nient l'existence, comme nous sommes en
    train de le faire, mais élever une statue à Louis Auguste Dartige du
    Fournet et à Gabriel Darrieus, et inscrire, pour ce qu'ils ont fait,
    leur nom dans le marbre. Seulement, nous ne voulons plus de héros ni
    d'hommes d'honneur. Nous ne voulons plus leur accorder aucune place
    dans notre histoire nationale. Ã eux, nous promettons l'oubli, puisque
    nous avons choisi pour notre pays le parti éperdu de la commisération.
    Il nous faut des victimes, en grosse quantité ; nous avons de grosses
    larmes à verser. Nous n'en produisons pas assez chez nous ? Allons en
    chercher ailleurs, et même dans le passé. Gare à celui qui ne veut pas
    pleurer avec nous, nous qui sommes devenus un peuple de pleureurs, il
    comparaîtra devant nos tribunaux !

    Ã?videmment que le génocide arménien a été perpétré par la Turquie :
    pendant un peu plus d'un an, ce furent massacres en nombre et
    déportation pour les Arméniens d'Anatolie. Les trois quarts d'entre
    eux furent exterminés par les Jeunes Turcs, au cours d'un processus
    qui avait été planifié. Ce ne fut pas une tuerie par erreur ou par
    distraction. Tous les historiens s'accordent sur cette question.
    Certains d'entre eux, comme Bernard Lewis, professeur émérite Ã
    Princeton et spécialiste de la Turquie et du monde musulman, ont pu
    porter des interrogations sur tel ou tel aspect, mais jamais ils n'ont
    remis en cause le million et demi de morts arméniens. Lewis a tenté de
    replacer, par exemple, la question de la déportation dans la logique
    ottomane de `transfert de population' ` démontrant ainsi que la
    rupture opérée par les Jeunes Turcs avec l'Empire ottoman n'était que
    superficielle et qu'au fond ils héritaient d'une `tradition' qu'ils
    faisaient prospérer. Il a également, comme tout historien qui se
    respecte, essayé de regarder dans quelle mesure on pouvait qualifier
    les tueries de 1915 et de 1916 de génocidaires, interrogeant notamment
    l'intentionnalité des Jeunes Turcs, qui n'étaient franchement pas très
    regardants sur l'origine de ceux qu'ils assassinaient¦ Ces braves
    hommes étaient des sanguinaires à peu près universels.

    Est-ce un crime, pour un historien, de se demander si un génocide est
    bien un génocide ? Cela n'enlève rien aux victimes. Cela ne remet en
    cause ni leur douleur ni leur calvaire. C'est juste une petite
    question de vérité historique.

    Si l'on s'en tient aujourd'hui à la loi qui vient d'être votée Ã
    l'Assemblée nationale en première lecture, Bernard Lewis, suspecté par
    certains de négationnisme, ne pourrait pas être inquiété. Pourquoi ?
    Le professeur Lewis est un garçon mesuré et pondéré ` un garçon de 95
    ans l'est en règle générale. Or, la loi vise uniquement ceux qui ont
    `contesté ou minimisé de façon outrancière' un génocide. Vous avez
    bien lu ? Si vous contestez la réalité du génocide arménien d'une
    manière mesurée, l'air de rien, un tantinet détaché et absent, vous
    n'encourrez pas les foudres de la loi.

    Tout ce débat, comme l'a dit Hervé de Charette, ne vaut rien. Enfin
    si, il vaut quelque chose. Ce que le Parlement est en train de faire,
    c'est de jeter le discrédit sur l'existence même du génocide arménien.
    Nous avions commencé en 2001 ` nous persistons aujourd'hui en
    l'accompagnant d'un arsenal répressif ` avec le vote d'une loi
    stupéfiante de stupidité, comme l'est la plupart des lois à article
    unique1 : `La France reconnaît publiquement le génocide arménien de
    1915. La présente loi sera exécutée comme loi de l'Ã?tat.' Lorsque l'on
    érige, par la loi, une vérité historique en vérité officielle, c'est
    l'histoire que l'on dessert et c'est la réalité-même de l'événement
    que l'on affaiblit considérablement.

    Les événements n'ont pas besoin de loi pour exister. Ils sont ou ne
    sont pas. Les historiens élucident, par leurs travaux et leurs
    recherches, les conditions dans lesquelles ils se sont produits. Quant
    aux Ã?tats, ils rendent des hommages, élèvent des monuments et
    procèdent à des commémorations. Mais leur rôle n'est pas de dire
    l'histoire ni de voter des lois reconnaissant tel événement
    historique. Et pourquoi celui-ci plutôt qu'un autre ? Qu'attend-on
    pour légiférer sur le génocide rwandais ? ou sur le massacre de
    Srebrenica ?

    Ah, mais c'est qu'il y avait urgence, comme l'a affirmé hier Patrick
    Devedjian au micro de BFM-TV : il fallait mettre un terme Ã
    l'offensive des négationnistes du génocide arménien dont la vague,
    paraît-il, est en train de submerger le pays. J'avais bien vu la crise
    économique, les difficultés de notre système scolaire et deux ou trois
    autres légers petits problèmes dont la France est aujourd'hui
    affectée. Mais je n'avais pas remarqué qu'Ã chaque coin de rue le pays
    en était à nier en masse le génocide de 1915¦ Cela m'avait échappé.
    Pardon.

    Le pire, avec les lois `mémorielles', ce n'est pas leur stupidité
    intrinsèque ni qu'elles desservent l'histoire, elles sont, de
    surcroît, d'une inefficacité totale. Et c'est la plus grande faute
    politique qu'un parlementaire puisse commettre : voter une loi qui ne
    sert à rien. Circonstances aggravantes : le président de l'Assemblée
    nationale, Bernard Accoyer, avait réuni en novembre 2008 une mission
    d'information sur les questions mémorielles. Un travail remarquable
    avait alors été accompli. Le rapport d'information pointait sévèrement
    les risques contenus dans les lois mémorielles : risques
    d'inconstitutionnalité, d'atteinte à la liberté d'opinion et
    d'expression, d'atteinte à la liberté des enseignants et des
    chercheurs, de remise en cause des fondements mêmes de la discipline
    historique, de fragilisation de la société française et une source
    possible d'embarras diplomatique. Et les parlementaires concluaient
    sagement la mission en rappelant que `le rôle du Parlement n'est pas
    d'adopter des lois qualifiant ou portant une appréciation sur des
    faits historiques, a fortiori lorsque celles-ci s'accompagnent de
    sanctions pénales'. Trois ans plus tard, ils ont tout oublié de leurs
    bonnes résolutions : quelle mémoire !

    L'inanité des lois `mémorielles' n'est plus à démontrer. Il n'a pas
    fallu attendre la fadaise qu'est la loi Gayssot pour voir Robert
    Faurisson condamné en France par un tribunal. Depuis 1972, les
    magistrats disposent de la loi Pleven : elle leur laisse toute
    latitude pour condamner, au nom de la haine raciale, un négationniste.
    Si l'on écoute Robert Badinter, qui fut président du Conseil
    constitutionnel et qui n'est pas le moindre de nos juristes, ces lois
    dites `mémorielles' ne sont en réalité que des lois
    `compassionnelles'. Entendez par là qu'un jour on veut se rallier Ã
    soi l'électorat feuj, le jour d'après l'électorat arménien. Et demain,
    ce sera quoi ? Une loi spécifique reconnaissant le génocide des
    Assyriens d'Irak en 1933 ? Dieu soit loué : le lobby assyrien ne pèse
    pas bésef dans le corps électoral français. On l'a échappé belle !

    Sérieusement, la France n'a rien à voir avec le génocide arménien.
    L'armée française a juste été, quand il le fallait et là où il le
    fallait, assez exemplaire. Pourquoi alors voter une loi ? Parce que
    nous nous sommes subitement découverts une conscience planétaire de la
    mémoire génocidaire. Alors, le Parlement n'a pas fini de voter : les
    Amérindiens, les Tibétains, les Cambodgiens, les Bosniaques de
    Srebrenica, les Tutsis ne méritent-ils pas eux aussi une loi ?

    Nos devoirs ne regardent pas seulement le passé. Nos obligations
    s'exercent envers l'avenir. Il nous faut donc continuer à maintenir la
    reconnaissance du génocide arménien comme une condition sine qua non
    de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne ` parce que le
    rapport à la vérité historique est une question de civilisation. Mais
    ce n'est pas en opposant une vérité officielle française à la vérité
    officielle turque que nous ferons avancer les choses. Notre rôle est,
    au contraire, d'aider les Turcs à rompre avec la logique de la vérité
    d'Ã?tat : l'homme turc n'est pas assez entré dans une fac d'histoire.
    Nous, nous sommes en train d'en sortir.

    Au lieu d'aller pêcher les voix de l'électorat d'origine arménienne
    comme l'Assemblée vient de le faire, nous aurions été beaucoup plus
    avisés de soutenir les écrivains et les intellectuels turcs qui, comme
    Orhan Pamuk, invalident la vérité officielle et osent parler, dans
    leur propre pays, du génocide arménien. Soutenons-les, car aucune
    vérité officielle ne vaut finalement rien, qu'elle soit votée à Paris
    ou à Ankara.

    1.Une loi stupide, mais également inconstitutionnelle, comme le doyen
    Vedel l'a écrit peu de temps avant sa mort. Elle contrevient notamment
    Ã l'article 34 de la Constitution, qui détermine les domaines que la
    loi règlemente. ?©

    http://www.causeur.fr/genocide-armenien,14261

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