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Pendant la crise, la Turquie bosse fort

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    Pendant la crise, la Turquie bosse fort; Europe
    par Demetz Jean-Michel; Ortaq Nukte V.

    L'Express
    27 juin 2005


    Loin de baisser les bras, a l'heure où la zizanie règne au sein de
    l'Union, les dirigeants d'Ankara s'efforcent d'etre au rendez-vous de
    l'adhesion

    TEXTE-ARTICLE:


    Depuis la terrasse du Besinci Kat, ce cafe branche de Taksim, la vue
    s'etale, genereuse, sur le Bosphore aux eaux vives. En face, sur la
    rive encore boisee commence l'Asie et, pour beaucoup d'Europeens -
    Francais en tete - le problème. "Les non francais et neerlandais
    ont confirme l'apprehension des Turcs, analyse l'universitaire
    Cengiz Aktar. Nous sommes très favorables a l'adhesion de la
    Turquie a l'Union europeenne, mais en meme temps nous doutons que
    nous en ferons un jour partie." Ce francophile qui travaille sur la
    candidature d'Istanbul au titre de "capitale culturelle europeenne"
    en 2010 ne cache pas sa lassitude, face a cet Occident complique.
    "L'Europe ne peut pas etre une grande Suisse, en paix et prospère,
    quand ses frontières brûlent, argumente-t-il. Une Turquie dans l'Union,
    c'est l'espoir de la rue arabo-musulmane, qui voit dans ce voisinage
    europeen un gage de stabilite et de prosperite. C'est a l'Europe,
    pas a l'Amerique, de dessiner le Grand Moyen-Orient de demain!"

    Mais l'Europe est-elle prete a relever un defi dont l'ampleur
    l'effraie? En decembre 2004, les Vingt-Cinq avaient fixe au 3 octobre
    l'ouverture des negociations en vue de l'adhesion d'Ankara. A
    Bruxelles, pourtant, lors du sommet europeen des 16 et 17 juin,
    Jacques Chirac et le president de la Commission europeenne,
    Jose Manuel Barroso, ont affirme qu'il fallait reflechir sur les
    frontières de l'Europe tout en tenant les engagements deja pris.
    Comprenne qui pourra... Il est vrai que la candidature turque se
    heurte a l'opposition d'une majorite de l'opinion dans cinq pays
    (France, Allemagne, Pays-Bas, Autriche, Danemark). Surtout, les
    victoires annoncees d'Angela Merkel, la candidate de la CDU allemande
    a la chancellerie, cet automne, et de Nicolas Sarkozy a l'Elysee, en
    2007, inquiètent: contrairement au duo Chirac-Schroder, favorable a
    une pleine adhesion d'Ankara, les deux dirigeants ont claironne leur
    preference pour un "partenariat privilegie" aux contours encore flous.

    La position officielle du gouvernement turc, elle, ne varie pas. "Le
    "partenariat privilegie" existe deja, resume Ahmet Sever, conseiller
    du ministre des Affaires etrangères, Abdullah Gul. Le lancement des
    negociations en vue de l'adhesion est irreversible, mais nous savons
    que les discussions seront longues et difficiles. D'ici a dix ans,
    toutefois, si la Turquie a persevere sur la voie des reformes,
    la perception de notre pays aura change." Le depute Salih Kapusuz
    (AK Parti) rencherit: "La France a toujours eu des problèmes avec
    l'elargissement, avec le Royaume-Uni d'abord, puis avec l'Espagne. A
    la fin, l'Union a reussi son integration regionale mais, pour reussir
    son integration globale, elle aura besoin de la Turquie." Tout juste
    nomme negociateur en chef pour le dossier d'adhesion, le ministre
    de l'Economie, Ali Babacan, affiche un zèle reformiste impeccable:
    "Nous allons passer tout notre système en revue de A a Z." L'elite
    politique veut encore croire qu'une democratisation des institutions
    et une forte croissance de l'economie pourront rendre acceptable la
    candidature turque a l'horizon 2015-2020. Le syndicat patronal turc ne
    prevoit-il pas de 4,5 a 6% de croissance annuelle pour les dix a douze
    ans a venir, avec une inflation maîtrisee a 5%? En 2004, d'ailleurs,
    l'economie a fait un bond de 9,7% de croissance - mieux que la Chine!

    Le train des reformes ne ralentit pas. Voila trois ans que Pinar
    Ilkkaracan discutait, en amont, avec les deputes, pour preparer le
    travail des commissions sur les droits de la femme. Le Code penal,
    qui datait des annees 1920, etait inspire de celui de l'Italie
    fasciste. Sous la pression des Europeens, un Code modernise a vu le
    jour le 1er juin. "Le nouveau texte est une revolution pour la femme,
    s'enthousiasme cette avocate du feminisme turc. Une reconnaissance
    de l'autonomie du sujet." Elle liste les avancees: le viol conjugal
    est desormais criminalise (il ne l'est pas encore en Grèce); la
    definition du viol et des abus sexuels est elargie - ce n'est plus
    un crime contre la chastete mais contre le corps de l'individu. Toute
    une terminologie sur l'honneur, la virginite, la honte a ete effacee.
    Les circonstances attenuantes prevues pour les crimes d'honneur ont
    disparu; des circonstances aggravantes ont ete introduites pour les
    "crimes coutumiers". "Tous les crimes sexuels etaient consideres
    jusqu'alors comme des crimes contre la societe, poursuit-elle. Ils
    sont desormais reconnus comme des crimes contre la personne. Le
    vieux système patriarcal a vole en eclats." Pinar Ilkkaracan n'a pas
    tout obtenu. La loi ne punit pas les discriminations sur la base de
    l'orientation sexuelle et l'avortement (legal en Turquie depuis 1972,
    deux avant la France) n'est possible que pendant les dix premières
    semaines de la grossesse (et pas douze comme en France depuis 1992
    et comme les feministes turques le souhaiteraient). Surtout, beaucoup
    dependra desormais de l'application du Code par les juges.

    C'est la principale source d'inquietude des partisans de la reforme.
    Comment changer vite les vieilles habitudes de la bureaucratie,
    des policiers, des magistrats? Un immense travail de formation
    reste a mener. Excusees, dans un premier temps, par le ministre de
    la Justice, les brutalites policières contre une manifestation de
    femmes, ce printemps, a Istanbul, ont choque. Comme l'oukase pris par
    un sous-prefet de faire retirer des bibliothèques publiques de sa
    juridiction les oeuvres du romancier Orhan Pamuk, coupable d'avoir
    evoque le tabou des massacres d'Armeniens et de Kurdes de 1915. Des
    universitaires, qui preparaient une conference sur la question du
    "genocide armenien", ont decide de la reporter a la suite de menaces
    et de l'attaque d'un ministre ("Un coup de poignard", a-t-il fulmine,
    avant d'etre desavoue par le chef du gouvernement). "Tout cela est
    regrettable, reconnaît Akif Gulle, vice-president du groupe des deputes
    de l'AK Parti, la formation conservatrice musulmane au pouvoir. Mais ce
    sont des accidents de la circulation. Aussi tristes qu'ils soient, ils
    n'interrompent pas notre voyage sur la route des reformes." La societe
    civile manifeste un dynamisme qui contraste avec l'apathie des societes
    balkaniques. A chaque incident, medias et organisations protestent et
    obtiennent gain de cause. Le sous-prefet a fait l'objet d'une enquete
    interne; des policiers ont ete suspendus; les universitaires ont
    deja fixe une nouvelle date pour leur colloque. Reste que le Premier
    ministre, le reformiste Recep Tayyip Erdogan, lui-meme, n'echappe pas
    aux mauvaises manières. Il a poursuivi en justice et fait condamner
    a une amende un caricaturiste coupable de l'avoir represente sous
    les traits d'un chat empetre dans une pelote de laine... Y a-t-il un
    chef de gouvernement en Europe qui oserait aujourd'hui poursuivre
    un caricaturiste? La Turquie continue d'avoir un problème avec la
    liberte de la presse. "Le nouveau Code penal maintient des peines
    de prison pour les journalistes s'ils publient des insultes ou
    des obscenites, denonce Ercan Ipekci, president du Syndicat des
    journalistes turcs. Et des limitations de la liberte d'expression ont
    ete introduites concernant la question armenienne ou le retrait des
    soldats turcs de Chypre." Qui plus est, un regime rigoureux de droit
    au respect de la vie privee fait peser le risque d'une multiplication
    des procès. "Dans le contexte d'une societe liberale, ces clauses
    ne poseraient pas de problème, explique Deniz Vardar, professeur de
    sciences politiques au departement francophone de l'universite de
    Marmara. Dans un autre contexte, on est dans l'inconnu."

    Depuis 2002, ce pays a connu plus de reformes que dans les dix
    annees precedentes. "Ce processus doit desormais continuer au rythme
    des negociations sur l'adhesion", soutient un diplomate europeen
    conscient que tout ne peut pas etre fait tout de suite. Les services
    de Bruxelles assurent, de leur côte, une part du travail legislatif
    de conserve avec les deputes turcs. Avant l'echeance du 3 octobre,
    le Parlement devra ainsi voter une loi complexe redigee avec les
    experts bruxellois sur les fondations religieuses afin de donner plus
    de droits aux minorites et ratifier l'extension du traite d'union
    douanière a Chypre. "L'Europe doit continuer a aider les reformateurs,
    conclut le diplomate. Il en va de notre interet."

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