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Le débat sur le génocide arménien est un enjeu politique majeur

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    LE DéBAT SUR LE GéNOCIDE ARMéNIEN EST UN ENJEU POLITIQUE MAJEUR
    par Vicken Cheterian

    Le Temps
    http://www.letemps.ch/Page/Uuid/5058d4a6-50aa-11d f-ba6c-182b64522aed/Le_dï¿~Cï¾ ©bat_sur_le_gï¿~Cï¾&#x A9; nocide_armï¿~Cᄅnien_est _un_enjeu_politique_majeur
    26 Avril 2010
    Suisse

    Vicken Cheterian, politologue, estime que les événements de 1915
    sont loin d'être un simple objet d'histoire, car l'enjeu de ce débat
    pèse sur le destin du Haut-Karabagh et de la Turquie elle-même

    Pourquoi, 95 ans après, le génocide arménien alimente-t-il encore
    les débats parlementaires? Pourquoi est-il la source de tensions
    dans les relations internationales? Aujourd'hui, ceux qui nient la
    réalité du génocide arménien se font rares. L'argument avancé
    pour empêcher sa reconnaissance légale consiste plutôt a admettre
    qu'il s'agit certes d'un génocide mais qu'il serait politiquement
    inopportun de contrarier la Turquie - membre important de l'OTAN et
    partenaire stratégique; ce n'est pas le moment, disent-ils après 95
    ans. D'autres estiment que des événements remontant a 1915 devraient
    être confiés aux historiens puisqu'ils appartiennent au passé. Ils
    se fourvoient. Le génocide arménien est un débat sur des enjeux
    politiques contemporains. Les quatre arguments développés ci-dessous
    soulignent la portée politique du génocide arménien.

    Commencons par la diaspora arménienne, c'est-a-dire les descendants
    des survivants du génocide. Les autorités turques persistent a
    nier le génocide, prétendent qu'il n'a jamais eu lieu et que si
    massacres il y a eu, la faute en incombe aux Arméniens eux-mêmes. Par
    cette attitude, la Turquie renforce la mobilisation de la diaspora
    arménienne et sa quête de justice et de reconnaissance. Il est
    difficile de croire que ces gens vont simplement disparaître,
    oublier ou se laisser intimider.

    Ils ne trouveront pas la paix tant que la Turquie n'aura pas admis
    sa responsabilité dans le génocide de 1915 qui, sous couvert de la
    Première Guerre mondiale, a tué ou déporté plus de 2 millions de
    personnes qui vivaient dans l'Arménie historique.

    L'ombre du génocide continue de planer sur l'équilibre
    politique du Caucase. En 1988, lorsque la population arménienne du
    Nagorno-Karabakh, qui faisait alors partie de l'Union soviétique, a
    exprimé pacifiquement le souhait d'être détachée de l'Azerbaïdjan
    soviétique pour être rattachée a l'Arménie soviétique, la
    réaction a été violente: moins de trois semaines plus tard, la ville
    azérie de Sumgait devenait le théâtre d'un pogrom anti-arménien. Le
    message était clair et personne n'a eu besoin d'explications. Les
    Arméniens ont compris qu'il s'agissait d'un rappel du génocide de
    1915; les Azéris aussi. Le pogrom de Sumgait a été suivi par une
    demi-douzaine d'autres, de Ganja (ex-Kirovabad) a Bakou. Â"Si vous
    persistez dans vos revendications, attendez-vous a une réplique de
    1915Â", disaient en substance les responsables de ces exactions.

    Pendant la période de troubles qui a précédé la désintégration
    de l'Union soviétique, la menace a refait surface, faisant
    écho a la peur. Si la Turquie avait admis sa responsabilité dans
    l'anéantissement des Arméniens d'Anatolie, le conflit politique entre
    les Arméniens et les Azéris au sujet de la province du Haut-Karabakh
    aurait pu être résolu de manière pacifique.

    Après l'effondrement de l'Union soviétique, lorsque le conflit du
    Haut-Karabakh a dégénérÃ&# xA 9; en guerre ouverte, la Turquie, dont la
    population a la même origine ethnique que les Azéris, ne s'est pas
    fait prier pour offrir son assistance militaire. Elle a dépêché
    sur place armes, munitions et généraux. Les dirigeants turcs ont
    même menacé l'Arménie, annoncant qu'ils allaient lui donner une
    lecon qu'elle ne serait pas prête d'oublier.

    Depuis, la Turquie s'est jointe a l'Azerbaïdjan pour imposer un
    blocus a l'Arménie, afin d'étouffer son économie et la forcer a
    abandonner son soutien au Haut-Karabakh. Il s'agit de la dernière
    frontière a rester fermée depuis la fin de la Guerre froide et le
    conflit est loin d'être résolu.

    La Turquie, qui porte une responsabilité écrasante dans
    l'extermination des Arméniens ottomans, a le devoir de rester au
    moins neutre dans le conflit du Haut-Karabakh. Aujourd'hui, les
    dirigeants d'Azerbaïdjan continuent de menacer l'Arménie d'une
    attaque militaire pour récupérer les territoires perdus lors du
    conflit armé des années 90. Si elle reconnaissait le génocide
    et adoptait une position neutre dans le conflit du Haut-Karabakh,
    la Turquie diminuerait le risque d'une nouvelle guerre du Caucase.

    Le troisième argument concerne la Turquie elle-même. Une fois
    les Arméniens éliminés, la République turque a continué
    a faire preuve d'intolérance vis-a-vis de ses minorités et a
    user de violence a leur égard: Kurdes, Assyriens, Grecs, Alevis,
    syndicalistes, militants des droits de l'homme. Dans les années 80,
    le conflit opposant le régime militaire turc et les guérilleros du
    PKK s'est soldé par la destruction d'au moins trois mille villages
    kurdes et le déplacement de leurs habitants vers les grandes
    villes. Aujourd'hui, ce système a parti unique - le parti militaire
    est souvent qualifié a tort de parti Â"laïcÂ" - bat de l'aile et
    pourrait céder la place au pluralisme et a la démocratie. Dans ce
    contexte, la question arménienne revient sur le devant de la scène
    et de nombreux journalistes, écrivains et militants bravent le danger
    pour dénoncer les tabous officiels. Certains ont payé leur audace
    de leur vie, comme le journaliste Hrant Dink, assassiné devant les
    locaux de sa rédaction a Istanbul.

    La reconnaissance du génocide arménien par la Turquie constituerait
    un immense progrès et permettrait d'effacer la peur et la violence
    qui ont marqué la vie politique interne du pays jusqu'a présent.

    Mais en fin de compte, la reconnaissance du génocide arménien nous
    concerne tous: pouvons-nous vraiment espérer une transformation des
    relations internationales et une résolution pacifique des conflits
    contemporains si nous préférons ignorer le premier génocide du
    XXe siècle, par opportunisme politique?

    Le 24 avril, nous avons commémoré le 95e anniversaire du génocide
    arménien. Pendant 95 ans, le besoin de justice et de reconnaissance
    a été bafoué. Pourtant, évacuer la question du génocide sous
    prétexte qu'il s'agit d'histoire et non d'actualité serait une
    erreur: ce débat porte sur les enjeux politiques d'aujourd'hui et
    il est illusoire de vouloir l'occulter.

    L'auteur a publié: War and Peace in the Caucasus, Russia's Troubled
    Frontier, Hurst and Columbia University Press, 2009.
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