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L'Allemagne Mobilise L'Armee Turque

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    L'ALLEMAGNE MOBILISE L'ARMEE TURQUE

    Imprescriptible.fr
    Publie le : 18-08-2011

    Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
    invite a lire des Extraits des Memoires de l'Ambassadeur Henri
    Morgenthau, Ambassadeur des Etats-Unis a Constantinople de 1913 a 1916,
    publies sur le site d'Imprescriptible.fr. Avocat d'origine juive,
    Henri Morgenthau s'est employe en vain pendant toute la duree de
    son mandat dans l'Empire ottoman, a contacter personnellement les
    chefs turcs du Comite Union et Progrès, les " Jeunes Turcs " Enver,
    Djemal et Talaat, pour les appeler a faire cesser les deportations et
    l'extermination de la population armenienne de Turquie. Il est l'un des
    Justes qui a oeuvre pour defendre les victimes du genocide armenien.

    Les Memoires de l'Ambassadeur Morgenthau

    CHAPITRE IV

    En lisant les journaux du mois d'août 1914, qui decrivaient les
    mobilisations respectives des nations europeennes, je fus frappe par
    l'admiration que manifestait la presse pour le magnifique elan avec
    lequel, du jour au lendemain, les populations civiles se transformèrent
    en armees. A cette epoque, la Turquie ne participait pas encore a
    la guerre et ses representants politiques affirmaient hautement leur
    intention de maintenir une stricte neutralite. Mais en depit de ces
    declarations pacifiques, les choses se passèrent a Constantinople de
    facon tout aussi belliqueuse que dans les autres capitales ; bien que
    la paix regnât, l'armee fut mobilisee. Simple mesure de precaution,
    nous fut-il dit.

    Cependant, les scènes dont j'etais quotidiennement spectateur avaient
    peu d'analogie avec celles qui se deroulaient chez les peuples
    combattants. Le patriotisme martial des hommes, la patience et le
    devouement sublime des femmes, peuvent donner parfois a la guerre un
    caractère d'heroïsme ; ici, l'impression generale pouvait se resumer
    ainsi : indifference, misère. Chaque jour, diverses hordes ottomanes
    traversaient les rues ; des Arabes, nu-pieds, pares de leurs vetements
    aux couleurs les plus vives, charges de longs sacs de toile contenant
    la ration reglementaire de cinq jours, la demarche lourde et l'air
    ahuri, coudoyaient des Bedouins egalement demoralises et qui (c'etait
    manifeste) avaient ete soudain arraches au desert. Un assemblage
    varie de Turcs, Circassiens, Grecs, Kurdes, Armeniens et Juifs se
    bousculaient sous nos yeux. L'aspect de ces hommes trahissait leur
    enlèvement rapide, les uns a leurs fermes, les autres a leurs magasins
    ; la plupart ne portaient que des haillons et beaucoup d'entre eux
    paraissaient a demi-morts de faim ; ils etaient l'image du desespoir,
    de la soumission - rappelant celle du betail - a un sort auquel ils
    savaient ne pouvoir se soustraire. Pas de joie a l'evocation de la
    bataille prochaine, ni la conscience du sacrifice a une noble cause
    ; non, jour après jour, ils passaient ainsi, a regret, sujets d'un
    empire dechu qui, dans l'ultime effort du desespoir, s'armait pour la
    lutte. Ces miserables soldats ne soupconnaient guère quelle puissance
    les tirait ainsi des quatre coins de leur pays !

    Nous-memes, le corps diplomatique, ne concevions pas alors la situation
    reelle. Nous apprîmes plus tard que l'ordre de cette mobilisation
    n'avait pas ete donne en principe par Enver ou Talaat, ou le Cabinet
    turc, mais par le Grand etat-Major de Berlin et ses representants a
    Constantinople, Liman von Sanders et Bronssart, qui en dirigèrent
    pratiquement les diverses operations. L'activite des Allemands se
    faisait sentir en toute chose. Dès que les armees germaniques eurent
    franchi le Rhin , on commenca a installer un gigantesque poste
    de telegraphie sans fil, a quelques milles de Constantinople. Les
    materiaux furent envoyes d'Allemagne, en passant par la Roumanie, et
    les machines, travaillant assidûment de l'aube au coucher du soleil,
    etaient evidemment de meme provenance.

    Naturellement, la legislation internationale fût prohibe la
    creation d'un poste semblable a l'usage d'un belligerant, dans un
    pays neutre comme la Turquie ; aussi fut-il annonce officiellement
    qu'une compagnie allemande construisait cet appareil, pointe vers
    le ciel, pour le compte du Gouvernement turc, et sur l'emplacement
    d'une propriete appartenant au Sultan lui-meme. Mais cette histoire
    ne trompa personne. Wangenheim parlait ouvertement et constamment
    de ce poste comme d'une entreprise allemande. " Avez-vous deja vu
    notre sans fil ? me demandait-il. Venez, allons jeter un coup d'
    ~\il sur sa construction. "

    Il proclamait avec fierte que c'etait le plus puissant instrument du
    monde - assez puissant pour saisir les messages transmis de Paris par
    la Tour Eiffel - grâce auquel il serait en communication constante avec
    Berlin. Il cherchait si peu a dissimuler que c'etait une possession
    allemande que, a plusieurs reprises, alors que les communications
    telegraphiques courantes furent suspendues, il m'offrit d'en faire
    usage pour expedier mes depeches.

    Cette installation etait un symbole exterieur de l'union intime,
    bien que non avouee, existant alors entre la Turquie et Berlin. Il
    fallut quelque temps jusqu'a ce que ce poste fût complètement edifie,
    et dans l'intervalle Wangenheim se servait de l'appareil installe
    sur le Corcovado, navire marchand mouille dans les eaux du Bosphore,
    en face de l'ambassade d'Allemagne, tandis que pour les sujets d'ordre
    pratique, il se contentait de telephoner.

    Les officiers allemands deployèrent, pendant cette mobilisation,
    un zèle presque egal a celui des Turcs eux-memes. Ils prenaient aux
    preparatifs un plaisir extreme ; en fait, ils paraissaient vivre
    les moments les plus heureux de leur existence ! Bronssart, Humann
    et Lafferts ne quittaient plus Enver, conseillant et dirigeant les
    operations. A toute heure du jour, les uns ou les autres traversaient
    les rues de la ville comme la foudre, dans des automobiles monstres,
    requisitionnees aux civils ; la nuit, ils envahissaient les restaurants
    et les lieux de plaisir, consommant de grandes quantites de Champagne -
    egalement requisitionne - pour celebrer les evenements.

    Une figure particulièrement theâtrale et tapageuse etait celle
    de von der Goltz Pacha ! Tel un vice-roi, il parcourait chaque
    jour Constantinople dans une enorme automobile, sur les portières
    de laquelle flamboyait l'aigle germanique, marchant a une allure
    folle, eclaboussant tout sur son passage ; sur le siège de devant, un
    trompette lancait au passage de la voiture des avertissements bruyants
    et provocants, maugreant contre quiconque - Turc ou autre - avait le
    malheur de se trouver sur le chemin ! Les Allemands se consideraient
    les maîtres du pays et ne cherchaient pas a le dissimuler. De meme que
    Wangenheim avait etabli une "petite Wilhemstrasse dans son ambassade,
    de meme les officiers installèrent un quartier general dependant du
    Grand etat-Major de Berlin ; ils avaient amene leurs femmes et leurs
    familles; je me souviens d'avoir entendu la baronne Wangenheim faire
    cette remarque " qu'elle tenait sa petite cour particulière ".

    Toutefois, les Allemands etaient a peu près les seuls a trouver du
    plaisir a la mobilisation. La requisition, qui accompagna celle-ci,
    n'etait que le pillage a peine deguise des civils. Les Turcs prenaient
    tous les chevaux, mules, chameaux, moutons, vaches et autres betes
    dont ils pouvaient s'emparer. Enver me confia qu'ils avaient de
    la sorte recueilli 150.000 animaux. Ils procedèrent sans aucune
    intelligence, ne se preoccupant pas de preserver la race ; par exemple,
    dans de nombreux villages, ils ne laissèrent que deux vaches ou deux
    juments. Ainsi depeint, ce système eut pour consequence inevitable de
    ruiner l'agriculture et, en fin de compte, d'affamer des centaines de
    milliers d'individus. Comme les Allemands, les Turcs estimaient que la
    guerre serait de courte duree et qu'ils recupereraient rapidement les
    dommages causes par l'application de ces methodes a leurs paysans. Le
    gouvernement n'agit pas avec moins d'imprudence et d'incomprehension
    quand il requisitionna les approvisionnements des marchands et des
    boutiques ; il proceda a peu près comme un voleur de grand chemin,
    conscient de son metier ; or, parmi ces commercants, il n'y avait
    aucun musulman ; la plupart d'entre eux etaient chretiens, quelques-uns
    juifs. Non seulement les fonctionnaires turcs pourvurent aux besoins
    des armees et garnirent a l'occasion leurs poches personnelles, mais
    ils trouvèrent un plaisir religieux a saccager les etablissements
    des infidèles. Ils entraient dans un magasin, prenaient pratiquement
    toute la marchandise rangee sur les rayons et donnaient simplement
    un morceau de papier en echange. Le gouvernement n'ayant jamais paye
    ce qu'il avait exige pendant les guerres d'Italie et des Balkans,
    les marchands ne comptaient guère recevoir quoi que ce soit pour ces
    derniers " achats ". Plus tard, ceux d'entre eux qui avaient quelques
    attaches officielles ou exercaient une influence politique obtinrent
    pourtant une compensation d'environ 70 % ; quant aux 30 % restant,
    qui connaît la bureaucratie orientale sait ce qu'il en advint !

    Pour la majeure partie de la population, la requisition etait synonyme
    de ruine. Les produits saisis par l'armee, ostensiblement pour les
    besoins des soldats, prouvent que les methodes employees ressemblaient
    singulièrement au brigandage. C'est ainsi que les officiers enlevèrent
    tout le mohair qu'ils purent trouver ; a l'occasion, ils emportèrent
    des bas de soie de femmes, des corsets, des pantoufles de bebes et
    j'ai connu un cas où ils approvisionnèrent l'intendance turque en
    caviar et autres friandises. Ils demandaient des couvertures a un
    marchand qui vendait de la lingerie feminine ; celui-ci n'en ayant pas
    en stock, les commissaires saisissaient la marchandise qu'il tenait et
    le commercant la retrouvait plus tard dans des etablissements rivaux.

    Les Turcs agirent de meme dans beaucoup d'autres circonstances.

    Le système predominant consistait a saisir les biens-meubles, partout
    où c'etait possible, et a les convertir en argent comptant ; je ne
    sais ce que devenait cet argent en dernier lieu, mais je suis sûr
    que nombre de fortunes privees furent edifiees d'après cette methode.

    Je fis remarquer a Enver que ces procedes barbares ruineraient son pays
    ; ce qui fut bientôt facile a verifier. Sur une population de 4.000.000
    d'adultes mâles, 1.500.000 furent finalement enrôles et un million
    de familles laissees sans gagne-pain, toutes dans des conditions de
    denuement extreme. Le gouvernement payait les soldats 25 cents par
    mois et donnait aux familles une allocation mensuelle d'un dollar
    20. Comme resultat, des milliers d'individus moururent, par suite de
    privations, et un plus grand nombre encore fut debilite, en raison
    de l'insuffisance de nourriture..; j'estime que depuis le debut de la
    guerre l'Empire a perdu un quart de sa population turque. Je demandai
    a Enver pourquoi il permettait que son peuple fût aneanti de cette
    manière mais pareilles souffrances ne l'impressionnaient pas. Il
    etait fier d'avoir leve une armee importante presque sans argent,
    chose - il s'en vantait - qu'aucune autre nation n'avait pu faire
    avant lui. Dans ce but, il avait edicte des arrets qui stigmatisaient
    l'embusquement comme desertion, entraînant par consequent la peine
    de mort. Il adopta aussi un projet par lequel tout Ottoman pouvait
    etre exempte en payant 190 dollars. Il considerait son oeuvre comme
    remarquable ; en realite, elle lui fit goûter pour la première fois
    l'ivresse du pouvoir absolu et l'experience lui fut des plus agreables.

    Que les Allemands aient dirige cette mobilisation n'est pas une
    question d'opinion : les preuves sont la. Il suffira, par exemple, de
    dire qu'ils requisitionnaient des produits, sous leur propre nom, pour
    leurs besoins personnels. J'ai entre les mains la photographie d'une
    mesure semblable, appliquee par Humann, l'attache naval allemand pour
    un chargement de tourteau. Ce document porte la date du 29 septembre
    1914. " Le lot charge par le vapeur Derindje, que vous mentionnez
    dans votre lettre du 26, dit cet acte, a ete requisitionne par moi,
    pour le Gouvernement allemand ".

    Ceci demontre clairement qu'un mois avant l'entree en guerre de
    la Turquie, l'Allemagne exercait reellement l'autorite souveraine
    a Constantinople.

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