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Fethiye Cetin, "Metisse" Turco-Armenienne

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    FETHIYE CETIN, "METISSE" TURCO-ARMENIENNE

    La Croix
    http://www.la-croix.com/Actualite/S-informer/Monde/Fethiye-Cetin-metisse-turco-armenienne-_EP_-2011-05-13-615328
    13 mai 2011
    France

    Avocate, militante des droits de l'homme, elle a raconté l'histoire
    de sa grand-mère, Arménienne rescapée du génocide. Elle donne
    la parole aux Â" petits-enfants Â" pour que la Turquie regarde son
    histoire en face

    Les étagères de son bureau, situé dans un quartier commercant
    d'Istanbul, regorgent de classeurs. Sur la tranche, le nom des affaires
    que cette avocate, militante des droits de l'homme, défend.

    En Turquie, plus personne n'ignore Fethiye Cetin. Son premier ouvrage,
    Le Livre de ma grand-mère (1), l'a révélée au public et a provoqué
    un séisme dans un pays qui ne reconnaît pas sa responsabilité dans
    le génocide des Arméniens en 1915.

    Fethiye, Turque musulmane, a brisé un tabou avec ce premier livre.

    Elle y raconte le secret de sa grand-mère, Seher, qui un jour la prend
    a part et lui révèle qu'elle est arménienne, rescapée du génocide.

    Seher s'appelait Heranus et était la fille d'Hovanes et Isquhi
    Gadarian, née dans un village de la province anatolienne de Maden.

    Une histoire loin d'être unique L'ouvrage en est a sa onzième
    réédition en Turquie. Il a levé le voile sur une réalité
    jusque-la occultée en Turquie. L'histoire de sa grand-mère est
    celle de beaucoup d'Arméniens.

    Chassés de leurs villages par l'armée turque, en 1915, ils
    entreprennent la marche de la mort vers le désert syrien. Beaucoup
    mourront en route. Sa grand-mère encore enfant est arrachée des
    bras de sa mère par un officier.

    Rebaptisée Seher, adoptée par le militaire comme sa fille, elle est
    plus tard mariée a un Turc. Son frère a, lui aussi, échappé a la
    mort, comme sa mère, ce qu'elle apprendra des années après.

    La révélation d'un lourd secret de famille Fethiye a 25 ans lorsque
    sa grand-mère lui révèle son secret. Elle venait de s'inscrire
    a la faculté de droit d'Ankara. Â"â~@~IJe ne me doutais de rien
    auparavant, mais, avec le recul, j'ai compris qu'il y avait des
    indices qui auraient pu m'ouvrir les yeux, mais je n'avais pas le
    bagage pour les comprendre.â~@~IÂ"

    Par exemple, ce jour de l'année où sa grand-mère cuisinait un
    gâteau très particulier, comme d'autres femmes autour d'elles qui
    ensuite se rendaient visite. Â"â~@~IC'était, en fait, le jour de
    Pâques.â~@~IÂ"

    Ã~@ 61 ans, Fethiye a retrouvé la sérénité, mais a l'époque où
    elle apprend le Â"â~@~Isecret de familleâ~@~IÂ", la colère l'emporte
    comme le flot d'un torrent. Â"â~@~IJ'avais envie de crier dans la
    rue a l'adresse de tout le mondeâ~@~I: on nous a menti, on nous ment
    encore.â~@~IÂ"

    Une introspection facilitée par son militantisme de gauche Elle prend
    conscience de la complicité de l'Ã~Itat et de la manière dont il
    faisait perdurer le mensonge sur cette période de notre histoire. Â"
    J'ai commencé a questionner l'idéologie qui avait mené a ce silence,
    l'histoire telle qu'elle nous avait été racontée.â~@~IÂ"

    Fethiye veut comprendre. Ce qui passe aussi par une introspection sur
    elle-même, sur son militantisme. Â"â~@~IJ'étais de gauche, j'avais
    passé des années dans des mouvements de jeunesse, mais une partie
    de moi restait nationaliste, c'était aussi la réalité de ce que
    nous vivions dans notre pays.â~@~IÂ"

    Elle se remémore toutes les expressions que compte la langue turque,
    discriminatoires envers les minorités. Par exempleâ~@~I: Â" C'est
    lourd comme un mécréantâ~@~IÂ". Et beaucoup d'autres encore.

    Â"â~@~IJ'ai commencé a me retenir de les utiliser. J'ai senti le
    besoin de lutter contre le racisme et le nationalisme au sein même
    des groupes de gauche dans lesquels je militais.â~@~IÂ"

    Même en prison, elle murmure son histoire Une partie de ce
    nationalisme turc désormais la dérange. Fethiye termine ses
    études de droit et devient avocate. Sa propre histoire la mène
    a s'intéresser aux injustices, aux préjudices infligés aux
    non-musulmans.

    Elle se spécialise en droit des minorités. Â"â~@~IMa première prise
    de conscience a démarré avec les Grecs, les Arméniens, les Juifs,
    les Assyriens, mais aussi les Kurdes.â~@~IÂ"

    Après le coup d'Ã~Itat militaire, en 1980, la militante de gauche
    est arrêtée et incarcérée pendant trois ans. Mais les tabous sont
    tels que, même en prison, alors qu'elle partage la cellule de jeunes
    Turques de l'opposition, comme elle, elle doit murmurer lorsqu'elle
    raconte l'histoire de sa grand-mère.

    Un paradoxe, Â"â~@~Ialors que l'on criait contre la dictature,
    pourquoi ne pas en parler ouvertementâ~@~I? Nous reproduisions les
    mêmes schémas que nos parents et nos grands- parents.â~@~IÂ" Aussi,
    a sa sortie de prison, elle décide qu'il est temps de lever le voile
    sur l'histoire de son pays.

    Ecrire pour se réconcilier Elle entreprend de rechercher la famille
    de sa grand-mère aux Ã~Itats-Unis, car elle a appris que le frère de
    Seher a survécu au massacre. Elle recoit des réponses et recolle
    les morceaux du puzzle familial. Â"â~@~IJe voulais que ce soit
    écrit.â~@~IÂ" En 2004 paraît Le Livre de ma grand-mère.

    L'écrire l'a aidée a se réconcilier avec elle-même. Une fois le
    livre terminé, Â"â~@~Ij'ai retrouvé le sommeil. Ces larmes versées
    m'ont aidée a guérirâ~@~I.Â" Le livre est un succès grâce au
    bouche-a-oreille. Mais la famille de Fethiye se divise.

    Â"â~@~ILa génération de mes parents était très mal a l'aise
    parce que je n'avais rien dissimulé, ni les noms, ni les photos. Ils
    avaient peur.

    Par contre, les jeunes de la famille m'ont soutenue. Ce qui est
    important car ce sont eux qui changeront les choses.â~@~IÂ"

    Le secret de famille était bien gardé. Â"â~@~ILa génération de
    ma grand-mère a subi et s'est tue, celle de ma mère a appris la
    vérité et s'est tue. Ma génération a commencé a faire ressortir
    la vérité.â~@~IÂ" La transmission par les femmes demeurait dans un
    cercle très restreint. Â" Pour ne pas oublier ce qui devait rester
    un secret de famille.â~@~IÂ"

    Le silence pour éviter tout débat A-t-elle recu des menaces? Â"
    Aucune. Parce que mon histoire est tellement courante dans notre
    pays, des millions de gens sont concernés. Dans toutes les familles,
    il y a des histoires semblables.Â"

    Côté politique, c'est le silence. Â"Peut-être parce que mon livre
    ne raconte que l'histoire d'une petite personne privée qu'on ne peut
    pas contester.?Â" Peut-être aussi le pouvoir voulait-il éviter de
    lui donner de la publicité en engageant une polémique.

    Il était plus commode de le taire que de toucher au tabou qui aurait
    conduit a ouvrir le débat sur le socle de l'identité turque.

    Â"Or, poursuit-elle, c'est le travail des dirigeants turcs. Le jour
    où ils se revendiqueront les représentants de tous dans le pays, et
    non plus seulement des musulmans sunnites, alors on pourra redéfinir
    l'identité turque, et vivre en harmonie dans le respect des uns et
    des autres. C'est la responsabilité de l'Ã~Itat et de ses dirigeants
    de faire le travail de mémoire en commencant en 1915 et de demander
    pardon.Â"

    Comme elle, les gens veulent partager leurs secrets L'histoire avance
    dans le public. La boîte mail de Fethiye est saturée de messages de
    gens qui, comme elle, veulent partager le secret de leur famille. Des
    centaines de lettres arrivent a son bureau, des gens viennent a
    son cabinet.

    Â"Je ne m'attendais pas a ca. J'ai appris que les histoires humaines
    pouvaient briser les tabous et susciter de l'intérêt même chez
    les nationalistes. Les Turcs s'interrogeaient sur leurs origines,
    surtout ceux dont la grand-mère n'avait plus de famille.Â"

    L'avocate a conscience qu'a travers son livre, Â"c'est l'identité
    turque et la pensée unique selon laquelle l'Arménien est l'ennemi
    de la Turquie, qui est remise en cause Â".

    Â" Le tabou est tellement énorme Â" Puis, avec la sociologue Ayse
    Gul Altinay, qui a participé a la conférence arménienne en 2005 a
    Istanbul, elle projette de publier les récits des petits-enfants de
    ces Arméniens Â"cachésÂ" ou Â"convertisÂ" tels qu'on les désigne
    en Turquie.

    Â"Seule une infime minorité a accepté. Ils avaient peur, le tabou
    est tellement énorme. En 2005, on n'en était pas encore la où on
    est arrivé aujourd'hui.Â" Il faudra attendre avant que ne sorte le
    livre intitulé Les Petits-Enfants (2).

    Car entre-temps, en 2007, les vieux démons nationalistes de la
    Turquie resurgissent. Son ami Hrant Dink, directeur de la rédaction
    de l'hebdomadaire Agos, qui milite pour la réconciliation entre Turcs
    et Arméniens, est assassiné par un jeune nationaliste turc, mettant
    momentanément un terme a cette ouverture sur l'histoire de la Turquie.

    Â"On a fait une pause.Â"

    Une identité métisse Finalement, en 2009, après cinq ans de travail,
    le deuxième livre sort enfin. Â" Il raconte la transformation dans
    les têtes et les cÅ"urs des petits-enfants après la révélation
    de leur identité arménienne. Le temps qui a passé a atténué la
    colère pour eux, pour moi aussi. Nous sommes plus sereins.Â"

    Se sent-elle turque, arménienne? Â" Je me définis comme
    métisse. Quand il y a des attaques personnelles contre les Arméniens
    de Turquie, mon côté arménien me pousse a les défendre. Quand il
    y a des incidents contre les Turcs en Allemagne, je me place auprès
    des opprimés.Â"

    Â" Ã~Jtre arménien en Turquie c'est a la fois appartenir a
    une ethnie et a une religion.Â" Après avoir découvert leur
    arménité, certains témoins du livre Les Petits-Enfants se sont
    convertis. Â"Ils l'ont fait pour devenir arméniens, pas seulement
    pour être chrétiens. Personnellement, je ne suis pas pratiquante,
    la découverte de mes origines arméniennes n'a pas eu d'effet sur
    mon identité religieuse.Â" Mais elle a visité plus d'églises que
    de mosquées, Â" mon côté ethnique! Â".

    (1) Le Livre de ma grand-mère, Ã~Iditions de l'Aube, 142 p., (2)
    Les Petits-Enfants,Actes Sud, 320 p.,




    From: A. Papazian
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