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Randonnee sur la piste du Mont Ararat

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    Le Monde
    04 novembre 2004

    Randonnée sur la piste du Mont Ararat

    VOYAGES;
    A l'extrême orient de l'Anatolie, de caravansérails en églises à
    l'abandon, les vestiges byzantins, ottomans, arméniens et kurdes
    s'entremêlent

    Catherine Bédarida

    TRABZON de notre envoyée spéciale


    Prairies immenses, troupeaux de brebis, yourtes d'été pour les
    bergers, ces hauts pturages murmurent un monde pauvre.

    A l'est de la Turquie, l'histoire est un précipité de langues, de
    frontières, de montagnes méridionales et de steppes d'Asie centrale,
    de souvenirs ottomans et de blessures arméniennes ou kurdes. Des
    bords de la mer Noire, au nord, aux confins de l'Irak, au sud, toute
    une région encore peu touristique de la Turquie porte la mémoire des
    conflits passés et présents, s'enorgueillit des caravansérails
    fastueux sur la Route de la soie et des sommets splendides du mont
    Ararat, ou passe sous silence les souvenirs du génocide arménien et
    la répression récente à l'encontre des Kurdes.

    Dans cette zone d'altitude qui a été tour à tour dominée par les
    Perses, les Ottomans, les Russes, les mémoires et les légendes des
    différentes traditions se mêlent à l'occidentalisation voulue par la
    Turquie moderne. Le thé est fait dans des samovars à Erzurum ou Kars,
    deux villes importantes du nord-est de cette région. L'ascension du
    mont Ararat (5 165 m) s'effectue en appelant toutes les heures le
    poste de sécurité à l'aide d'un téléphone portable. Dans chaque bourg
    de ces régions fort musulmanes, on trouve des magasins d'alcool. Et
    les importants sites patrimoniaux géorgiens ou arméniens se visitent
    sur les conseils d'offices du tourisme qui se gardent d'expliquer
    pourquoi ces églises magnifiques sont aujourd'hui à l'abandon.

    Plusieurs chaînes de montagne dessinent la géographie et partagent
    les zones de cette Turquie orientale. Au nord, c'est une montagne
    verte, boisée, lumineuse qui borde la mer Noire, entre la frontière
    de la Géorgie et la chaîne des monts Kaçkar. Les pluies, arrêtées par
    ces sommets, donnent une végétation à la fois alpine et méridionale.
    La ville de Trabzon (Trébizonde, dans l'Antiquité) est le point de
    départ pour découvrir les environs.

    Ce port de la mer Noire (500 000 habitants), largement fréquenté par
    les touristes et les commerçants de l'ex-URSS, est une cité moderne,
    sans cachet particulier, malgré une vieille ville agréable. A
    cinquante kilomètres au sud, en revanche, le monastère grec orthodoxe
    de la Vierge Marie, à Sumela, offre un site et un btiment
    exceptionnels.

    Après une rude montée à pied d'une demi-heure le long du torrent,
    dans les forêts de pins et de sapins, le monastère se dévoile,
    accroché à une falaise rocheuse d'une hauteur vertigineuse, petit
    point émouvant dans l'immensité de la nature sauvage, témoignant de
    la mégalomanie admirable ou dérisoire des mystiques. Fondé en 385,
    détruit puis reconstruit en 644, le monastère a été protégé par les
    sultans ottomans après la chute de l'Empire byzantin. Les moines
    durent quitter définitivement les lieux à la suite de la guerre
    gréco-turque de 1920-1922. En partie construite sous une voûte
    naturelle rocheuse, l'église est ornée de fresques représentant la
    vie de la Vierge et de Jésus, ainsi que des scènes de la Genèse, au
    milieu d'une profusion d'anges et de motifs végétaux.

    Plus à l'est, aux confins de la frontière arménienne, officiellement
    fermée, commence un monde de plateaux et de steppes, à 2 000 m
    d'altitude, cernés de hautes montagnes qui culminent avec l'Ararat.
    Prairies immenses, troupeaux de brebis blanches et noires, yourtes
    d'été pour les bergers, ces hauts pturages murmurent un monde
    pauvre, tenu à l'écart du développement moderne turc. Devant les
    maisons basses en pisé s'empilent les tas de briquettes de bouse et
    de paille mêlées, unique combustible de ces régions où de rares
    peupliers sont les seuls arbres à tenir tête aux vents.

    A 35 km de l'Iran et à 60 km de l'Arménie, Dogubayazit est la ville
    la plus orientale de la Turquie, à 1 960 m d'altitude. Ce gros bourg
    poussiéreux de 35 000 habitants, traversé par les camions iraniens,
    est surtout une ville de garnison. Dans les rues, au restaurant, à la
    poste, les soldats turcs sont omniprésents. Les boutiques s'adaptent
    en vendant vêtements kaki, cassettes des musiques en vogue à
    Istanbul, cartes postales kitsch montrant des soldats en action...

    Tout autour, chaque village est flanqué d'un poste militaire. Ces
    hameaux kurdes sont souvent desservis par une piste à peine
    carrossable, inutilisable pendant les longs hivers. L'électricité y
    arrive, mais la plupart des maisons ne disposent, pour l'eau, que
    d'un robinet dans la cour. Grce aux antennes paraboliques, les
    habitants peuvent capter les émissions en langue kurde diffusées
    depuis juin, alors que l'usage de cette langue - qui appartient à la
    famille iranienne - demeure réprimé. Le lancement de ces émissions
    fait partie des mesures d'assouplissement de la politique antikurde,
    adoptées par le gouvernement pour satisfaire aux critères de l'Union
    européenne, en vue d'une éventuelle adhésion.

    Dans ce fin fond extrême-oriental, terre de trafics, de contrebande
    et de passages d'immigrants clandestins, Dogubayazit est l'étape
    obligée pour découvrir les deux merveilles de la région. A six
    kilomètres, le palais d'Isak Pasa (Isak Pasa Saray) est l'un des
    caravansérails les mieux conservés qui jalonnaient la Route de la
    soie tous les trente à quarante kilomètres, pour offrir un abri sûr
    aux marchands et à leurs caravanes. Construit par un gouverneur kurde
    à la fin du XVIIIe siècle, il s'inspire de l'architecture perse,
    seldjoukide et ottomane. Plus de 300 pièces, une mosquée, une
    bibliothèque et un hammam forment un ensemble raffiné et confortable
    - l'architecte avait doté les btiments du chauffage central et du
    tout-à-l'égout. Adossé à une colline, le palais s'ouvre sur les
    steppes et les montagnes voisines, dont les sommets masquent
    cependant l'Ararat.

    Mont de légende, l'Ararat, situé à 50 kilomètres au nord de
    Dogubayazit, est un cône volcanique parfait, qui surgit de ces
    horizons de hauts plateaux, spectaculaire masse de lave violette
    coiffée de neige tout au long de l'année. Ce sommet isolé attire
    facilement les nuages et il est rare, au-delà du petit matin,
    d'apercevoir la silhouette du volcan dans toute sa pureté.

    Les agences de voyages françaises promettent aux randonneurs
    l'ascension en trois jours. Les guides locaux, plus réalistes,
    comptent cinq jours pour l'aller et le retour depuis le point de
    départ à 2 200 m jusqu'au sommet. Encore faut-il entreprendre
    l'ascension en été, quand la neige ne recouvre pas le parcours. Mais,
    que le voyageur atteigne ou non le sommet, le silence, la profusion
    des fleurs et, le soir, les chants des guides kurdes sous les étoiles
    lui apporteront l'offrande intime de la montagne.

    Situé à l'intérieur du territoire turc depuis 1923, l'Ararat reste un
    symbole arménien pour toute la diaspora du peuple victime du génocide
    en 1915. Au musée de Van, une section consacrée au génocide en
    propose une lecture négationniste, à l'aide de livres sur la
    prétendue « falsification arménienne ».

    Sur le lac de Van, une région où les massacres commis à l'encontre
    des Arméniens par les Turcs ont été sanglants, demeure un témoignage
    de la présence arménienne : la petite île d'Akdamar conserve presque
    intacte l'église de la Sainte-Croix, datant du Xe siècle. Ses pierres
    orangées, ses bas-reliefs représentant des scènes de l'Ancien et du
    Nouveau Testament, ses fresques et son plan en croix en font un joyau
    poignant de l'art arménien.

    NOTES: CARNET DE ROUTE ACCÈS. Paris-Istanbul, avec Air France, à
    partir de 332 EUR. Turkish Airlines, qui dessert les villes
    orientales de Trabzon, Erzurum, Kars et Van, propose des tarifs
    depuis Paris, Lyon, Nice et Strasbourg vers ces villes, à partir de
    247 EUR jusqu'au 30 novembre, de 414 EUR tout au long de l'hiver
    (tél. : 01-56-69-33-50, site : www.turkishairlines.com). D'une ville
    à l'autre, les transports se font en bus ou avec une voiture de
    location. VISITES. Monastère de la Vierge Marie, à Sumela (en turc,
    Meryemana Manastiri). Visite tous les jours, de 9 heures à 18 heures,
    en juin, juillet, août, et de 9 heures à 16 heures le reste de
    l'année. Dans les monts Kaçkar, le village d'Ayder, à 1 250 m
    d'altitude, est un bon point de départ pour les randonnées. A Kars,
    voir l'église des Saints-Apôtres, une église arménienne du Xe siècle
    transformée en mosquée puis en église orthodoxe par les Russes, et
    aujourd'hui désaffectée. A Dogubayazit, le palais d'Isak Pasa (Isak
    Pasa Sarayi) se visite tous les jours sauf le lundi, de 8 h 30 à 17
    heures. L'île d'Akdamar, près de Van, est desservie par des bateaux à
    moteur. SAISON. Les villes et les sites patrimoniaux peuvent se
    visiter toute l'année. Les Hauts Plateaux de l'extrémité orientale,
    situés à 2 000 m, sont sous la neige de Noël à mai. En montagne,
    préférer juillet, août et septembre, quand les sentiers ne sont plus
    recouverts de neige. RANDONNER. Plusieurs voyagistes proposent des
    itinéraires de randonnée en montagne. Allibert (tél. : 0825-090-190,
    site : www.allibert-trekking.com) organise un circuit de quinze jours
    qui inclut l'ascension de l'Ararat, à partir de 1 475 EUR. D'autres
    formules chez Terres d'Aventure (tél. : 0825-847-800, site :
    ww.terdav.com). L'ascension de l'Ararat, bien qu'autorisée depuis
    2000, est étroitement surveillée. La demande doit être déposée trois
    mois à l'avance. Des agences locales peuvent se charger d'obtenir le
    permis et de fournir des guides (prévoir environ 250 EUR par
    personne). LANGUE. Le turc (langue de la famille altaïque) est parlé
    par près de 90 % de la population. Le kurde (langue de la famille
    iranienne) est parlé par dix millions de Kurdes. LECTURES. Salman le
    Solitaire, La Grotte, La Voix du sang, l'une des trilogies de Yachar
    Kemal (Gallimard, de 17 à 23 EUR). Mon nom est Rouge, d'Orhan Pamuk
    (Gallimard, 27 EUR). Contes de la montagne d'ordures, de Latife Tekin
    (Stock, 16 EUR). Comme une blessure de sabre, d'Ahmet Altan (Actes
    Sud, 22 EUR). Le Guide bleu Turquie, dans son édition de mars 2004,
    pour l'histoire et la culture. Turquie, Lonely Planet (janvier 2004),
    pour les informations pratiques. CINÉMA. Ararat, le film d'Atom
    Egoyan (2002) sur la mémoire arménienne. INFORMATIONS. Office de
    tourisme de Turquie, 102 av. des Champs-Elysées, 75008 Paris. Tél. :
    01-45-62-78-68, site : www.turquie. infotourisme. com Bonne
    documentation sur le site Internet de l'Institut kurde (106, rue La
    Fayette, 75010 Paris) : www.institutkurde.org
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