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Rubina Peroomian - Le Genocide Armenien Dans La Litterature

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    RUBINA PEROOMIAN - LE GENOCIDE ARMENIEN DANS LA LITTERATURE

    http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=66697
    Publie le : 31-08-2012

    Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
    livre cette information traduite par Georges Festa et publiee sur le
    site Armenian Trends - Mes Armenies le 29 août 2012.

    Armenian Trends - Mes Armenies

    mercredi 29 août 2012

    © Erevan : Musee-Institut du Genocide Armenien, 2012

    Travailler le passe pour saisir le futur

    Rubina Peroomian The Armenian Genocide in Literature : Perceptions
    of Those Who Lived Through the Calamity [Le Genocide armenien dans la
    litterature : perceptions par ceux qui vecurent ce desastre] Erevan :
    Musee-Institut du Genocide Armenien, 2012

    par Muriel Mirak-Weissbach

    Asbarez.com, 17.08.2012

    Lire le nouvel ouvrage de Rubina Peroomian n'est ni facile, ni
    agreable. Or c'est necessaire et hautement gratifiant. Ce livre,
    son troisième sur ce sujet, traite des images du genocide armenien
    dans la litterature. Son premier ouvrage sur ce thème etait Literary
    Responses to Catastrophe : A Comparison of the Armenian and the Jewish
    Experience [Reactions litteraires a la catastrophe : comparaison
    entre l'experience armenienne et juive] (Scholars Press, 1993) et le
    second etait And Those Who Continued Living in Turkey after 1915 :
    The Metamorphosis of the Post-Genocide Armenian Identity as Reflected
    in Artistic Literature [Et ceux qui continuèrent a vivre en Turquie
    après 1915 : reflets de la metamorphose de l'identite armenienne
    de l'après-genocide dans la litterature artistique] (Erevan :
    Musee-Institut du Genocide Armenien, 2008, recemment reedite avec une
    preface de Richard Hovannissian]. Son objectif n'est pas de prouver
    que le genocide a eu lieu, ce dont les historiens ont deja atteste.

    Cette ~\uvre puissante, qu'elle definit comme " un cri de protestation
    contre l'inhumanite de l'homme envers l'homme " (p. xiv), vise plutôt
    a " exposer la dimension humaine du crime " (p. xv) et, ce faisant,
    a aider les Armeniens de seconde et troisième generations a aborder au
    plan psychologique le traumatisme qui leur a ete transmis par leurs
    ascendants. Elle s'inclut elle-meme très directement dans cette
    categorie. A l'âge tendre de six ans, elle subit la perte de son
    père, professeur de chimie a Tabriz, qui fut liquide un soir par le
    NKVD sovietique en tant que dirigeant de l'opposition nationaliste
    armenienne. C'est cette experience qui a contribue a sa decision
    de s'informer sur la tragedie qui frappa le peuple armenien. Lire
    cette volumineuse litterature fut une experience douloureuse qui
    imprima sa marque sur sa psyche. " J'aimerais croire, ecrit-elle,
    que le resultat que je produirai avec mon travail me guerira de mon
    tumulte psychologique. Je prie pour une prompte guerison, que serait
    l'achèvement imminent de ma recherche " (p. xvi).

    Pourquoi la litterature ? pourrait-on se demander. L'A. explique
    qu'elle a choisi ce thème " parce que je pense que l'art litteraire
    est la forme de representation culturelle qui livre le lieu où la
    creation et la recreation du rapport entre le moi et le social peuvent
    etre reconnues " (p. 2). Son espoir est qu'en achevant sa tâche par
    un prochain volume, elle puisse realiser son " effort, sa vie durant,
    d'eclairer ce traumatisme collectif innommable et impossible a oublier,
    qui s'est mue en un combat pour affronter le passe, liberer les
    generations de survivants de leur psychologie debilitante de victimes,
    et survivre en tant que nation fière, tournee vers l'avenir et libre "
    (p. 6).

    Tout en etudiant les romans, la poesie et les memoires, et en nous
    informant sur leurs auteurs, elle ebauche aussi une histoire de
    l'experience armenienne. Abordant l'heritage de la première generation,
    elle montre ainsi comment, suite aux massacres hamidiens de 1894-96,
    la revolution Jeune-Turc de 1908 suscita l'espoir d'une cohabitation
    possible, que briseront les massacres d'Adana en 1909.

    Après avoir connu une " impasse ", cet espoir se transforma en une
    reaction qu'articula le " langage de la violence. " Lorsqu'en 1915
    l'impensable se produisit, cela signifia pour les Armeniens la perte
    de leur terre ancestrale, que meme le bref episode de l'independance
    armenienne ne put recuperer ; et la transformation en une republique
    sovietique ne fit que parachever cette perte en dressant un rideau
    de fer entre les Armeniens qui vivaient la et ceux qui avaient trouve
    refuge a l'etranger.

    Le thème central, qui domine cette litterature par la suite, est la
    question de l'identite nationale et ethnique : comment les Armeniens
    doivent-ils preserver leur identite ? Comment gerer les pressions de
    l'assimilation ? Dans ce contexte, Peroomian souligne le rôle joue
    par Hairenik (fonde en 1922) et d'autres publications pour maintenir
    vivante la memoire de la terre ancestrale. En particulier dans les
    annees 1920 et 1930, Hairenik eduqua la nouvelle generation sur son
    passe en publiant des biographies et des memoires. Parmi les auteurs de
    ce genre litteraire figuraient aussi, outre des noms reconnus d'avant
    1915 et les " orphelins du desert " plus tard, des gens ordinaires
    qui redigeaient simplement leurs souvenirs.

    Cette litterature des survivants, qui decrit souvent les atrocites
    dans des details crus, posait la question fondamentale, " pourquoi ? "
    - pourquoi cela est-il arrive ? Ces reponses litteraires incluent une
    centration sur le perpetrateur, designe souvent comme " le Turc ", et,
    naturellement aussi, la quete d'une reaction violente. La resistance
    armee apparaissant comme le moyen d'assouvir la vengeance ou, comme
    dans les ~\uvres de Chahan Natalie, comme une tentative de retablir
    l'honneur de la nation. Une des reponses les plus douloureuses que l'on
    rencontre dans les ~\uvres de Natalie et aussi de Vahan Tekeyan, par
    exemple, est le desespoir existentiel de la victime, qui va jusqu'a
    douter de l'existence de Dieu ou qui defie Dieu pour avoir tolere
    une telle injustice. Ou bien la victime retourne son desespoir contre
    elle-meme, allant jusqu'a se declarer responsable. Resumant la gamme
    des reactions psychologiques, Peroomian ecrit : " Dans leur vaine
    quete d'une reponse ou de la signification de ce qui etait arrive,
    ils se tournaient vers Dieu, priaient, questionnaient, dissequaient,
    defiaient et exprimaient leurs doutes quant a Son identite ou meme
    Son existence tout court. Ces ecrivains devinrent introspectifs,
    recherchant la source de la catastrophe au sein de la psyche
    armenienne, dont ils epinglaient les defauts et les faiblesses, a
    mesure qu'ils interiorisaient la tragedie. Pris dans une situation
    de frustration intense, ils prechaient la vengeance " (p. 75).

    Abordant la " generation orpheline, " l'A. recense les recits abondants
    laisses par ces etres prives de leurs familles lors du genocide ; ces
    enfants des rues a Damas, reduits a la condition de mendiants crasseux,
    ou ces gamins qui eurent la chance d'etre heberges dans des conditions
    primitives au sein des orphelinats d'Alep ou de Constantinople. A
    nouveau, Peroomian plonge dans la dimension psychologique de la
    tragedie. Dans l'~\uvre autobiographique de Moushegh Ishkhan, qui
    fut deux fois orphelin, a l'âge d'un an et de cinq ans, Peroomian
    identifie le detachement apparent de la victime par rapport a des
    evenements atroces. Le souvenir de ces experiences traumatiques
    revient neanmoins dans les cauchemars, dans ce que les psychologues
    nomment " hypermnesie ". Autre phenomène psychologique, observe chez
    les victimes qui ont vecu le traumatisme de perdre leur mère, le "
    trouble d'anxiete de separation " (p. 132), au moyen duquel la victime
    experimente des peurs profondes de separation de ses proches. Dans la
    reponse litteraire, ce genre d'emotions s'exprime dans la nostalgie
    de la patrie perdue, ou de la mère.

    Cette generation d'ecrivains relate aussi de quelle manière leur
    desespoir peut conduire a une depression totale, des tendances
    autodestructrices et la mise a bas de l'ordre moral, comme dans les
    ~\uvres de Vasken Chouchanian. " Les atrocites turques n'ont pas
    pris fin avec la destruction et le meurtre seulement, " ecrit-elle
    ; " elles ont totalement bouleverse l'univers d'ordre moral des
    survivants et les ont prive de leur capacite a nourrir des relations
    humaines normales " (p. 170-1). Chouchanian traite ainsi du thème de
    l'inceste, tout en abordant, avec d'autres, des relations frère-s~\ur
    non conventionnelles. Les hommes qui ont subi l'humiliation de la
    deportation et assiste aux viols et aux meurtres de leurs parentes ont
    souvent tendance a considerer l'ensemble des femmes comme des " s~\urs
    ". Quant au dilemme lie a l'identite, la " generation orpheline " des
    ecrivains propose deux approches differentes : soit l'assimilation,
    soit une fuite dans le passe.

    Dans son troisième chapitre, le professeur Peroomian s'interesse
    en detail a la plethore de memoires personnels produits ces trente
    dernières annees, les " recits de sang et de larmes " (p. 232). Les
    douze auteurs qu'elle etudie en profondeur sont souvent motives par un
    sentiment de devoir mettre les pendules a l'heure ; John Minassian,
    par exemple, est informe par des Armeniens pris pour cible que, s'il
    survit, il a pour " obligation de raconter au monde entier comment
    c'est arrive et pourquoi [...] " (p. 243). D'autres, comme Dirouhie
    Kouymdjian et Bertha (Berdjouhie) Nakchian K'etchian, sont exhortees
    par leurs enfants a temoigner de leur vecu. Leurs enfants sont souvent
    impliques dans les efforts de la seconde generation pour lutter contre
    le deni, les survivants considerant leurs temoignages oculaires comme
    un outil efficace a cette fin. Quelques survivants, comme Hrant Sarian,
    ont meme conserve des journaux intimes, qui ne furent publies que
    plusieurs dizaines d'annees plus tard. Significativement, le fait
    de mettre en mots leurs souvenirs sur une page exerce une fonction
    quasi therapeutique, " exorcisant le traumatisme " (p. 336). De
    nombreux survivants portent le fardeau de la culpabilite et de la
    honte dans leurs c~\urs, dans un silence total, durant le reste de
    leurs existences, coupables d'avoir dû abandonner un membre de la
    famille ou d'avoir ete contraints de subir des humiliations qu'ils
    ne pourront jamais reveler.

    Typiques de ce genre de souvenirs personnels, les evocations de la
    ville natale dans le Vieux Pays et des membres du clan familial. Puis
    viennent les recits du massacre : comment les hommes furent emmenes
    et tues, comment les ordres de deportation arrivèrent, comment les
    habitants des villes furent achemines comme du betail le long des
    marches de la mort, comment des femmes au desespoir choisirent le
    suicide plutôt que l'esclavage, tandis que d'autres etaient enlevees,
    comment des femmes qui s'accrochaient aux corps de leurs enfants
    morts de faim perdirent la raison, et ainsi de suite. Si chaque
    histoire est differente, elles comportent toutes des similitudes,
    Peroomian soulignant le fait que " ces traits communs temoignent
    de la realite du genocide " (p. 330). En outre, les descriptions
    detaillees du territoire ancestral armenien, avant 1915, livrent
    de precieux temoignages sur la vaste infrastructure civile des
    communautes armeniennes, comptant ecoles, eglises, activites agricoles
    et industrielles.

    Le " happy end " - si tant est que l'on puisse user de ce mot -
    se manifeste pour les rares chanceux sous la forme de la survie,
    consideree comme un " miracle ", et l'emigration en Amerique, qu'ils
    vecurent comme " un reve devenu vrai. " Dans ces recits, le personnage
    du " bon Turc " apparaît parfois, l'individu discret qui intervient,
    envers et contre tout, malgre le danger bien reel, afin de sauver
    des Armeniens.

    Dans ses remarques finales, " en guise de conclusion, " l'A. parle
    avec une rare franchise de sa propre experience sur ce thème. "
    J'ai essaye d'etudier la litterature armenienne sur les atrocites,
    " ecrit-elle, " autant que je l'ai pu, de lire autant de recits que
    mes nerfs pouvaient le supporter. Non, ce n'est pas facile de lire
    ces recits. Ces scènes macabres de meurtres et de viols perpetres de
    sang-froid, d'enfants mourant de faim et d'orgies sans nom d'officiers
    turcs se repaissant de jeunes Armeniennes, peuvent laisser le lecteur
    deprime et deconcerte pour longtemps " (p. 394). Meme si ses lecteurs
    croisent ces histoires a distance, disons, une fois l'ensemble de
    ces recits quittes, l'impact emotionnel et psychologique reste pesant.

    Comme je l'ai dit au debut, il n'est ni facile, ni agreable de
    lire cet ouvrage. Il est pourtant extremement important en tant que
    moyen de liberation : la est la recompense. Ce n'est pas seulement
    une experience personnelle, c'est aussi un message politique. Comme
    Peroomian le rappelle, " je considère cette litterature, ces reponses
    au genocide armenien, comme un monument erige a la memoire de ce
    genocide, a l'aspiration des Armeniens a devenir a nouveau une nation,
    non une nation de victimes, mais une nation au passe tragique, qui a
    ete reconnue et qui s'est relevee comme il convient. Tel est le moyen
    d'en finir avec le fardeau du passe, si l'on veut rendre possible la
    survie et la perpetuation de la nation " (p. 394-5).

    Nous ne pouvons qu'etre reconnaissants envers Rubina Peroomian d'avoir
    assume la tâche difficile, ainsi que le fardeau consistant a ~\uvrer
    a travers cette vaste litterature des atrocites et d'avoir fait face
    au defi emotionnel et psychologique que cela represente. Elle est
    parvenue a se faire l'intermediaire du combat des ecrivains armeniens
    pour traiter du genocide, et a communiquer la substance et la teneur
    de leur lutte, avec courage, sincerite et cette qualite particulière
    du regard, qui n'est accessible qu'a ceux qui ont mene un meme combat
    au plan personnel. Ainsi, en achevant son livre, le lecteur n'est
    ni deprime, ni accable, bien au contraire il experimente une reelle
    sensation de soulagement therapeutique et d'espoir en l'avenir.

    [Muriel Mirak-Weissbach est l'auteure de Through the Wall of
    Fire : Armenia - Iraq - Palestine : From Wrath to Reconciliation
    (Frankfurt/Main : Fischer, 2009) et de Madness at the Helm : Pathology
    and Politics in the Arab Spring (Londres : Ithaca/Garnet, a paraître
    fin 2012). Contact : [email protected] - site internet :
    www.mirak-weissbach.de.] ____________

    Source :
    http://asbarez.com/104802/book-review-working-through-the-past-to-embrace-the-future/
    Traduction : © Georges Festa - 08.2012.

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