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Séance du 4 mai 2011 (Compte rendu analytique officiel du 4 mai 2011

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  • Séance du 4 mai 2011 (Compte rendu analytique officiel du 4 mai 2011

    FRANCE
    Séance du 4 mai 2011 (Compte rendu analytique officiel du 4 mai 2011)
    - Répression de la contestation de l'existence du génocide arménien
    SÉANCE

    du mercredi 4 mai 2011

    98e séance de la session ordinaire 2010-2011

    présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président

    Secrétaires : Mme Christiane Demontès, M. Jean-Paul Virapoullé.

    La séance est ouverte à 14 h 30.

    Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte
    rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

    Génocide arménien

    M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la
    proposition de loi tendant à réprimer la contestation de l'existence
    du génocide arménien.

    Discussion générale

    M. Serge Lagauche, auteur de la proposition de loi. - Le 13 mai 1998,
    le groupe socialiste de l'Assemblée nationale déposait une proposition
    de loi tendant à la reconnaissance du génocide arménien de 1915. Ainsi
    commençait le parcours chaotique de la loi de 2001.

    La paix ne peut s'établir sur la négation de ce qui eut lieu. Il
    fallut la pugnacité de MM. Gaudin et Piras pour que le 7 novembre 2000
    fut adoptée une proposition de loi, identique à la proposition de loi
    de l'Assemblée nationale, sur demande de discussion immédiate.

    Le 29 janvier 2001, la France reconnaissait donc officiellement le
    génocide arménien de 1915.

    Déjà à l'époque les parlementaires étaient accusés de se substituer
    aux historiens ; déjà à l'époque la Turquie menaçait la France de
    rétorsions.

    Le 18 juin 1987, le Parlement européen affirmait que les événements
    subis par les Arméniens entre 1915 et 1917 étaient assimilables à un
    génocide au sens défini par l'ONU en 1948. Il ajoutait toutefois que
    la Turquie actuelle ne saurait être tenue pour responsable de ce
    crime.

    La loi française du 29 janvier 2001 n'est pas une anomalie législative
    : nombre d'États en ont adopté une analogue.

    En 1915, près d'1,5 million d'Arméniens furent assassinés par le
    gouvernement Jeunes-Turcs. Malgré les innombrables preuves, la Turquie
    refuse d'ouvrir les yeux sur son passé. Elle s'est ainsi enfermée dans
    un négationnisme d'État et fait pression sur ceux qui voulaient
    reconnaître ce génocide. Les États-Unis en 2007, pour conserver
    l'accès à leurs bases militaires, ont accepté cette forme de chantage,
    qui s'exerce aussi sur la France, si l'on en croit les propos qu'a
    tenus le ministre d'État de Turquie chargé de la négociation pour
    l'adhésion à l'Union européenne devant nos commissions, la semaine
    dernière.

    Le peuple turc commence à s'éveiller de cette longue ignorance. Le
    journaliste Hran Dink, qui voulait faire prendre conscience à ses
    concitoyens turcs de cette réalité de son passé, a été assassiné par
    un jeune extrémiste -qui n'a pas été condamné. Mais il faut signaler
    que 200 000 personnes ont manifesté par solidarité avec le journaliste
    et les Arméniens.

    Les sites promouvant le négationnisme pullulent sur internet, soutenus
    dans les milieux d'extrême-droite. Récemment encore, était distribué
    au Salon du livre un ouvrage officiel dont chaque page s'emploie à
    nier le génocide.

    La loi de 2001 reste déclarative. Il faut pouvoir sanctionner la
    négation du génocide. Notre proposition de loi est identique à celle
    que l'Assemblée nationale a adoptée il y a cinq ans. Mme Aubry a
    souhaité que le groupe socialiste au Sénat la reprenne à son compte.
    Tolérer le négationnisme, c'est assassiner une nouvelle fois les
    victimes, pour reprendre un mot d'Elie Wiesel.

    Alors que la France a reconnu tant le génocide arménien que la Shoah,
    la loi ne punit que la négation de la Shoah, pas celle du génocide
    arménien. Cette différenciation est injustifiable ; notre proposition
    de loi la supprime.

    La commission des lois craint que ce texte ne compromette les
    relations entre la Turquie et l'Arménie. Mais le protocole de Zurich
    est au point mort et la question du Haut-Karabagh a été
    instrumentalisée aux dépens du rapprochement arméno-turc.

    Mme Nathalie Goulet. - Allons !

    M. Serge Lagauche, auteur de la proposition de loi. - La loi de 2001 a
    tranché le débat sur les relations entre la loi et l'Histoire ; cette
    proposition de loi ne fait qu'en tirer les conséquences.

    Inconstitutionnelle, cette proposition de loi ? L'Arménie ne peut
    soumettre la question au TPI sans l'accord de la Turquie ! En quoi
    serait-il inconstitutionnel de sanctionner la négation d'un génocide
    qu'aucun historien ne met en doute ? Les juges sauront appliquer notre
    texte ! Quant à l'atteinte à la liberté d'expression et d'opinion, le
    rapport du président Hyest est léger dans son argumentation sur la
    Déclaration des droits de l'homme. Le négationnisme n'est pas une
    opinion. Il n'y a pas d'anti-arménisme comparable à l'antisémitisme ?
    Mais la loi Gayssot a une portée bien plus large que ce qu'il veut
    laisser entendre.

    Le président Sarkozy a garanti qu'il ne s'opposerait pas à une telle
    proposition de loi et qu'il laisserait le Sénat libre de son vote. Que
    soit pénalement sanctionnée la négation de la Shoah n'a jamais
    paralysé le travail des historiens.

    Un État aussi grand que la Turquie ne peut s'affaiblir en regardant
    son histoire en face. Avec l'adoption de cette proposition de loi,
    serait supprimée la concurrence malsaine entre deux génocides.
    (Applaudissements sur certains bancs à gauche)

    M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Cette
    discussion n'est pas facile... Il est plus aisé de répondre à la
    passion qu'à un raisonnement juridique. Ce débat porte tant d'émotions
    qu'une discussion juridique sereine est difficile. Légère, l'analyse
    de la commission ? Trop d'échotiers ignorent le droit et l'article
    1382 du code civil...

    La France a officiellement reconnu le génocide arménien par la loi du
    29 janvier 2001. D'autres pays l'ont fait par voie de résolution, ce
    que la réforme constitutionnelle de 2008 rend désormais possible en
    France.

    La commission des lois estime que cette proposition pose de vraies
    difficultés constitutionnelles. Elle ne nie certes pas l'existence de
    ce génocide. Celui-ci est une réalité historique largement reconnue.
    En 1915, le gouvernement a décidé de déporter les Arméniens vers les
    déserts de Syrie et d'Iraq. Les deux tiers d'entre eux y auraient
    laissé la vie. Mais ce n'est qu'en 1946, à Nuremberg, qu'est définie
    la notion de crime contre l'humanité et en 1948 celle de génocide. Ces
    crimes prennent la qualification de « génocide » ou de « crimes contre
    l'humanité » quand est avérée l'existence d'un plan concerté.
    Rétroactivement, cette qualification peut être appliquée à l'action du
    gouvernement turc contre les Arméniens, en 1915, qui visait davantage
    à homogénéiser la population d'Anatolie qu'à combattre, comme allégué,
    une cinquième colonne.

    Suivant l'exemple donné par une quinzaine de parlements étrangers, le
    Parlement européen, le Conseil de l'Europe, la France, a
    officiellement reconnu le génocide arménien en 2001. Seule la négation
    de la Shoah est condamnable pénalement, au titre de la loi Gayssot
    modifiant la loi de 1881 sur la presse. Ce qui n'entre pas dans le
    champ de cette loi peut être poursuivi sur la base de l'article L.
    1882 du code civil. Des voies de recours existent donc bien contre
    ceux qui contesteraient le génocide arménien.

    M. Bernard Piras. - Faux !

    M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - L'examen
    de cette proposition de loi s'inscrit dans le cadre du débat plus
    large sur les lois « mémorielles » qui soulèvent une question de
    principe : nous appartient-il de nous prononcer sur le passé ? Je
    crois comme le président Accoyer que nous devons y renoncer. Un
    important travail historique reste à accomplir sur le génocide
    arménien. Ne l'entravons pas.

    Depuis la révision de 2008, nous pouvons nous prononcer par la voie de
    résolution, sans édicter des normes. Faisons-le.

    La question du génocide arménien est encore largement taboue en
    Turquie. N'entravons pas le timide dialogue qu'ont engagé la Turquie
    et la République d'Arménie. L'adoption de cette proposition de loi
    pourrait nuire à la position de la France pour soutenir ce processus.

    Appartient-il au juge pénal français de s'immiscer dans les relations
    entre Turquie et Arménie ? Nous ne le pensons pas.

    Cette proposition de loi risque de présenter une contrariété à la
    Constitution au regard du principe de légalité des délits et des
    peines. Alors que la loi Gayssot sur la négation de la Shoah était
    fondée sur un ensemble de textes et de jugements internationaux, il
    n'y a rien de tel pour le génocide arménien. Comment alors les juges
    se prononceraient-ils ?

    Limiter la liberté d'expression n'est admissible qu'en vue de
    poursuivre un objectif actuel : or, on ne peut dire que nos
    compatriotes d'origine arménienne se heurtent à quelque chose de
    comparable à l'antisémitisme des années trente. L'intervention du juge
    pénal dans le jugement de l'Histoire soulèverait des problèmes de
    droit qui ne manqueraient pas d'être soulevés par le Conseil
    constitutionnel. C'est pourquoi la commission des lois a adopté, à
    l'unanimité, une exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur
    certains bancs à droite)

    M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des
    libertés. - Cette proposition de loi est évidemment compréhensible.
    Les faits parlent d'eux-mêmes. Le peuple arménien a connu une période
    tragique qui a mené à la mort des deux tiers de sa population, tandis
    que les 800 000 survivants se sont dispersés dans le monde, en France
    en particulier. Nombre de nos compatriotes d'origine arménienne se
    sont illustrés dans notre vie économique, sociale et culturelle. Je ne
    mentionnerai que Charles Aznavour, présent dans votre tribune
    d'honneur, et les héros du groupe Manouchian, morts pour la Résistance
    que le poème d'Aragon L'Affiche rouge a immortalisés.

    Le génocide arménien est dans la mémoire et le coeur du peuple
    français. L'article 24 bis de la loi de 1881, issu de la loi Gayssot
    de 1990, qui sanctionne la négation de la Shoah, n'est pas applicable
    à celle du génocide arménien. Mais d'autres qualifications pénales
    peuvent s'appliquer, au titre de la discrimination et de la haine
    raciale.

    La question est de savoir si cette proposition de loi améliorera la
    protection de la communauté arménienne. Elle est loin d'être simple.
    Ne nous mettons pas en position d'offrir une victoire aux
    négationnistes qui déposeraient une QPC.

    Le principe de légalité des délits et des peines suppose une
    définition précise de ce que l'on sanctionne. Tel n'est pas le cas à
    propos du génocide arménien. Le 7 mai 2010, la Cour de cassation a
    refusé de transmettre une QPC au motif qu'est décrite de façon claire
    et précise la contestation de crime contre l'humanité. Cette clarté et
    cette précision ne sont pas suffisantes ici, dès lors qu'elles ne sont
    établies par aucun jugement international.

    La liberté d'expression est reconnue par la Déclaration des droits de
    l'homme et par la Déclaration européenne. La Cour de Strasbourg
    vérifie qu'existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les
    entraves mises à la liberté d'expression et ce qu'il s'agit de
    protéger. La loi Gayssot peut s'appuyer sur les décisions du tribunal
    de Nuremberg et sur la Convention de Londres de 1948.

    On ne peut adopter un texte fragilisé quel que soit le sort de celui
    qui est en débat aujourd'hui. Le gouvernement de la République ne
    restera pas inerte. M. Sarkozy a décidé que deux actions seraient
    lancées. Une circulaire sera adressée aux procureurs généraux
    susceptibles d'être saisis en faveur de Français d'origine arménienne.

    M. Guy Fischer. - C'est la moindre des choses !

    M. Michel Mercier, garde des sceaux. - J'ai proposé une collaboration
    régulière avec les juristes de la communauté arménienne, comme nous le
    faisons avec le Crif. Nous sommes disposés à avancer ensemble.

    Sur la base de l'article 1382 du code civil, des actions peuvent être
    menées pour que justice soit rendue. Je veille à ce que cette
    jurisprudence soit correctement appliquée...

    Je n'ignore pas la dimension émotionnelle d'un tel problème. C'est
    parce que le Gouvernement est conscient de la souffrance de la
    communauté arménienne qu'il veut prendre des mesures immédiatement
    efficaces.

    Sur cette proposition de loi, le Gouvernement s'en remet à la sagesse
    du Sénat. (Quelques applaudissements dispersés)

    Mme Nathalie Goulet. - Sujet délicat, à une semaine du 24 avril, date
    anniversaire du génocide arménien ! Ce texte, comme d'autres sur le
    retrait de la nationalité, heureusement retiré grce aux sénateurs
    centristes, renvoie à notre propre histoire. La quasi-totalité de ma
    famille a été exterminée dans les camps. Je fais partie d'un peuple
    qui, lui aussi, dort sans sépulture et qui a choisi de mourir sans
    abjurer sa foi ; je peux comprendre ce que ressentent les descendants
    de victimes d'un génocide. Ce débat entre nous, avec un peu de bonne
    volonté, peut néanmoins être l'occasion de mettre un terme à certaines
    polémiques.

    Je voudrais parler du Caucase. Les Azerbaïdjanais sont totalement
    étrangers au génocide de 1915. Si un litige territorial existe
    aujourd'hui, il est spécieux d'utiliser le génocide pour occuper un
    territoire comme le Haut-Karabagh, de même que la Shoah ne justifie
    pas les exactions commises à Gaza.

    En 1992, des dizaines de milliers d'Azerbaïdjanais sont tombés, sans
    que nulle voix ne s'élève. À mesure de l'avancée des forces
    arméniennes, jusqu'au cessez-le-feu de 1994, 20 000 victimes, un
    million de réfugiés et déplacés. La position de la France est claire :
    elle soutient l'intégrité territoriale de l'Azerbaïdjan et travaille à
    la paix entre ce pays et l'Arménie. Au nom des victimes, des enfants
    du Caucase, auxquels les adultes volent leur enfance, nous devons
    oeuvrer à la poursuite de la paix.

    L'ensemble de mon groupe votera l'exception d'irrecevabilité, espérant
    que le président de la République tiendra sa promesse d'une visite
    dans le Caucase.

    M. Ambroise Dupont. - Très bien !

    M. Jean-Noël Guérini. - La reconnaissance du génocide arménien et la
    criminalisation de sa contestation sont notre combat, depuis plus de
    vingt ans. Du président Mitterrand à Jacques Chirac, des
    parlementaires de gauche comme de droite, ont voulu que soit reconnue
    une tragédie que certains voulaient nier. En 2001, Jacques Chirac,
    président de la République, a promulgué une loi reconnaissant le
    génocide arménien qui, commencé en 1915, a conduit à l'extermination
    de plus d'un million de personnes. Elie Wiesel a fait connaître
    publiquement, avec d'autres historiens, sa position, pour parvenir à
    la reconnaissance du génocide. En l'admettant, la République française
    a rendu à ce peuple ce qui lui est dû.

    L'Assemblée nationale, le 2 octobre 2006, a voté la pénalisation de la
    négation du génocide arménien. « La responsabilité confère à l'homme
    de la grandeur » écrivait Stefan Zweig. Le Sénat ne peut fuir ses
    responsabilités : notre devoir, aujourd'hui, est de sanctionner les
    négationnistes. Une telle loi ne limiterait pas la liberté
    d'expression, n'étant contraire à aucune convention internationale
    liant la France. En tout état de cause, le peuple français peut voter
    toute loi qu'il juge juste. L'argument de l'inconstitutionnalité n'est
    pas à la hauteur des responsabilités qui sont les nôtres ; que
    n'a-t-on soulevé la question en 2001 ? Le négationnisme n'est pas un
    mode d'expression comme les autres : son objectif premier est de
    falsifier l'histoire pour forcer l'oubli.

    Ce texte serait un instrument efficace pour combattre le
    communautarisme. Y compris en Turquie, des hommes et des femmes
    manifestent, plus courageux que nous, pour obliger le gouvernement
    turc à prendre ses responsabilités. Soyons à la hauteur de nos
    responsabilités ! (Applaudissements sur plusieurs bancs à gauche)

    M. Guy Fischer. - Voici dix ans que le génocide arménien était enfin
    reconnu dans notre assemblée. Instants émouvants, qui, réunissant
    l'ensemble des familles politiques, mettaient un terme à un pesant
    déni de 95 ans.

    Nous voici réunis à nouveau pour examiner un texte qui doit, je l'ai
    dit comme signataire de bien d'autres sur le même sujet, nous sortir
    du milieu du gué où nous sommes restés.

    La loi de 2001 a une portée symbolique considérable, mais reste sans
    incidence juridique : il faut une réponse pénale au négationnisme.
    Nous l'affirmions déjà en 2005, en déposant une proposition de loi qui
    visait tous les crimes contre l'humanité du XXe siècle et ceux qui
    pourraient, hélas, être à venir. Nous avions beaucoup travaillé à
    Marseille avec les Arméniens, définissant trois écueils : ne pas s'en
    tenir au seul angle, réducteur car relatif à la seule presse, de la
    loi Gayssot ; rester dans les clous constitutionnels : ne pas prêter
    le flanc à la pression de la Turquie.

    C'est donc avec plaisir que j'ai vu mes collègues socialistes déposer
    ce texte -même si nos propositions de 2005 avaient l'avantage d'éviter
    le qualificatif de « loi mémorielle ». Le négationnisme n'est pas un
    mode d'expression comme les autres : son objectif est en effet de
    falsifier l'histoire pour effacer de la mémoire collective toute trace
    des génocides. Il doit être sanctionné par la même peine que celle qui
    s'applique à la négation de la Shoah. Ce serait un progrès immense
    pour la cause arménienne, envoyant un signal clair à tous les
    communautarismes. Ce serait un progrès pour l'humanité tout entière.

    Il ne s'agit ni d'imposer une histoire d'État ni de stigmatiser la
    Turquie, mais d'oeuvrer à la réconciliation de ces peuples en leur
    rendant la mémoire.

    Sans doute, ce texte est perfectible, mais l'essentiel est qu'il
    existe et emporte l'assentiment du plus grand nombre, par delà les
    clivages politiques.

    Je voterai, avec mon groupe, en conscience, cette proposition de loi
    et j'espère avoir convaincu. (Applaudissements sur les bancs CRC et
    sur certains bancs socialistes)

    M. Josselin de Rohan. - (Applaudissements sur les bancs UMP) Je ne
    m'embarrasserai pas de précautions oratoires : ce texte est
    inopportun, inacceptable et irrecevable, car inconstitutionnel. Le
    président Hyest l'a clairement démontré.

    Il ne peut que contribuer à détériorer la relation entre la France et
    la Turquie sans contribuer à rapprocher ce pays de la République
    arménienne, qui n'a rien demandé.

    Alors que le lche assassinat d'un journaliste turc d'origine
    arménienne suscite dans les consciences turques une réflexion
    salutaire, ce texte est fort malvenu. Il serait un encouragement pour
    les extrémistes, déterminés à nier la réalité à toute force.

    Le devoir de la France n'est pas d'attiser les débats mais de
    rapprocher les bonnes volontés. Alors que nombreux sont aujourd'hui
    les citoyens turcs qui ne cachent plus leurs origines arméniennes,
    adopter ce texte serait terriblement contre-productif. Veut-on voir
    condamner quiconque mettrait en cause, en sa qualité d'historien,
    l'étendue ou la portée des massacres sur telle partie du territoire,
    comme fut poursuivi cet historien irréprochable qui niait que
    l'esclavage ait été proprement un « génocide » ? Faudra-t-il que les
    chercheurs s'exilent pour poursuivre leurs travaux ? René Rémond,
    suivi par Pierre Nora, s'est inquiété de cette façon de mettre en
    cause la liberté de pensée des historiens. L'entreprise, je le dis,
    est obscurantiste. Le génocide arménien est reconnu par la loi. Nous
    ne voulons pas l'effacer de la mémoire, mais on ne saurait pour autant
    mettre en cause la liberté d'expression qui est la marque de notre
    pays, liberté pour laquelle sont morts Manouchian et ses compagnons.
    N'écoutez pas ceux qui veulent dévoyer votre cause en l'entraînant sur
    la voie du communautarisme et de l'extrémisme ! Elle est trop juste
    pour que vous la laissiez altérer. (Applaudissements sur la plupart
    des bancs UMP)

    M. Charles Gautier. - La France, patrie des droits de l'homme ? Nous
    nous en flattons tous. Mais des positions récentes écornent cette
    réputation. Qu'adviendrait-il si nous nous érigions, ici et
    maintenant, en censeurs de l'Histoire ? Qui sommes-nous pour blmer un
    peuple pour les agissements de ses arrière-grands-parents ? Foin de
    cette arrogance.

    Les historiens ne veulent pas de lois mémorielles auxquelles se
    complait le Parlement. Il reste un important travail de recherche à
    mener sur le génocide arménien : n'interférons pas, pour de vagues
    raisons électoralistes.

    Loin de moi l'idée de minimiser l'atrocité des crimes commis, mais
    j'appelle à regarder vers l'avenir, en tenant compte des liens
    diplomatiques de notre pays, au bénéfice de la paix. Des voies de
    recours existent déjà dans notre droit pour punir les personnes
    contestant tout génocide : ce texte me paraît donc au minimum inutile.

    Pire, il est dangereux, exacerbant le nationalisme et entravant toute
    tentative de dialogue entre Turcs et Arméniens.

    M. Josselin de Rohan. - Très bien !

    M. Charles Gautier. - Les liens entre la France et la Turquie seront à
    reconstruire entièrement, à un moment où elles sont déjà très
    détériorées. Quant aux bribes de dialogues entamés entre Turcs et
    Arméniens, il n'en restera rien.

    Enfin, ne peut-on pas craindre que les relations entre les Français
    d'origines turque et arménienne se dégradent de la même manière ? Quel
    est l'intérêt de la France à opposer l'une contre l'autre deux
    communautés vivant sur son territoire ?

    D'autres ressortissants français ont été victimes de crimes contre
    l'humanité. Mais ne constituant pas une communauté aussi nombreuse,
    ils ne savent faire entendre leur douleur. Évitons d'instiller
    l'inégalité dans nos lois : l'universalisme est une valeur trop
    précieuse pour être bafouée de la sorte.

    La France, qui a inventé la laïcité, cette neutralité de l'Etat
    vis-à-vis des opinions religieuses, doit faire de même pour
    l'histoire.

    C'est pour toutes ces raisons que je m'opposerai à ce texte.

    Cette proposition de loi a toutefois un mérite : celui de poser le
    débat. Espérons que demain il soit définitivement clos.
    (Applaudissements sur certains bancs socialistes et sur la plupart des
    bancs UMP)

    M. Bruno Gilles. - J'associe Mme Joissains à mon propos.

    Je comprends les arguments juridiques de la commission des lois : les
    lois mémorielles posent de fait problème. Mais à titre personnel, par
    mon vote, je veux dénoncer un scandale : l'État turc, candidat à
    l'Union européenne, continue à pénaliser ses ressortissants qui
    appellent à la reconnaissance du génocide. Comment, à ce compte,
    poursuivre les négociations ?

    Peut-on brader les principes au nom de sordides calculs économiques,
    pour le bénéfice de nos entreprises sur le territoire turc ?

    J'assume mes positions. Oui, je reconnais le génocide arménien. Je
    voterai contre la motion d'irrecevabilité, en faveur du texte de M.
    Lagauche.

    Toutefois, je voudrais dire que l'hypocrisie de certains me laisse un
    goût amer. Que nos compatriotes d'origine arménienne ne s'y trompent
    pas ! Certes, la manoeuvre était bien montée : présenter dans la niche
    parlementaire socialiste un texte satisfaisant la diaspora arménienne
    de France et ne déployer aucun effort en faveur de son adoption, afin
    de faire endosser à la majorité et au Gouvernement la responsabilité
    de l'échec. La ficelle est un peu grosse !

    Vous savez bien, pourtant, qu'il fallait le faire signer par ceux qui,
    sur les bancs qui vous font face, étaient prêts à le soutenir, comme
    l'avait fait M. Gaudin.

    M. Bernard Piras. - C'est moi qui l'avais fait.

    M. Bruno Gilles. - Je vous en félicite !

    Ami de longue date des Français arméniens de souche, je voterai en
    faveur du texte de Serge Lagauche et contre l'exception
    d'irrecevabilité, mais je proteste devant vous, solennellement, car ce
    sujet grave et douloureux méritait mieux qu'une petite combine
    partisane. (Applaudissements sur certains bancs à droite,
    protestations sur plusieurs bancs socialistes)

    M. Bernard Piras. - Vous n'aviez qu'à en prendre l'initiative !

    M. Gérard Collomb. - Summum jus, summa injuria : maxime qu'il est bon
    d'avoir aujourd'hui à l'esprit.

    J'entends bien les arguments que nous opposent le droit, la diplomatie
    ; j'entends M. Hyest lorsqu'il explique que l'on ne peut s'appuyer sur
    aucune convention internationale ni aucune décision de justice ;
    j'entends M. de Rohan qui s'inquiète d'un texte susceptible de
    perturber nos relations diplomatiques.

    Mais c'est ce type de raisonnement qui a conduit, dans le silence
    assourdissant des nations, au génocide arménien. À l'époque, déjà, on
    évoquait le droit ou les relations diplomatiques pour ne pas agir...
    Une seule voix, celle de Jean Jaurès, dénonçait dès 1896 ce drame
    abominable : « Il faut sauver les Arméniens l Ce qui importe, ce qui
    est grave, ce n'est pas que la brute humaine se soit déchaînée là-bas,
    ce n'est pas qu'elle se soit éveillée. Ce qui est grave, c'est qu'elle
    ne s'est pas éveillée spontanément ; c'est qu'elle a été excitée,
    encouragée, nourrie des appétits les plus féroces par un gouvernement
    régulier avec lequel l'Europe a échangé plus d'une fois, gravement, sa
    signature. »

    Rien n'y fit, et du massacre on en vint au génocide. On en connut tôt
    le caractère : les observateurs, tel le consul américain Jesse B.
    Jackson, dénonçaient alors le caractère systématique du massacre.
    Pourtant, ces voix éparses ne surent se faire entendre. Un immense
    silence avait tout recouvert. Silence des survivants, silence d'une
    douleur cachée, d'une plaie que l'on tait, comme dans la culpabilité.

    Plaider le droit, donc ? Plaider la Constitution ? Nous, nous plaidons
    tout simplement pour l'humanité. (Applaudissements sur plusieurs bancs
    du groupe socialiste et sur les bancs CRC)

    M. Dominique Braye. - Cela vous va bien !

    M. Ambroise Dupont. - J'entends bien les attentes de nos compatriotes
    arméniens. S'il ne me paraît pas opportun d'adopter ce texte, il est
    l'occasion de débattre de la place des lois mémorielles dans notre
    droit.

    Ce texte, le président Hyest l'a dit, pose plus de problèmes qu'il
    n'en résout. Au plan politique, quelques remarques. L'inflation des
    lois mémorielles conduit à se saisir de questions qui ne relèvent pas
    du Parlement, au risque d'ouvrir à chacun la tentation de faire valoir
    ses revendications.

    Et que dire de l'effet sur nos relations diplomatiques ? La France
    copréside le groupe de Minsk chargé de trouver une solution au conflit
    du Haut-Karabagh.

    Mme Nathalie Goulet. - Très bien !

    M. Ambroise Dupont. - Cette médiation contraint notre pays à une
    totale neutralité. Adopter ce texte attiserait les tensions et
    desservirait la paix. Plus profitable est d'encourager le
    rapprochement entre les États turc et arménien, par la diplomatie. Je
    soutiendrai donc la motion d'irrecevabilité. (Applaudissements sur la
    plupart des bancs UMP)

    M. Robert Badinter. - J'aurais toutes les raisons, intellectuelles,
    humaines, personnelles, de soutenir ce texte. Les génocides me font
    horreur, les crimes contre l'humanité flétrissent celle-ci. Cette
    flétrissure, hélas, ne s'est pas, depuis un siècle, refermée.

    Pourquoi, alors, suivrais-je la motion d'irrecevabilité ? C'est que
    l'on ne peut pas étendre les pouvoirs du Parlement au-delà de ce que
    la Constitution lui assigne. Nous sommes des législateurs et la loi
    n'existe que dans le respect de la Constitution. Or, ici, le
    législateur, emporté par l'émotion, s'est laissé entraîner sur les
    terres de l'historien dont, dans une démocratie, la liberté doit être
    absolument respectée. Édicter des lois qui disent l'histoire irait
    contre notre idiosyncrasie nationale.

    Le dernier article du doyen Vedel, paru dans les Mélanges Luchaire,
    est consacré à la loi du 29 janvier 2001. Pour lui, la question de sa
    constitutionnalité appelait une réponse simple et facile : le principe
    de séparation du législatif et du judiciaire interdit au législateur
    de qualifier les faits historiques, non seulement au regard de
    l'article 34, mais parce que ce serait usurper la compétence en
    matière internationale et la diplomatie. « Il n'est pas sérieux de
    proclamer que le législateur est souverain, que le Parlement détient
    ou peut confisquer toutes les compétences qui peuvent être exercées au
    nom de l'État. Une telle hérésie serait aux antipodes de la démocratie
    constitutionnelle qui n'admet pas d'avantage le règne du législateur
    que celui du gouvernement ou celui des juges ». Pour toutes ces
    raisons, il regardait la loi de 2001 comme contraire à la
    Constitution.

    Si je le rappelle, c'est que les auteurs de cette proposition de loi,
    emportés par la compassion, sont tombés dans un piège, qu'ils
    tendaient du même fait à la communauté arménienne elle-même. Car,
    depuis la révision de 2008, un texte qui s'enracine dans un autre
    autorise le Conseil constitutionnel à se saisir de la
    constitutionnalité du premier, (mouvements divers) dès lors que lui
    serait posée une question prioritaire de constitutionnalité. J'en
    appelle à tous les hommes de coeur : cette initiative conduirait au
    contraire du but poursuivi.

    La dernière affaire que j'ai plaidée le fut contre des révisionnistes,
    condamnés pour avoir manqué au devoir de l'historien. Contre
    quiconque, dans l'Hexagone, se livrerait à une contestation du
    génocide, il est donc des moyens d'agir.

    Cette loi, qui blesse la Constitution et fait de nous le juge de
    l'Histoire, va à l'encontre d'intérêts que je considère comme sacrés.
    Puissent enfin nos amis turcs mesurer le fait que depuis les atroces
    génocides de la seconde guerre mondiale, les dirigeants de toutes les
    nations démocratiques s'honorent en reconnaissant les crimes commis
    sur tous les continents : là est l'honneur des grandes démocraties, là
    est l'honneur des grands dirigeants. (Applaudissements sur la plupart
    des bancs)

    La discussion générale est close.

    Exception d'irrecevabilité

    M. le président. - Motion n°1, présentée par M. Hyest, au nom de la commission.

    En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat
    déclare irrecevable la proposition de loi tendant à réprimer la
    contestation de l'existence du génocide arménien (n° 607, 2009-2010).

    M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Certains
    préfèrent la simplicité de la passion à la complexité du raisonnement.
    Les progrès de l'État de droit sont aussi ceux de l'humanité. La
    commission des lois unanime a décidé d'opposer l'irrecevabilité à un
    texte qui est contraire à deux principes constitutionnels, celui de la
    légalité des délits et des peines et celui du droit à la liberté
    d'opinion et d'expression.

    La proposition de loi diffère de la loi Gayssot en ce que celle-ci au
    contraire de celle-là est adossée à des faits précis, reconnus par des
    conventions internationales ou des juridictions nationales. Dans un
    arrêt du 7 mai 2010 sur la loi de 2001, la Cour de cassation a estimé
    que « l'incrimination critiquée se réfère à des textes régulièrement
    introduits en droit interne, définissant de façon claire et précise
    l'infraction [...] dont la répression, dès lors, ne porte pas atteinte
    aux principes constitutionnels de liberté d'expression et d'opinion ».
    La situation est ici très différente, le génocide arménien ayant été
    perpétré antérieurement à l'adoption de la convention du 9 décembre
    1948 et dont les auteurs n'ont jamais été jugés -même si le génocide a
    été reconnu par la France dès le traité de Sèvres, jamais ratifié. Sur
    un plan strictement juridique, il n'existe pas de définition précise
    attestée par le droit des actes constituant ce génocide et des
    personnes responsables de son déclenchement.

    Quel est le périmètre exact de la notion de « contestation de
    l'existence du génocide arménien de 1915 » ? La « contestation »,
    d'acception plus large que « négation », fait problème : elle peut
    porter sur l'ampleur, les méthodes, les lieux des événements sans
    nécessairement nier leur existence. Le Conseil constitutionnel exige
    que l'infraction soit définie de façon précise, de sorte que
    l'appréciation du juge n'encoure pas la critique de l'arbitraire.

    La proposition de loi est d'autre part contraire au principe de la
    liberté d'expression, qui ne peut être restreinte que pour protéger
    d'autres droits et libertés également reconnus par la loi. Encore
    faut-il que les restrictions soient proportionnées.

    Si la loi Gayssot n'est pas contraire à ce principe, c'est qu'elle
    tend à prévenir aujourd'hui la résurgence du discours antisémite.
    C'est ce qu'a reconnu la CEDH dans la décision Garaudy du 24 juin
    2003. Tel a été également l'objectif du législateur communautaire lors
    de l'élaboration de la décision-cadre du 28 novembre 2008, dont la
    finalité n'est pas de protéger la mémoire mais de lutter contre la
    discrimination -le Parlement en sera saisi prochainement.

    Aucun discours de nature comparable à l'antisémitisme ne paraît viser
    aujourd'hui en France nos compatriotes d'origine arménienne ; la
    création d'une incrimination spécifique telle que prévue par la
    proposition de loi paraît excéder les restrictions communément admises
    pour justifier une atteinte à la liberté d'expression.

    Au vu de ces éléments et du risque de censure qu'encourt la
    proposition de loi -je remercie le président Badinter d'avoir cité le
    doyen Vedel- la commission des lois oppose au texte l'exception
    d'irrecevabilité. (Applaudissements sur de nombreux bancs à droite)

    M. Bernard Piras. - Vous voulez donc que les sénateurs ne soient pas
    en mesure de se prononcer sur la proposition de loi. L'exception
    d'irrecevabilité est une atteinte à la liberté d'expression des
    représentants du peuple ; elle nous est opposée ici pour des motifs de
    pure opportunité.

    M. Dominique Braye. - Les vôtres sont d'électoralisme !

    M. Bernard Piras. - La France préfère la protection de ses intérêts
    économiques à la défense des valeurs fondamentales. Je suis au moins
    satisfait que nul ici n'ait refusé de reconnaître pour tel le génocide
    arménien.

    La loi du 29 janvier 2001 est purement déclarative ; il faut
    l'accompagner de sanctions, sans lesquelles le juge ne peut la faire
    respecter. Non, notre arsenal juridique ne permet pas de sanctionner
    le négationnisme du génocide arménien. Affirmer que la responsabilité
    des négationnistes peut être engagée sur la base de l'article 1382 du
    code civil est une contrevérité (M. Jean-Jacques Hyest, président de
    la commission des lois, s'exclame) : cet article ne peut fonder de
    sanction pénale. Le TGI de Paris a affirmé en 1995 que si le
    législateur avait la possibilité de définir le négationnisme du
    génocide arménien comme une infraction pénale, la juridiction
    judiciaire n'était pas en l'état en mesure de condamner ces actes
    négationnistes.

    Loi mémorielle ? Pas celle-ci ! Il ne s'agit pas de qualifier des
    faits historiques. Elle vise seulement le négationnisme, qui participe
    consubstantiellement de l'état d'esprit génocidaire. Absence de faits
    ? Avez-vous oublié les dramatiques événements lyonnais de mars 2006 ?

    La légalité des peines ? Depuis quand le législateur devrait-il se
    référer à des conventions internationales ou à des jugements revêtus
    de la force de la chose jugée ? S'agissant de la loi Gayssot, les
    jugements de Nuremberg n'ont pas été intégrés, que je sache, dans
    notre bloc de constitutionnalité ! Il existe d'ailleurs des décisions
    de justice revêtues de l'autorité de la chose jugée : en 1919, des
    cours martiales ont siégé ; la déclaration du 24 mai 1915, le traité
    de Sèvres, la résolution du Parlement européen de 1987 et celle de
    l'Assemblée du Conseil de l'Europe de 1998 ; ou encore la décision du
    juge fédéral argentin qui affirme que le gouvernement turc a commis un
    crime de génocide envers le peuple arménien.

    La liberté d'expression ? La question a été réglée par la loi Gayssot.
    C'est la situation actuelle qui crée une rupture d'égalité, entre la
    négation du génocide juif et celle du génocide arménien. Y aurait-il
    une hiérarchie entre les génocides ? Et l'existence de sanction n'a
    nullement empêché les historiens de continuer leurs travaux sur le
    génocide juif.

    Le Conseil de l'Union européenne a adopté en novembre 2008 une
    décision-cadre disposant que chaque État membre de l'Union devait
    prendre « les mesures nécessaires pour faire en sorte que (...) soient
    punissables l'apologie, la négation ou la banalisation grossière
    publiques des crimes de génocide, crimes contre l'humanité et crimes
    de guerre ». Cette décision-cadre nécessite un acte de transposition
    -encore à venir. En tout cas, il est clair qu'aux yeux du législateur
    européen, la pénalisation du négationnisme n'est pas une atteinte à la
    liberté d'expression. Les Suisses, de leur côté, se sont dotés d'une
    législation antinégationniste ; ils ont condamné un négationniste. Que
    dira la Cour de Strasbourg ? Je prie le président Badinter d'y être
    attentif !

    Comment le juge constitutionnel français pourra-t-il concilier le
    principe de la dignité de la personne -considéré depuis le célèbre
    arrêt « Morsang-sur-Orge » comme d'ordre public- avec une éventuelle
    condamnation de ce texte ?

    Ayez un peu de courage, mes chers collègues ! Ne passez pas à côté de
    l'Histoire ! Rejetez cette motion ! (Applaudissements au centre et sur
    certains bancs socialistes)

    M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Aucun
    pays ne pénalise la négation ni la contestation du génocide arménien.
    Vous citez la décision d'une juge argentin ? Il est vrai que
    l'Argentine a toujours été un modèle... La loi Gayssot est liée, comme
    l'exige la décision-cadre, avec un phénomène actuel, ce qui était le
    cas de la recrudescence de l'antisémitisme.

    La commission des lois, pour toutes ces raisons et celles qu'a
    énoncées le président Badinter, reste convaincue que l'exception
    d'irrecevabilité est justifiée. (Applaudissements sur de nombreux
    bancs à droite)

    M. François Zocchetto. - La position de la République est claire : la
    loi de 2001 reconnaît l'existence du génocide arménien. La question
    est de savoir comment s'opposer à ceux qui la nient.

    Le droit n'est pas tout, il ne peut pas tout. Il faut d'abord et
    surtout expliquer et réexpliquer ce que fut l'Histoire. Il faut
    ensuite fermement poursuivre, sur le fondement des dispositions
    pénales existantes, tout acte ou affirmation niant le génocide
    arménien. Ce texte n'est pas le bon véhicule. Son inconstitutionnalité
    est certaine et le risque de retour en arrière n'est pas mince.

    La quasi-totalité des membres du groupe de l'Union centriste voteront
    l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs de
    l'Union centriste)

    M. Jacques Blanc. - Je tiens d'abord à exprimer notre sympathie au
    président Hyest, dans les circonstances difficiles qu'il traverse.

    La majorité de l'UMP votera l'exception d'irrecevabilité. La France a
    accueilli un grand nombre d'Arméniens qui nous font honneur et
    contribuent à notre enrichissement mutuel. Faut-il pour autant adopter
    cette proposition de loi ? Nous ne le pensons pas. Comme le président
    Accoyer, nous ne souhaitons pas de nouvelles lois mémorielles, sinon
    pour défendre des principes posés par l'article premier de la
    Constitution.

    Pour qualifier des faits, nous ne pouvons nous en remettre qu'à la
    recherche historique. Elle seule peut nous approcher de la vérité.
    Sceller la vérité dans le marbre de la loi reviendrait à emmurer la
    recherche historique. Ce n'est pas à une majorité politique de fixer
    et d'imposer des vérités historiques non plus que scientifiques. Ceux
    qui l'ont fait ne respectaient guère les droits de l'Homme...

    Seul le dialogue peut faire avancer. Notre débat, enrichi par les
    travaux de la commission des lois, nous conduit à voter l'exception
    d'irrecevabilité. (Applaudissements sur la plupart des bancs UMP)

    M. Guy Fischer. - Je regrette la frilosité de certains de nos
    collègues. Nous sommes tous d'accord, cependant, pour rendre justice
    au peuple arménien.

    En quoi condamner un génocide que tous reconnaissent serait entraver
    le travail des historiens ? Dès 1915, une déclaration commune
    franco-anglo-russe condamnait le génocide arménien et appelait à juger
    ses auteurs.

    Notre débat transcende nos oppositions politiques. Sans doute
    faudrait-il nous montrer plus froids mais nous sommes nombreux à nous
    émouvoir de ce qu'ont vécu les aïeux de nos compatriotes. L'Histoire
    ne peut jamais s'abstraire de ce riche substrat que constitue la
    mémoire des groupes humains.

    La loi Gayssot n'a pas empêché les historiens de poursuivre leur
    travail sur la Shoah.

    Le peuple arménien de France s'est souvenu du génocide subi à la
    génération précédente, quand il s'est élevé contre le fascisme.

    La plupart d'entre nous nous opposerons à cette motion
    d'irrecevabilité, que Robert Hue votera. (Applaudissements sur
    certains bancs du groupe CRC)

    M. Gérard Collomb. - Le groupe socialiste, vous l'avez vu, n'est pas
    unanime sur cette proposition de loi. Il y a dix ans, les sénateurs
    n'étaient pas aussi unanimes qu'aujourd'hui à reconnaître le génocide
    arménien...

    Le négationnisme n'est pas une opinion, je le sais pour l'avoir vu et
    vécu ; dans ma ville, dans notre université, on a proféré les pires
    thèses, on a contesté l'existence des chambres à gaz au nom de la
    liberté de l'historien.

    Les choses évoluent, ici et en Turquie. Je suis un ami du peuple turc,
    dont je souhaite l'entrée dans l'Union européenne. Mais je ne pense
    pas que l'amitié puisse se sceller en ignorant l'Histoire. Ceux qui
    mènent là-bas un combat pour la reconnaissance d'un triste passé
    mènent aussi un combat pour l'avenir. C'est lorsque le peuple allemand
    a reconnu les horreurs du nazisme que la réconciliation avec la France
    fut possible.

    J'espère bien que, demain, plus personne, nulle part, ne niera le
    génocide arménien.

    À la demande de la commission des lois, la motion n°1 est mise aux
    voix par scrutin public

    M. le président. - Voici les résultats du scrutin :

    Nombre de votants 290 Nombre de suffrages exprimés 270 Majorité
    absolue des suffrages exprimés 136 Pour l'adoption 196 Contre 74

    Le Sénat a adopté.

    La séance est suspendue à 17 h 15.

    jeudi 5 mai 2011,
    Sté[email protected]




    From: A. Papazian
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