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Le père Komitas, héros du folklore oublié

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  • Le père Komitas, héros du folklore oublié

    REVUE DE PRESSE
    Le père Komitas, héros du folklore oublié
    Le Père Komitas a survécu au génocide et a en quelque sorte créé un
    pont entre les musiques arméniennes et turque. Il devrait être mieux
    connu.


    Dimanche 24 avril est le jour de Pques, mais pour les Arméniens c'est
    aussi le jour de la commémoration du Génocide. C'est le jour de
    l'année où tous les Arméniens du monde se réuniront pour marquer
    l'anniveraire du Génocide de 1915 au cours duquel, en Turquie, un
    million et demi d'Arméniens ont été massacrés ou sont morts dans des
    marches forcées vers l'exil. Pour les Arméniens, la musique, c'est de
    la mémoire. Et dès qu'ils se rencontrent, pour honorer leurs morts,
    leurs chants sont ceux du compositeur qui parle pour l'me de leur
    nation, le Père Komitas. Il est lui-même l'une des victimes de la
    persécution de 1915, et bien qu'il y ait survécu physiquement, il a
    sombré dans la folie. Excepté en Arménie, il a été lui aussi balayé
    sous le tapis de l'histoire.

    L'`uvre de Komitas est modeste : 80 pièces chorales et chansons,
    arrangements de la messe arménienne et quelques danses pour piano.
    Mais comme l'a reconnu son compatriote plus connu, Aram Kachatourian,
    il a consruit à lui tout seul les bases de la tradition classique
    arménienne. Et ayant retrouvé les chansons du folklore et les ayant
    arrangées, il a été pour l'Arménie ce que Bartok a été pour la
    Hongrie, tirant de simples mélodies d'ensorcelantes polyphonies
    sophistiquées. A la suite d'un concert de Komitas à Paris, Claude
    Debussy déclara que pour une seule de ses chansons, il méritait d'être
    reconnu parmi les grands compositeurs. Et cependant, beaucoup de
    musiciens classiques connaissent tout juste son nom.

    J'ai été informé de l'existence de Komitas la première fois lors d'un
    enregistrement du Ch`ur de Chambre à Erevan en 2001. J'ai été intrigué
    par l'étrangeté des vibrations de ses chants : la beauté brute des
    mélodies du folklore irradiait sous la finesse des arrangements.

    Soghomon Soghomonian - son vrai nom - était né de parents arméniens en
    1869, en Turquie, où la minorité arménienne endurait une
    discrimination constante. Ses parents (qui moururent tous les deux
    dans son jeune ge) étaient des chanteurs connus : il avait hérité de
    leur don et son talent fut décelé par un évêque arménien, qui l'enrola
    au séminaire d'Etchmiadzin, près d'Erevan. Il y devint le comédien de
    la classe qui pouvait interpréter les chansons qu'il trouvait dans les
    villages, sur les pentes du Mont Ararat : encore adolescent, il était
    devenu un pionier de l'ethnomusicologie. Mettant à profit la notation
    apprise dans la liturgie arménienne, il écrivait ce qu'il entendait ;
    il conçut des arrangements en trois parties, et organisa une chorale
    d'étudiants pour les chanter.

    L'appétit de Soghomonian pour les chansons était vorace - un jour,
    racontait-il avec fierté, il en avait recueilli 34. Sa relation de la
    chanson de labour trouvée dans le village arménien de Lori dénote son
    oreille extraordinaire : dans sa transcription, la musique, le
    mouvement et les rapports sociaux compliqués sont harmonieusement
    tissés. Dans un autre village, il observait une fille chantant pour sa
    mère morte : sa chanson pleine d'émotion plaintive, écrivit-il,
    "exprime la tristesse de son sort, et son univers intérieur. Si
    d'autres orphelins l'avaient entendue, ils se seraient joints à elle.
    Mais après quelque temps, cette chanson serait oubliée. Parce que pour
    le paysan, créer une chanson est aussi ordinaire et naturel qu'une
    conversation courante pour le reste d'entre nous." Etant l'expression
    de l'esprit même de la musique folklorique, il est impossible de faire
    mieux.

    Entre temps, il s'efforçait de décoder la notation 'neume'[méthode de
    notation de la musique avant l'invention de la portée moderne à cinq
    lignes], dénotant le changement de ton, employé dans les chants de la
    liturgie arménienne aux premiers temps du Moyen-ge. Altérée par la
    transmission orale à travers les siècles, Soghomonyan était résolu à
    trouver leur forme originale.

    A l'ge de 25 ans, Soghomonyan fut ordonné Vardapet - Prêtre
    célibataire - et se surnomma lui-même Komitas, du nom d'un poête du
    septième siècle. Mais Etchmiadzin était un petit monde, et il lui
    fallait déployer ses ailes. Il alla étudier à Berlin, puis se rendit à
    Paris, où il fonda un ensemble choral et commença à atteindre une
    audience plus large pour ses récitals de chants traditionnels.
    Considéré comme la voix de la musique arménienne, il était devenu à ce
    moment-là une célébrité européenne, mais ses interpétations séculaires
    de musique sacrée arménienne le placèrent en situation de conflit avec
    son clergé. Il rencontra aussi quelques problèmes du fait de ses
    relations avec la chanteuse arménienne Margaret Babayan, avec qui il
    fit un improbable séjour sur l'île de Wight. On ne saura jamais s'ils
    eurent une liaison amoureuse, mais ses lettres suggèrent une lutte
    douloureuse avec son me, au cours d'un combat sans fin avec les
    traditionnalistes de son église. Il était à la fois un sensuel et un
    ascète : il voulait se soumettre à la discipline mais ne pouvait faire
    taire ses aspirations d'artiste.

    Komitas continua sa recherche d'ensembles choraux arméniens expatriés
    à Alexandrie et à Constantinople, où il commença à trouver une
    certaine célébrité même auprès des Turcs. C'est alors que se produisit
    un événement gravement ironique. En 1913, alors que Komitas et un
    groupe d'intellectuels s'engageaient dans un projet d'hitoire orale
    pour célébrer la communauté arménienne de Turquie, les Turcs musulmans
    étaient incités par des élus politiques douteux à piller les villages
    chrétiens arméniens et à tuer leurs habitants. Les Arméniens de
    Turquie furent ghettoïsés, désarmés (juqu'à leurs couteaux de cuisine
    leur ont été enlevés), et finalement, le 24 avril 1915, déportés en
    masse. Komitas se trouvait parmi les 291 personnalités en vue
    entraïnées dans les montagnes. Lorsque la police se présenta, il se
    soumit à son arrestation avec un fatalisme kafkaïen.

    Le reste de son histoire a été pathétique. Il était d'abord le
    réconfort de ses amis tandis qu'ils étaient conduits d'une ville à
    l'autre, avec des bruits qui couraient sur leur sort de futurs
    fusillés. Un jour, il a été brutalisé par un gendarme, et quelque
    chose s'est cassé en lui : à partir de ce moment, bien qu'étant parmi
    le peu d'entre eux qui furent épargnés (grce à l'intervention de
    l'ambassadeur des Etats-Unis, l'un de ses admirateurs) il se réfugia
    dans un monde paranoïaque, passant ses vingt dernières années dans un
    asile.

    Un désordre dû au stress post-traumatique est clairement à l'origine
    de la dépression de Komitas, mais sa biographe, Rita Soulalian
    Kuyumdjian, soutient que les vrais racines résident dans son combat
    perdu pour "préserver" ses parents morts à travers les chansons qu'ils
    chantaient, et pour faire de même en souvenir de deux ecclésiastiques,
    en déchiffrant le code des neumes. Le Dr Vrej Nercessian, prêtre de
    l'église arménienne Saint Yeghiché à Kensington, est de cet avis : "la
    vraie tragédie de Komitas a été la rupture par rapport à sa recherche.
    Sa volonté était brisée." Selon le point de vue de Nercessian,
    consigner Komitas comme c'est souvent le cas, dans une boite étiquetée
    "Victimes du Génocide Arménien" est une insulte à sa mémoire. Komitas
    soutenait avoir trouvé le code des neumes, mais sa clé est perdue. Les
    spécialistes cherchent encore ce qui pourrait permettre l'ouverture
    d'une fascinante fenêtre sur l'histoire de la musique lointaine. Entre
    temps, en refusant de reconnaître toute séparation entre la musique
    populaire d'Arménie et de Turquie, Komitas a montré un domaine dans
    lequel l'antagonisme entre les deux peuples pourrait se résoudre. Mais
    ses oeuvres chorales sont ses monuments.

    Le compositeur de premier plan d'Arménie, Tigran Mansurian, a écrit
    rcemment un concerto pout violoncelle au titre riche de symbole, Où
    est ton frère, Abel ? Comme enfant de survivant du Génocide Arménien,
    Mansurian est toulours à la recherche d'une fin, et son guide est
    Komitas. "Son jardin de sons," dit Mansurian, "couvre un grand
    territoire en temps, s'étendant sur des millénaires." Mais dans le
    jardin de la musique classique occidentale, où est Komitas ?

    Michael Church

    Les Chansons de Gomidas, par Isabel Bayrakdarian se trouve sous le
    label Nonesuch.

    http://www.guardian.co.uk/music/2011/apr/21/komitas-vardapet-folk-music-armenia

    Traduction Gilbert Béguian

    samedi 18 juin 2011,
    Sté[email protected]


    From: Baghdasarian
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