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L'affiche rouge, histoires de sang et sens de l'histoire

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  • L'affiche rouge, histoires de sang et sens de l'histoire

    Le Monde, France
    16 septembre 2009 mercredi


    A VOIR v;
    L'affiche rouge, histoires de sang et sens de l'histoire


    Robert Guédiguian raconte l'engagement des jeunes combattants du
    groupe Manouchian, symboles de la résistance exécutés en 1944


    L'ARMéE DU CRIME

    Trois semaines après le premier, un autre groupe de juifs décidés à
    tuer des Allemands arrive sur les écrans. Ce n'est pas tout à fait une
    coïncidence que L'Armée du crime, de Robert Guédiguian, sorte vingt
    jours après Inglourious Basterds, de Quentin Tarantino, après qu'ils
    se sont croisés au Festival de Cannes, au mois de mai.

    Au moment où meurent les derniers témoins, Tarantino a estimé qu'il
    était temps de lever l'interdit historique qui pesait sur la période
    et de jouer avec l'histoire de la seconde guerre mondiale (comme un
    enfant joue avec sa panoplie de cow-boy). Robert Guédiguian sait lui
    aussi qu'une période s'est achevée, mais, face à la débcle générale
    des idéaux ou des illusions portés par ceux qui ont combattu
    l'Allemagne nazie, il a voulu revenir à la source.

    L'Armée du crime est la mise en scène d'un soulèvement, celui des
    jeunes combattants immigrés du groupe Manouchian, et de son
    écrasement, à partir du souvenir laissé dans la mémoire collective
    (celle du mouvement communiste) et individuelle (celle de Guédiguian).

    Il est difficile de voir un film dont on a suivi le tournage des jours
    durant, comme nous avons pu le faire pendant l'été 2008, sans se
    souvenir de la manière dont le réalisateur, les acteurs et les
    techniciens y ont travaillé. Les intentions affirmées à l'époque
    (politiques, historiques, bien sûr, mais aussi esthétiques) et la
    méthode (collective, empreinte d'un sérieux et d'un respect peu
    communs sur les plateaux) apparaissent clairement. Ce qui est à
    l'écran vient comme l'accomplissement d'une promesse qui, aux yeux
    d'un témoin de la fabrication du film, est entièrement tenue.

    La trame dramatique de L'Armée du crime aurait pu servir à
    Hollywood. Un type fort, intelligent et séduisant qui recrute des
    comparses pour accomplir des exploits périlleux, ça a beaucoup servi.

    En 1943, Missak Manouchian (Simon Abkarian), réfugié arménien, fut
    chargé par la direction communiste de former un groupe armé, sous
    l'autorité de la Main-d'oeuvre immigrée, organisation communiste
    regroupant les travailleurs nés ailleurs qu'en France.

    La bande rassemblée par Manouchian comptait dans ses rangs nombres de
    juifs originaires d'Europe de l'Est, mais aussi des Italiens
    antifascistes et des républicains espagnols. Dans ces rangs,
    Guédiguian a choisi quelques figures pour leur jeunesse, leur
    violence. Thomas Elek (Grégoire Leprince-Ringuet) et Marcel Rayman, un
    lycéen doué en chimie et un ouvrier champion de natation, deviennent
    des tueurs. Parce que Guédiguian - l'affiche du film en témoigne - ne
    fait pas mystère des buts de guerre du groupe Manouchian. Il fallait
    tuer des Allemands, les plus gradés possible, à défaut le plus grand
    nombre possible, autant pour démoraliser l'ennemi que pour montrer aux
    Français que la lutte armée était possible.

    C'est la première fois que l'auteur de La ville est tranquille
    s'essaie à un film de cette ampleur. Et la seconde (après Le Promeneur
    du Champ-de-Mars, chronique des derniers jours de François Mitterrand)
    qu'il s'éloigne de Marseille. Mais il n'a pas posé ses bagages en
    chemin. Il montre l'exécution d'officiers allemands ou un attentat à
    la grenade pour ce qu'ils sont, des moments de violence, de souffrance
    et de peur. Et quand l'exaltation saisit l'un des jeunes clandestins,
    elle est mise en scène pour ce qu'elle est, une émotion ambiguë qui
    sert les buts assignés par le parti mais met en danger l'intégrité de
    celui qui se réjouit de la mort de ses ennemis.

    La figure de Manouchian est là pour servir le projet politique et
    éthique de Guédiguian : un homme capable de tuer tout en continuant à
    vivre et à aimer sa compagne Mélinée (Virginie Ledoyen). Sur l'autre
    rive, il y a les tristes figures des policiers français qui firent
    tomber le groupe.

    Jean-Pierre Darroussin (qui déjà jouait le militant du Front national
    dans Marius et Jeannette) incarne un fonctionnaire compétent qui
    succombe à la tentation que lui met sous le nez le commissaire David
    (Yann Tregouët), technocrate de la lutte anticommuniste.

    Ce sont eux les exécutants du martyre du groupe Manouchian, tout comme
    Vichy se mit à la disposition des occupants pour monter l'opération de
    propagande qui fit que l'affiche rouge dénonçant " l'armée du crime "
    fut placardée sur les murs de France.

    Tout dans le film, y compris les libertés prises avec la chronologie
    des événements, tend à exprimer l'essence de cet affrontement, à en
    dégager le sens. Les derniers films de Robert Guédiguian, et
    particulièrement Lady Jane (2008), mettaient en scène la
    désorientation, la colère face à la perte de ce même sens, qui fut
    celui de l'histoire.

    Alors que Ken Loach, qui montrait les mêmes interrogations dans It's a
    Free World (2007), s'est réfugié dans la comédie fantaisiste de
    Looking for Eric, son camarade Guédiguian a remonté le temps pour
    retrouver une vérité perdue et la rapporter à ses contemporains.

    ,

    Thomas Sotinel

    Film français de Robert Guédiguianavec Simon Abkarian, Virginie
    Ledoyen, Grégoire Leprince-Ringuet, Robinson Stévenin. (2 h 19.)
Working...
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