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En Arménie, le salut par l'exil

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  • En Arménie, le salut par l'exil

    Libération, France
    27 mars 2013

    En Arménie, le salut par l'exil


    Reportage Faute d'emplois, les hommes travaillent la majeure partie de
    l'année en Russie. Un exode vital pour les familles mais qui prive le
    pays de toute perspective de développement.

    Par VERONIKA DORMAN Envoyée spéciale à Eranos (Arménie)
    Libération

    Dans la rue principale d'Eranos, un village arménien des bords du lac
    de Sevan qui scintille sous le froid soleil printanier, des hommes
    dés`uvrés tiennent des conciliabules à chaque carrefour. Ils ne sont
    pas pressés. Ils sont en «vacances». Dans quelques jours, ils
    quitteront leur village d'Arménie pour reprendre la route des grandes
    villes de Russie : Saratov, Tcheliabinsk, Volgograd, Moscou ou
    Krasnodar. C'est là qu'ils travaillent, huit, dix mois dans l'année.
    Parce qu'à Eranos, comme dans les autres villages de cette partie
    caillouteuse de l'Arménie, il n'y a pas de travail.

    Samver, 50 ans, le visage profondément ridé, sourit en découvrant ses
    dents en or et plisse des yeux bleus presque transparents sous sa
    casquette noire. Comme la plupart des hommes ici, il est vêtu d'un
    blouson en cuir rude, avec un col en fausse fourrure. «Moi, ça fait
    vingt ans que je fais des allers-retours. Depuis que l'usine a fermé,
    il n'y a rien à faire ici», explique-t-il dans un mauvais russe. Pour
    pouvoir envoyer 500-600 euros par mois à sa famille, Samver s'envole
    tous les ans dans une des villes de Russie où on lui propose du
    travail. Son fils aîné, qui a 30 ans, fait pareil. Comme presque tous
    les hommes en ge de travailler de ce village de 5 000 habitants.

    «La vie en Russie n'est pas rose»
    Dans la bourgade, entre la mairie, les écoles, l'infirmerie et les
    commerces, il y a 300 emplois, tout au plus. Le salaire moyen varie
    entre 93 euros pour une infirmière et 150 euros pour un fonctionnaire.
    Même ceux qui ont la «chance» de travailler ne parviennent pas à
    subvenir aux besoins de leur famille. La migration est une nécessité,
    pas un luxe. «Beaucoup partent à contrec`ur : la vie en Russie n'est
    pas rose, et ils laissent derrière femmes et enfants, soupire un
    employé de la mairie, qui refuse de donner son nom. Mais tout le
    village ne vit que grce aux transferts d'argent en provenance de la
    Russie, qui est notre mère nourricière.»

    A l'époque soviétique, des usines de pièces détachées employaient des
    centaines d'ouvriers spécialisés, les autres travaillaient dans les
    kolkhozes. Mais depuis vingt ans, la région ne produit plus rien. Les
    mécaniciens se sont recyclés en maçons migrants, tandis que le travail
    de la terre est désormais à la seule charge des femmes, qui vivent
    presque toute l'année dans des villages sans hommes. Entre mars et
    décembre, elles bêchent, plantent, cueillent, élèvent les enfants,
    réparent des toitures, et attendent. L'argent à la fin du mois. Le
    retour du mari à la fin de la saison.

    Artsvik a 55 ans, dont la moitié dans cette attente : «J'ai passé
    toute notre vie mariée sans lui», dit-elle en hochant la tête en
    direction de Gagik, qui fume près du poêle. Leur maison est cossue et
    spacieuse, comme beaucoup d'autres dans Eranos, garnie d'un mobilier
    plutôt coûteux qui tranche avec les vêtements simples et usés des
    résidents. «Ça fait vingt ans que je la construis, c'est une vie ça ?»
    souffle Gagik.

    Un sujet de préoccupation
    La migration pendulaire existe depuis l'époque soviétique, mais elle
    s'accentue, notamment depuis la crise de 2008. Si l'émigration
    définitive n'est plus aussi dramatique que durant les années 90, elle
    n'en demeure pas moins un sujet de préoccupation pour la société
    arménienne, d'autant qu'elle touche non seulement les couches
    défavorisées, mais également la classe moyenne et éduquée. Entre 2001
    et 2011, entre deux recensements, l'Arménie a perdu 1% de sa
    population par an (environ 30 000 personnes), une saignée pour un pays
    de 3,1 millions d'habitants. Pour le démographe Ruben Yeganyan, le
    principal fléau est le chômage, que les autorités estiment à 8%, alors
    qu'en réalité il touche plus de 30% de la population active. «Mais
    même les emplois existants sont généralement sous-payés, insiste
    Yeganyan, y compris en ville. Avec un revenu moyen, on ne peut pas
    payer les études de ses enfants, par exemple.» Selon les dernières
    données du Service national des statistiques, le salaire moyen en
    Arménie était de 260 euros en 2012.

    Malgré les liens étroits, historiques, culturels et politiques, qui
    unissent les deux pays, la Russie n'est pas un choix du c`ur. «Les
    Arméniens ne vont en Russie que parce que l'Europe ne veut pas d'eux»,
    assure le politologue Alexandre Iskanderian, directeur de l'Institut
    du Caucase. Il n'y a en effet pas de régime de visas, ni de barrière
    linguistique, et les permis de travail sont faciles à obtenir. Selon
    les dernières données de l'agence de statistiques russe Rosstat, 1,2
    million d'Arméniens vivent aujourd'hui en Russie, tandis que 70 000
    font des va-et-vient saisonniers.

    Difficile de calculer exactement la part que représentent les revenus
    en provenance de l'étranger dans l'économie nationale, mais, selon
    diverses estimations, les transferts d'argent correspondent à 25% du
    PIB. «La migration assure le pouvoir d'achat du pays, et ces gens qui
    partent pour toujours ou juste pour la saison ne produiraient rien
    s'ils restaient ici, explique Yeganyan. Mais il y a un revers à la
    médaille : à long terme, c'est une entrave au développement du pays,
    qui se vide de ses forces vives.» En outre, cet argent n'est pas
    investi pour l'avenir, mais sert pour la vie, la survie, la
    consommation immédiate. «Et une partie de ces revenus s'abîme dans un
    système économique totalement corrompu», regrette l'expert.

    http://www.liberation.fr/monde/2013/03/26/en-armenie-le-salut-par-l-exil_891476



    From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
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