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France-Turquie : Cooperation Et Sous-Traitance De La Repression

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    FRANCE-TURQUIE : COOPERATION ET SOUS-TRAITANCE DE LA REPRESSION

    http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=71256
    Publie le : 12-02-2013

    Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Quinze prevenus turcs ou
    d'origine turque, refugies pour la plupart, accuses d'etre lies a un
    groupe politique marxiste-leniniste (le DHKP-C), classifie terroriste
    par la Turquie (pays où tout opposant est systematiquement accuse de
    terrorisme), ont ete juges a Paris. Le procès antiterroriste s'est
    tenu a la Xe chambre correctionnelle de Paris en novembre dernier et
    le moins que l'on puisse dire c'est qu'il est passe inapercu sauf pour
    ceux qui ont ete juges et ont ecope de lourdes peine de prison ferme.

    Le collectif Angles Morts decrypte, dans un texte très documente,
    la cooperation franco-turque dans le domaine judiciaire et policier.

    C'est ce que l'on pourrait intituler " Chroniques de l'antiterrorisme
    ordinaire "...Le Collectif VAN vous propose de decouvrir cet article
    que nous avons scinde en 5 parties, et qui a ete publie a l'origine
    sur le site Article11 le 8 janvier 2013. Partie 2.

    Article11

    MARDI 8 JANVIER 2013

    Sur le terrain

    Collectif Angles morts

    Partie 2.

    Suite de " Antiterrorisme ordinaire : le procès du DHKP-C "

    France-Turquie : cooperation et sous-traitance de la repression

    Depuis que la question de l'entree de la Turquie dans l'Union
    europeenne a ete soulevee et a commence a faire l'objet de
    negociations, cet Etat a generalement ete decrit comme une "
    democratie imparfaite ", " qui a des progrès a faire ", mais en voie
    de consolidation, un partenaire serieux avec qui negocier. Cela
    se comprend quand on sait l'implantation de l'industrie (Renault
    et EADS notamment) et de nombreuses autres entreprises francaises
    (AXA ou la BNP-Paribas, par exemple) en Turquie. Un pays-cle dans le
    domaine economique, mais egalement dans celui du contrôle des " flux
    migratoires ", comme le montrent les pressions qu'exerce regulièrement
    l'Europe pour contraindre la Turquie a cooperer avec Frontex, le
    programme europeen de gestion et de repression des migrants, et en
    retour la manière dont la Turquie resserre ou deserre l'etau de ses
    frontières selon les interets qu'elle poursuit. En mars 2001, l'Etat
    turc presentait ainsi son " programme national ", un catalogue de
    reformes, concernant notamment le respect des " droits de l'homme
    " et des " libertes fondamentales ", devant etre realisees pour
    esperer integrer l'UE. Bien entendu, de telles reformes, une telle
    " democratisation " du pays, ne peuvent se faire que dans de bonnes
    conditions, sans la menace permanente que font peser sur l'equilibre
    et les " efforts " du pays, les groupes " terroristes ", kurdes
    ou d'extreme-gauche, qui se servent de l'Europe comme d'une " base
    arrière "... Des annees de rafles, de procès, notamment contre des
    militants du PKK et du DHKP-C, aboutirent finalement en octobre 2011
    a la signature d'un accord de securite entre la France et la Turquie
    par lequel les pays formalisaient une " cooperation operationnelle
    de lutte contre le terrorisme " du PKK. À cette occasion, Claude
    Gueant affichait sa " determination totale, indefectible a lutter
    aux côtes de la Turquie contre le terrorisme du PKK. Notre lutte
    ne se relâchera pas, car nous savons le montant des souffrances qui
    s'accumulent sur la Turquie du fait des agissements des organisations
    terroristes reconnues par l'Union europeenne ". L'accord, selon Gueant,
    " va bien au-dela des accords que la France signe habituellement dans
    le domaine de la securite ". En 2010 et 2011, respectivement 38 et 32
    membres du PKK etaient arretes en France. Le " projet de loi autorisant
    l'approbation de l'accord de cooperation dans le domaine de la securite
    interieure entre le gouvernement de la republique francaise et le
    gouvernement de la republique de Turquie " alors presente par Fabius,
    precise que : " La cooperation policière operationnelle s'inscrit
    dans trois domaines principaux : la lutte contre le terrorisme, le
    trafic de stupefiants et l'immigration illegale. Dans le cadre de
    la lutte contre le terrorisme, les parties procèdent a des echanges
    d'informations sur les methodes de recrutement et de financement des
    organisations terroristes, les processus de radicalisation et les
    activites de prevention afferentes. "

    Cet accord trouve un nouveau terrain d'essai le 7 mars 2012, lorsque
    le juge antiterroriste Thierry Fragnoli, le meme qui a instruit le
    procès des militants du DHKP-C que nous evoquerons plus loin, ordonne
    l'arrestation de sept Kurdes a Reims dans le cadre d'une information
    judiciaire sur le financement du PKK. Dans un dossier similaire,
    quatre personnes avaient ete mises en examen un mois auparavant.

    L'annee precedente, le 4 juin 2011, des revoltes avaient eclate a
    Arnouville, Villiers-le-Bel et Gonesse en reponse a l'arrestation de
    plusieurs Kurdes. Ce jour-la, deux personnes avaient ete interpellees
    a Evry et trois a Arnouville. Dans cette dernière ville, les flics
    perquisitionnent un centre culturel kurde et tentent d'arreter des
    militants presumes du PKK en utilisant des bombes lacrymogènes en
    presence de nombreux enfants, mais se retrouvent rapidement confrontes
    a la resistance des habitants. Une voisine dira : " Ca m'a fait penser
    a ce qui s'est passe a Villiers-le-Bel. " Une meme colère repond aux
    arrestations a Evry, dans le quartier des Pyramides. Un jeune Kurde
    d'Arnouville declarera en guise d'explication : " Nous n'acceptons pas
    la manière de faire de la police, la France est sous le diktat de la
    Turquie. " De fait, l'arsenal judiciaire antiterorriste turc est sans
    doute l'une des dimensions les plus " europeennes " de la Turquie. Si
    l'integration a l'Union europeenne n'a pas encore officiellement
    eu lieu, elle a sans nul doute deja commence dans le domaine de
    la repression. La loi antiterroriste turque de 1991 repose sur une
    definition large du terrorisme qui inclut la distribution de tracts
    ou l'expression d'une opinion en faveur d'une organisation interdite18.

    Cette legislation a ete durcie en 2006 pour traquer le PKK et les
    guerillas d'extreme-gauche, pour intensifier la terreur de l'Etat
    au nom de la lutte contre la terreur. Comme le declarait en 2000
    le Premier ministre turc pour justifier la repression sanglante de
    prisonniers politiques en grève de la faim : " Nous voulons sauver
    les terroristes de leur propre terrorisme. " Ces dispositions en
    Turquie rappellent celles prises dans plusieurs pays europeens,
    a l'instar de l'Espagne où l'inculpation d'" apologie du terrorisme
    " permet d'emprisonner les auteurs d'affiches, d'articles de presse,
    les leaders politiques ou les organisateurs de manifestations où l'on
    scande des slogans en faveur d'une organisation terroriste (l'ETA
    par exemple). Parallèlement a cette repression judiciaire, il existe
    en Turquie une longue tradition d'organisations clandestines operant
    sur le terrain (paramilitaires d'extreme-droite, services secrets),
    destinees a lutter contre les " menees terroristes ". Eyup Asik, un
    ancien ministre turc, fait remonter leur utilisation aux annees 1950
    et a la decision americaine de " creer en Turquie, a l'image des pays
    de l'OTAN, une organisation chargee de la lutte contre le communisme
    "19. Dès 1952, la Turquie se dote d'un Departement special de la
    guerre (rebaptise par la suite Commandement des forces speciales),
    " heberge dans les locaux memes de la mission americaine d'aide
    militaire a Ankara "20. Ces organisations, jusqu'a aujourd'hui,
    se sont specialisees dans la guerre contre-subversive : enlèvements
    de militants, torture, disparitions, attentats et strategie de la
    tension, emprisonnements massifs. Et parmi les nombreux groupes et
    personnes qui ont fait les frais de cette terreur d'Etat se trouvent
    le DHKP-C et ses militants, reels ou supposes, ses " guerilleros "
    mais aussi ses colleurs d'affiches et simples sympathisants.

    Bref retour sur l'histoire du DHKP-C21

    Fin 1979, le Parti de la Justice de Suleyman Demirel remporte
    les elections anticipees et prend des mesures radicales sur le
    plan politique et economique. Ces mesures creent notamment une
    hyperinflation qui provoque un mouvement de resistance de masse,
    avec en point d'orgue, le 15 fevrier 1980, la fermeture de 90 % des
    commerces, transformant Istanbul en " ville morte ". La protestation
    prenant de l'ampleur, le pouvoir sent que le contrôle lui echappe,
    prend des decisions restreignant la liberte d'association, de la
    presse et accorde des pouvoirs speciaux a la police et l'armee. Le 12
    septembre 1980, l'armee prend le pouvoir par un coup d'Etat : 650 000
    personnes seront arretees et torturees, des centaines d'autres tuees
    en prison, des milliers de procès politiques engages. Près de 100 000
    personnes seront jugees et plus de 20 000 condamnees a des peines de
    prison. Une fois de plus dans l'histoire turque, le pouvoir militaire
    prenait les renes quand le pouvoir politique etait destabilise.

    En 1981, en pleine vague de repression, des militants de Devrimci
    Sol, mouvement duquel emergera le DHKP-C, attaquent un commissariat
    d'Izmir qui servait de centre de torture. Se declenche alors une serie
    d'actions contre des bourreaux et des indicateurs de la junte. Le 6
    fevrier 1981, ils executent ainsi Mahmut Dikler, un tortionnaire de la
    police politique ; plus tard, en juin 1990, ils abattent Durmus Aksen,
    un des responsables de la politique penitentiaire du gouvernement
    militaire. Vers la meme epoque, ils detruisent la fondation HZI,
    une clinique financee par la CIA qui utilisait des prisonniers
    comme cobayes pour tester des " remèdes " censes " rehabiliter
    les terroristes ". En 1991, le mouvement est decime par une serie
    d'arrestations et d'assassinats. Le 1er novembre de la meme annee se
    clôt egalement le procès de 1 243 membres du mouvement. La moitie
    est acquittee, l'autre condamnee a des peines de prison (dont 41 a
    perpetuite) ; des detenus qui viendront grossir les rangs deja fournis
    des prisonniers politiques. Le mouvement est donc contraint de se
    recomposer, et c'est ainsi qu'est cree, en 1994, le DHKP-C. Mouvement
    marxiste-leniniste sensible a la question de l'oppression nationale,
    il est allie depuis ses debuts au PKK ; une partie de ses forces
    est tournee vers le mouvement etudiant et l'agitation ouvrière et
    syndicale, tandis que l'autre est organisee en branche armee.

    Les prisons turques constituent un dispositif central dans
    l'antiterrorisme et plus largement dans le maintien de l'ordre. En
    retour, la repression de ceux qui sont etiquetes comme " terroristes
    " ou comme " militants politiques " sert de terrain d'experimentation
    pour les transformations de l'appareil repressif. Il en va ainsi de
    l'isolement en detention : " C'est durant le regime militaire qu'est
    construite la première prison d'isolement, destinee aux condamnes pour
    atteinte a la sûrete de l'Etat. Depuis 1991, la loi antiterroriste
    donne une assise juridique a cette pratique. "22 Contre les transferts
    de prisonniers politiques et la repression en prison, la grève de la
    faim s'est repandue a partir des annees 1980-1990 comme instrument
    de lutte a grande echelle. D'autant que le niveau de repression en
    Turquie fait que de nombreuses personnes sont passees par la prison,
    ce qui renforce les liens entre l'interieur et l'exterieur. À l'automne
    2000, une importante grève de la faim qualifiee de " jeûne de la mort
    " est lancee par les prisonniers politiques qui entendent protester
    contre la reforme des prisons en Turquie, prevoyant le transfert des
    prisonniers politiques dans des prisons de haute securite, dites
    " de type F ". Ces nouvelles prisons sont presentees par l'Etat
    turc comme des prisons de type occidental et " conformes aux normes
    internationales ", selon la rhetorique humanitaire de l'amelioration
    des conditions de detention et l'alignement sur les standards de
    l'enfermement a l'europeenne. Le 19 decembre 2000, une operation
    combinee de la police et de l'armee dans vingt prisons, baptisee "
    Retour a la vie ", se solde par des dizaines de morts, des centaines
    de blesses et le transfert de 3 000 prisonniers politiques.

    En reaction, la grève de la faim s'elargit et gagne du soutien a
    l'exterieur : rapidement on compte 400 grevistes a mort23 et 2 000
    grevistes de la faim. Ces episodes de l'histoire carcerale turque,
    emaillee de mutineries, de massacres commis par des operations
    armees en detention, de grèves de la faim, et du passage d'un nombre
    impressionnant de Turcs entre les murs, sont revelateurs de la violence
    sans limites que l'Etat turc est pret a opposer a tous ceux qui osent
    troubler l'ordre de la republique.

    ________________________________________

    18. En Grande-Bretagne par exemple, la legislation antiterroriste
    permet de poursuivre toute personne tenant des propos consideres
    comme susceptibles de " creer une atmosphère favorable au terrorisme ".

    19. Jean Flinker, " L'autre affaire Erdal ".

    20. Idem.

    21. Ces quelques elements sur l'histoire du DHKP-C et des mouvements
    qui l'ont precede sont tires de l'article de Jean Flinker, " L'autre
    affaire Erdal ".

    22. Elise Massicard, " La reforme carcerale en Turquie. Du bon usage
    de la norme europeenne ", Critique internationale, n°16, mars 2002.

    23. Selon la definition qu'en donne un comite de soutien aux
    prisonniers grevistes de la faim : " La grève a mort est une grève
    de la faim dont l'aboutissement assume et annonce, en l'absence de
    concession, est la mort du greviste. "

    A suivre

    Lire aussi :

    Antiterrorisme ordinaire : le procès du DHKP-C

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    Source/Lien : Article11



    From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
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