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Le Bosphore, frontiere de l'Europe

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  • Le Bosphore, frontiere de l'Europe

    Le Monde, France
    31 décembre 2004

    Le Bosphore, frontière de l'Europe
    HORIZONS DÉBATS

    par Roland J.-L. Breton


    ON pourrait beaucoup écrire sur les limites proprement géographiques,
    assez théoriques, de l'Europe, ou sur ses frontières réelles du passé
    historique, antique ou moderne. Ou encore sur l'extension de la
    civilisation européenne et de sa signification et de son empreinte
    profonde dans les esprits. Mais la question aujourd'hui n'est pas là.
    Elle est de savoir avec précision où doit s'arrêter raisonnablement
    l'Union européenne de demain.

    Constantinople-Byzance-Istanbul a certes toujours été en Europe et
    l'Anatolie en Asie mineure. Comme les Turcs, venus du coeur de
    l'Asie, devenus européens par leur empire, ont pu aussi s'affirmer
    tels par leurs légitimes aspirations modernistes, laïques,
    démocratiques et, maintenant, diplomatiques.

    Nous pourrions certes accepter les Turcs comme nation européenne,
    quelle que soit leur religion, puisque nous avons tous la volonté
    d'appartenir à une société laïque. Comme nous accueillons déjà
    pleinement plus de trois millions de citoyens turcs, travailleurs
    migrants, résidents ou naturalisés, avec leurs enfants. Il n'y a là
    aucune difficulté touchant les individus ou les communautés au sein
    de l'Union européenne.

    Le seul problème reste celui du territoire. Car ce n'est pas à nous
    Européens de décider où, au-delà du Bosphore, une frontière devrait
    éventuellement passer à travers l'Asie mineure. Nous ne pouvons, dans
    l'état du droit international, qu'accepter ou refuser celle de la
    République turque actuelle. Or cette limite, depuis 1920, tranche à
    travers l'Arménie et le Kurdistan.

    Et si nous avons aussi accueilli comme des frères les Arméniens
    échappant au génocide et les Kurdes, de citoyenneté turque ou non,
    venus travailler, nous ne pouvons envisager d'intégrer dans l'Europe
    une part, pas plus que la totalité de leurs pays respectifs.

    Pourquoi la frontière de l'Europe inclurait-elle Kars en excluant
    Erevan, Diyarbakir et non Kirkouk ? Et demain, si les Kurdes, avec
    leur langue, recevaient enfin tous les droits démocratiques de la
    Turquie, pourquoi après-demain ne demanderaient-ils pas à inclure
    aussi dans l'UE leurs territoires de Syrie, d'Irak ou d'Iran ?
    Passant le Bosphore et l'Asie mineure, jusqu'où demanderait-on à
    étendre l'Europe ?

    L'Europe a la sagesse de ne plus rêver de s'étendre au monde à
    travers les continents. Les Européens, qui ont eu tant de mal à
    dépasser leurs conflits internes comme à renoncer à dominer les
    autres, ne peuvent maintenant donner qu'une seule leçon : celle de
    montrer le chemin de l'unité. Mais sur chaque continent et dans
    l'entente des civilisations. Surtout pas dans l'expansion indéfinie
    d'un prétendu modèle à travers les mers et les détroits.

    NOTES: Roland J.-L. breton est professeur émérite de géographie à
    l'université Paris-VIII.
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