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Talaat Pacha : Le Grand Ordonnateur

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    TALAAT PACHA : LE GRAND ORDONNATEUR

    http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=74841
    Publie le : 07-08-2013

    Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
    invite a lire cette information publiee sur le site Imprescriptible.

    Imprescriptible

    Troisième partie: l'organisation du mensonge

    Chapitre III Le grand ordonnateur : Talaat Pacha

    L'acte d'accusation presente a la Cour martiale de Constantinople le
    12 avril 1919 considère que le comportement criminel de Talaat est
    prouve par sa connaissance massacres et ses ordres les concernant,
    et le declare principal co-responsable de ces massacres. Il cite
    pour nontrer cette affirmation un telegramme chiffre date du juillet
    [1]331 [1915] adresse par Talaat aux vali et mutessarif de Diarbekir,
    Kharpout, Ourfa et Deir-ez-Zor, et " concernant l'ordre de faire
    enterrer les morts restes sur routes au lieu de jeter les cadavres
    dans les ravins, lacs fleuves, et de brûler les effets abandonnes par
    eux sur chemins1 ". En fait le ministre de l'Interieur du gouvernement
    Saïd Halim apparaît a toutes les phases de l'operation comme l'homme
    cle sans lequel aucune mesure n'aurait pu etre adoptee ni aucun
    ordre execute. Il affirma publiquement son intention d'aneantir les
    Armeniens de l'Empire ottoman. Il organisa et premedita ce crime. Il en
    surveilla les phases d'execution et prit a l'egard des fonctionnaires
    recalcitrants des mesures de retorsion. Tout au long du processus,
    Talaat apparut a ses interlocuteurs et ses correspondants, un homme
    double, celui qui affirme ici ce qu'il nie la, qui publie un decret
    officiel pour cacher une operation secrète, qui promet pour mieux se
    retracter. Bref, un menteur consomme.

    On ne saurait toutefois demeurer sur cette conception sommaire
    de l'homme qui fut, avec Enver, le veritable chef du Comite Union
    et Progrès. Enver pacha s'efforca d'occuper le devant de la scène
    politique. Il porte la responsabilite d'avoir fait entrer la Turquie
    dans la Guerre mondiale. Il fut un partisan fanatique du touranisme,
    mais sa position s'affaiblit au cours de la guerre avec les defaites
    des armees ottomanes. Talaat, au contraire, demeura un conciliateur,
    celui vers lequel se tournaient les differentes factions du Comite
    central du Parti pour etablir un consensus. Talaat joua donc le rôle
    de l'element fixe, du noyau du Parti.

    Le troisième membre du triumvirat, Djemal, eut une responsabilite
    moindre. De meme, le premier Ministre, Saïd Halim, fut un pantin entre
    les mains du Comite central. En effet, les forces qui animaient le
    Comite Union et Progrès s'exprimaient au sein du Comite central où
    Talaat intervint comme moderateur. Le cercle du pouvoir se retrecit
    en fait regulièrement de la fin de 1915 au debut de 1917. Saïd Halim
    demissionna le 21 janvier 1917 et sa demission fut acceptee par
    le secretaire du Comite Union et Progrès, Midhat Choukrou. Talaat
    refusa de continuer a occuper le poste de ministre de l'Interieur,
    pretextant les difficultes qu'il avait eues avec l'armee. Il devint
    Grand vizir et Ismaïl Djambolat, un ancien militaire, occupa le poste
    de ministre de l'Interieur2.

    Ainsi Talaat, lorsqu'il decidait, decidait en son nom propre,
    avec l'aval tacite du Comite central. Il n'avait pas a persuader
    ses collègues de le laisser agir: il exprimait leur desir. De 1908 a
    1915, Talaat fut progressivement gagne a l'ideologie panturquiste. Il
    n'y fut pas toutefois pousse par un fanatisme aveugle mais par une
    vision froide de la situation politique qui exigeait la disparition
    de la communaute armenienne en tant que force politique et economique
    de l'Empire.

    Talaat avait au cours des congrès du Comite Union et Progrès tenus a
    Salonique en 1910 et 1911 precise ses positions nationalistes. Lors
    de la reunion secrète tenue en août 1910 il aurait declare : " Vous
    n'ignorez pas que la Constitution affirmait l'egalite des musulmans
    et des giavours, mais vous savez et estimez tous que c'est un ideal
    irrealisable3. " Le congrès aurait adopte un programme centraliste
    inspire du panturquisme, visant a supprimer - au besoin par la force
    - les elements non-turcs de l'Empire. Lors du congrès d'octobre
    1911 du Comite Union et Progrès a Salonique, les memes principes de
    centralisation et de panturquisme furent reaffirmes4. Talaat conduisit
    en mai 1914 la mission turque qui se rendit a Livadia en Crimee, après
    la signature de l'accord russo-turc du 8 fevrier 1914 par lequel la
    Turquie s'engageait envers la Russie a realiser des reformes dans
    les provinces orientales. Il signa le 23 mai 1914 les contrats des
    Inspecteurs generaux nommes par cet accord : le Norvegien Hoff et le
    Hollandais Westenenk5.

    Les rapports des diplomates allemands confirment la volonte de Talaat
    d'aneantir les Armeniens : " Le ministre de l'Interieur Talaat bey,
    a recemment declare (au docteur Mordtmann, en poste a l'ambassade
    allemande de Constantinople que la Porte voulait profiter de la Guerre
    mondiale pour en finir radicalement avec ses ennemis interieurs sans
    etre genee par l'intervention diplomatique de l'etranger ", ecrit
    le 17 juin 1915 le baron von Wangenheim6. Six semaines plus tard,
    Talaat affirme a l'ambassadeur par interim, Hohenlohe : " La Question
    armenienne n'existe plus7 ". Dans un entretien au journal allemand
    Berliner Tageblatt, il aurait declare a propos des massacres armeniens
    : " Nos actes nous ont ete dictes par une necessite historique et
    nationale. Le principe de garantir l'existence de la Turquie doit
    passer avant toute autre considerations8. " Dans un long rapport
    adresse en octobre 1915 au ministre des Affaires etrangères allemand,
    Ernst Jackh, partisan de l'amitie germano-turque, parle du " sentiment
    inebranlable de confiance politique qu'exprimait Talaat au sujet de
    la destruction du peuple armenien9 ".

    Pourtant Talaat niait obstinement devant les ambassadeurs allemand et
    autrichien avoir organise la destruction des Armeniens. L'ambassadeur
    allemand considerait les deportations comme un pretexte a
    l'extermination. Une semaine avant sa mort, le baron von Wangenheim
    avisait en effet Berlin que les dementis de Talaat a propos des
    massacres etaient un bluff. Son successeur, le comte Wolff-Metternich,
    considerait Talaat comme un personnage " sans scrupules ", un "
    homme double " (Doppelganger) : " Les protestations sont sans effet
    et les dementis turcs sans valeur ", avait-il ecrit. L'ambassadeur
    autrichien, Pallavicini, se plaignait a Vienne que Talaat " jetait de
    la poudre aux yeux ". Il le decrivait egalement menant un double-jeu
    (Doppelspiel) 10. Les consuls allemands etaient plus vehements
    a l'egard des dementis de la Sublime Porte. Le consul d'Adana,
    Buge, les qualifiait de " tromperie ehontee ", et celui de Mossoul,
    Holstein, de " mensonges flagrants 11 ". Le consul d'Alep, Rossler,
    s'indignait: " En verite, je ne peux pas en croire mes yeux lorsque je
    lis cette declaration de dementi et je ne trouve pas d'expression pour
    qualifier cet insondable mensonge12 ". Dans ses confidences faites en
    prive a l'ambassadeur americain Morgenthau, Talaat s'exprimait plus
    franchement : " Je vous ai demande de venir aujourd'hui, desirant
    vous expliquer notre attitude a l'egard des Armeniens ; elle est
    basee sur trois points distincts : en premier lieu, les Armeniens se
    sont enrichis aux depens des Turcs ; secondement, ils ont resolu de
    se soustraire a notre domination et de creer un Etat independant ;
    enfin ils ont ouvertement aide nos ennemis, secouru les Russes dans le
    Caucase et par la cause nos revers. Nous avons donc pris la decision
    irrevocable de les rendre impuissants avant la fin de la guerre. [...]
    Nous avons deja liquide la situation des trois-quarts des Armeniens ;
    il n'y en a plus a Bitlis, ni a Van, ni a Erzeroum. La haine entre les
    deux races est si intense qu'il nous faut en finir avec eux, sinon nous
    devrons craindre leur vengeance13. " Cet aveu cynique etait interesse.

    Talaat voulait se procurer la liste des Armeniens assures sur la
    vie auprès de compagnies americaines afin de faire beneficier le
    gouvernement turc de ces assurances, leurs titulaires ayant disparu
    sans heritiers14. Le 19 septembre 1915, le Patriarche armenien de
    Constantinople, Monseigneur Zaven, s'entretint avec Talaat. Celui-ci
    lui expliqua que les Armeniens etaient responsables de la situation.

    Il protesta de ses sentiments pro-armeniens : " Moi, j'aimais les
    Armeniens, car je les savais utiles en tant qu'elements du pays, mais
    c'est le contraire qui fut. Il est normal que j'aime encore plus ma
    patrie que les Armeniens15. "

    Quelques mois auparavant, Talaat avait ete plus franc avec le depute
    armenien Vartkes qui pouvait se vanter d'etre son ami: " Aux jours de
    notre faiblesse, après la reprise d'Andrinople, vous nous avez saute
    a la gorge et avez ouvert la question des reformes armeniennes. Voila
    pourquoi nous profiterons de la situation favorable dans laquelle
    nous nous trouvons, pour disperser tellement votre peuple que vous
    vous ôterez de la tete pour cinquante ans toute idee de reforme16. "
    L'ambassadeur allemand Johann Bernstorff qui, en poste a Washington de
    1908 a 1917 avait d'abord nie categoriquement les massacres armeniens,
    les qualifiant de " pretendues atrocites ", reconnut que Talaat lui
    avait dit plus tard, pour lever ses scrupules - a lui, Bernstorff -:
    " Que diable voulez-vous ? La Question armenienne est resolue. Il n'y
    a plus d'Armeniens17. " Bernstorff avait ete le dernier ambassadeur
    allemand dans l'Empire ottoman (du 7 septembre 1917 au 27 octobre
    1918). Talaat avait, on l'a vu, fait la meme declaration a son
    predecesseur, le prince Hohenlohe18.

    Ces declarations d'intention, contradictoires, demontrent le double-jeu
    mais ne permettent pas d'impliquer directement Talaat. En revanche,
    des telegrammes chiffres de Talaat ont ete produits au cours des
    procès devant les Cours Martiales turques et des declarations
    de fonctionnaires turcs ont corrobore les faits evoques dans ces
    telegrammes. Le Ministre de l'Interieur tenait en effet deux langages.

    L'un officiel où il presentait les edits imperiaux, les lois et les
    mesures gouvernementales comme autant de preuves des bonnes intentions
    du pouvoir a l'egard des Armeniens.

    L'autre, secret, a son domicile personnel qui contrastait avec le
    somptueux palais d'Enver. La, dans son bureau modestement meuble,
    etait installe un appareil telegraphique qu'il pianotait19. Le
    personnage officiel presentait aux requetes des diplomates la loi sur
    la deportation promulguee le 19 mai 1915 (dont seuls quatre articles
    sur huit furent publies20), ou des telegrammes qu'il adressait aux
    autorites provinciales et qui prouvaient que le gouvernement central
    etait soucieux de prevenir les excès dont les Armeniens etaient
    victimes et de veiller au ravitaillement des deportes ) pendant leur
    voyage21, tandis que le militant de l'Ittihad organisait dans l'ombre
    l'extermination d'un peuple.

    Le 2 avril 1919, le ministre de l'Interieur du gouvernement )
    Damad Ferid pacha, Djemal, faisait remettre au procureur general du
    Tribunal militaire quarante-deux telegrammes envoyes aux differentes
    prefectures entre le 1er mai 1915 et avril 1917 par le ministère de
    l'Interieur. Ces documents, adresses sur requete de la Commission
    Mazhar par la prefecture d'Angora, etaient des copies portant la
    mention "Conforme a l'original" et, sur certaines, figuraient deux
    signatures, l'une de Talaat, l'autre d'un de ses secretaires de
    cabinet22. Ils traitaient, comme les documents Andonian, des mesures
    a prendre contre les Armeniens.

    Plus tard, Talaat adressa des circulaires aux fonctionnaires des
    provinces, exigeant que lui soient renvoyes tous les originaux et les
    copies des documents officiels concernant les ordres de deportation
    et d'extermination des Armeniens, ainsi que les informations
    transmises aux fonctionnaires subalternes et le recensement des
    Armeniens massacres. Certains vali n'executèrent pas cet ordre et se
    contentèrent de renvoyer les copies en conservant les originaux par
    devers eux - ou meme des copies qu'ils avaient fait etablir - afin de
    pouvoir se disculper ulterieurement en pretextant qu'ils n'avaient
    fait que se conformer aux ordres recus. D'autres telegrammes ayant
    echappe a la destruction furent decouverts lors de la perquisition
    au siège central de Nouri Osmanie23. En 1915, le sous-secretaire au
    ministère de l'Interieur, Ali Munif, forma une commission a laquelle
    participèrent plusieurs dirigeants unionistes, dont Ismaïl Djambolat,
    chef de la Securite interieure. Cette commission confia au docteur
    Tewfik Rouchdou, beau-frère du docteur Nazim et membre du Conseil
    supreme de la Sante, la mission de se rendre dans les provinces
    orientales afin de detruire les cadavres entasses. Le docteur Rouchdou
    examina les lieux et se procura plusieurs tonnes de chaux. Les puits
    furent remplis de cadavres ; au-dessus on placa des couches de chaux
    recouvertes de terre. Le docteur Rouchdou mit six mois pour accomplir
    cette tâche macabre24.

    Talaat regnait en maître sur le corps administratif qu'il contrôlait.

    Il en deplacait ou en sanctionnait les membres a sa guise. Il avait,
    comme le confirment les telegrammes remis a Andonian, garanti aux
    fonctionnaires l'impunite dans les massacres d'Armeniens, et il tint
    parole. L'ancien depute de Trebizonde, Hafiz Mehmed bey, declara dans
    sa deposition devant la Commission Mazhar que, bien qu'il ait tenu
    Talaat au courant de la noyade dans la mer Noire des Armeniens de
    cette ville, aucune mesure ne fut entreprise contre le vali, Djemal
    Azmi25. Les minutes du procès de Yozgad permettent de comprendre les
    decisions administratives que prenait le ministère de l'Interieur a
    l'egard des fonctionnaires recalcitrants et comment les fonctionnaires
    qui appliquaient les ordres d'extermination se sentaient couverts
    par leurs superieurs. Nous avons vu que le vali d'Angora, Mazhar bey,
    avait ete demis de son poste et remplace par Atif bey, delegue special
    de l'Ittihad a Angora.

    Un notable turc d'Angora, Radi bey, intervint auprès d'Atif en faveur
    d'un notable armenien de cette ville. Il recut cette reponse d'Atif:
    " J'ai l'ordre de mon superieur. [...] Les Armeniens ne doivent pas
    vivre. " Radi bey declara egalement que Nedjati bey qui avait remplace
    Atif comme secretaire responsable de l'Ittihad a Angora presida une
    commission chargee de juger le chef de la police, Behaeddine bey,
    accuse d'avoir vole des bijoux appartenant a des Armeniens26. A la
    onzième session du procès de Yozgad, le 5 mars 1919, le mutessarif de
    cette ville, Djemal, affirma sous serment que Nedjati bey lui montra
    en 1915 un ordre secret ecrit de la main d'Atif sur lequel il lui
    etait prescrit selon la volonte de l'Ittihad d'organiser le massacre
    des Armeniens du vilayet . Djemal refusa de prendre ses ordres de
    l'Ittihad. Il fut demis de ses fonctions dans les deux semaines. Le
    principal accuse du procès de Yozgad, Kemal, qui succeda plus tard
    a Djemal, et qui etait alors kaïmakam de Boghazlian - donc sous
    les ordres de Djemal - affirma que les ordres d'extermination des
    Armeniens venaient du gouvernement central.

    A l'occasion de la celebration de la constitution, le 23juin 1915, un
    grand banquet fut organise a Yozgad. Y assistaient Nedjati bey et tous
    les fonctionnaires mililitaires et civils de la ville, ainsi que des
    personnalites unionistes et des Turcs influents. Au cours du banquet,
    Nedjati bey, rappela au capitaine albanais Selim bey, commandant de
    la garnison, qu'il devait obeir aux ordres et instructions provenant
    du ministère de l'Interieur et du gouvernement d'Angora d'exterminer
    les Armeniens de la region de Yozgad. Selim bey refusa. Devenu
    vice-mutessarif de Yozgad, le 6 août 1915, Kemal menaca Selim bey de
    pendaison car il s'obstinait a refuser de signer l'ordre de massacrer
    les Armeniens. Peu après, Selim bey fut revoque par decision du
    ministère de l'Interieur, sur plainte du Comite Union et Progrès27.

    Les fonctionnaires qui n'executaient pas les ordres furent en effet
    rapidement destitues. Outre Mazhar, Djemal et Selim (dans le vilayet
    d'Angora), Rechid, vali de Kastamouni, Djelal, vali d'Alep, Ali Souad,
    mutessarif de Deir-ez-Zor. Le caïmakam de Midiat fut assassine par
    les soins du vali de Diarbekir, le docteur Rechid. Faïz el-Ghocein,
    qui avait exerce les fonction de kaïmakam dans le vilayet de Kharpout,
    puis dans celui de Damas, avait ete emprisonne a Diarbekir comme
    nationaliste arabe. Il obtint des revelations sur les crimes commis
    par le docteur Rechid. Il apprit que deux fonctionnaires arabes avaient
    ete destitues par le vali puis assassines lors de leur transfert. Ces
    fonctionnaires s'etaient opposes a ses ordres28. Le meme Rechid,
    ce " fauve dechaîne " dont le consul allemand Holstein demandait la
    revocation immediate29, fut en effet arrete et juge en 1916 non pour
    ses activites criminelles mais pour avoir detourne a son profit le
    butin pris a ses victimes30.

    Talaat, rappelait le 30 septembre 1915 le correspondant de presse
    allemand V. Tyszka, etait anime " d'une volonte de fer " : " Il ne
    recule pas devant les mesures les plus extremes pourvu que lui-meme
    les trouve justes. [II ne] se laisse influencer par personne [et]
    considère que la fin justifie les moyens31 ". Ainsi Talaat n'hesitait
    pas a ordonner des fraudes: photographies falsifiees et caches
    d'armes fabriquees. EI-Ghocein rapporte le recit d'un militaire
    turc, Chahin bey, qui avait participe au massacre d'un convoi de
    deportes a Diarbekir. Dès que les gendarmes eurent tue plusieurs
    hommes armeniens, ils leur mirent des turbans et amenèrent des femmes
    kurdes pour pleurer et se lamenter sur les cadavres. Chahin bey fit
    alors venir un photographe pour prendre un cliche de la scène afin
    de convaincre l'Europe que les Armeniens avaient attaque les Kurdes
    et les avaient tues, et que si les tribus kurdes se vengeaient,
    ce n'etait pas le problème du gouvernement32. L'ancien vice-consul
    britannique de Diarbekir, en poste dans cette ville pendant dix-neuf
    ans avant la guerre, affirme que cette photographie etait falsifiee.

    Il precise le lieu où le crime fut commis et detaille les methodes
    de propagande gouvernementale33.

    Andonian cite un autre cas de falsification de photographies. Il parle
    d'un volume publie par le gouvernement et qui contient des documents
    apocryphes sur la culpabilite armenienne. Il cite un exemple : " Dans
    ce volume se trouvent trois photographies, lesquelles, soi-disant,
    reproduisent les cadavres de Kurdes qui auraient ete tues près de
    Diarbekir par des bandits armeniens. Mais ce sont en realite des
    cadavres d'Armeniens massacres revetus de costumes kurdes après leur
    egorgement et photographies. On y a ajoute, avec une delicatesse
    raffinee, quelques femmes kurdes pleurant sur les cadavres34. "

    Naïm bey rappelle, a propos d'un ordre secret, qu'on demandait aux
    fonctionnaires d'extorquer de faux aveux de preparatifs de revolte dans
    la region de Deurt-Yol, Hadjin et de Mersine35. De meme, les ordres du
    ministère de l'Interieur concernant les photographies prises par les
    etrangers sont confirmes par une lettre, en francais, du commissaire
    militaire a l'ingenieur en chef du chemin de fer de Bagdad exigeant que
    soient remis sous quarante-huit heures les cliches des photographies
    et les doubles36. Rafaël de Nogalès, officier venezuelien attache
    a l'armee turque durant la guerre, rapporte dans son livre, Cuatro
    años bajo la media luna [Quatre ans sous le Croissant], des scènes
    de massacres dans les regions de Van et de Bitlis37. Il revèle qu'a
    Diarbekir furent prises deux photographies montrant " un empilement
    d'armes supposees trouvees dans des maisons armeniennes et meme dans
    des eglises armeniennes. Un examen attentif de ces photographies
    revelait a l'evidence que l'ensemble tait compose de fusils de chasse
    recouverts par une couche d'armes de guerre38. " " Pour ce qui est
    des armes que les Turcs ont trouvees chez les Armeniens, c'etait,
    dans la plupart des cas, celles-la meme qu'ils avaient recues des
    Turcs en 1908 pour aider le Comite a lutter contre la reaction39. "

    Lorsqu'en 1922, le Haut-commissaire britannique, Sir Nevil Henderson,
    transmit a Londres des telegrammes officiels de Talaat où ce
    dernier apparaissait soucieux de reloger les deportes, il ajouta
    ce commentaire: " Ils meritent l'etre lus et conserves comme une
    illustration eclatante des methodes et de la mentalite turques,
    Se demander s'ils etaient contremandes par des ordres secrets ou
    simplement rediges par ce qu'il etait certain que la sauvagerie
    et la durete naturelle [sous-entendu de ceux qui les recevaient]
    les rendraient sans valeur, serait une speculation academique40. "
    Talaat decommandait regulièrement ses ordres fictifs. Dans les
    documents du Foreign Office se trouvent les recits de quatre
    officiers arabes ayant servi dans l'armee turque. L'un d'eux,
    le lieutenant Saïd Ahmed Moukhtar Ba'aj, qui avait fait partie de
    la Cour martiale a Trebizonde en juillet 1915 declare : " Un ordre
    fut recu de deporter vers l'interieur tous les Armeniens se trouvant
    dans la province de Trebizonde, Etant un membre de la Cour martiale,
    je savais que deportation signifiait massacres. " Et il ajoute :
    " Outre l'ordre de deportation [...] il fut emis un irade imperial
    exigeant que tous les deserteurs repris soient fusilles sans procès,
    L'ordre secret dit "Armeniens" a la place de "deserteurs". "
    Ce document confirme que le gouvernement emettait des ordres a
    deux niveaux : des commandements publics, a titre de propagande ;
    des commandements prives, qui revelaient ses intentions veritables,
    qu'il avait toujours eu l'habitude de cacher aux yeux des etrangers,
    et meme de ses amis41. On s'explique ainsi que les responsables du
    Comite Union et Progrès aient pris soin de faire disparaître ces
    documents au cours de la guerre.

    Plus tard, l'ambassade britannique a Constantinople revela que la
    disparition de documents impliquant les Turcs refugies en Allemagne ou
    en Suisse, ou les detenus de Malte, avait ete arrangee par des leaders
    nationalistes locaux. Raouf bey avait demande de facon urgente la
    destruction des documents compromettants. Il est evident que Raouf
    bey avait deja organise la destruction des documents l'impliquant
    lui-meme ainsi qu'Enver pacha42.

    " D'après mon experience et celle de tous ceux qui connaissent un
    tant soit peu la Turquie, aucun massacre ne se produit en Turquie,
    sauf lorsque le gouvernement fait savoir qu'il desire un massacre "
    ecrivait a Lloyd Georges en septembre 1915 Philip Graves, correspondant
    du Times a Constantinople43. Il est certain que tous les ordres
    exigeant la deportation et le massacre des Armeniens vinrent d'en
    haut, c'est-a-dire qu'ils furent emis par le ministre de l'Interieur,
    Talaat pacha. De meme, aucun fonctionnaire turc ne fut pendant ces
    annees de guerre reprimande ou puni pour avoir outrepasse ces ordres,
    mais certains pour ne pas les avoir executes.

    Le ministre des Affaires etrangères russe, Sazonov, se souvenait avoir
    rencontre Talaat a Livadia en mai 1914 : " Cela me permit d'observer
    cet homme qui peut etre considere sans exageration comme un des
    plus grands scelerats de l'histoire du monde. Monsieur de Giers,
    notre ambassadeur a Constantinople, [...], [m'avait averti] que je
    ne devais pas croire un seul mot de tout ce que pourrait me dire ce
    personnage44. " retour sommaire suite

    1) Justicier..., op. cit., p. 266

    2) On voit mal comment Talaat aurait continue a adresser en fèvrier
    et mars 1917 des telegrammes comme ministre de l'Interieur ainsi que
    le supposeraient les corrections de dates proposees par Dadrian.

    3) B. LEWIS cite cette declaration mais precise que les editeurs
    anglais qui publient le rapport de ce congrès doutent de son
    authenticite {op. cit., p. 192).

    4) J. LEPSIUS, op. cit., p. 247.

    5) Y. TERNON, Les Armeniens, histoire d'un genocide, Paris, Seuil,
    1979, pp. 188-190.

    6) Archives du genocide des Armeniens, op. cit., p. 57 (sera cite
    plus loin sous la reference Archives...).

    7) DAD[1], note 36, pp.348-349.

    8) Z. MESSERLIAN, The Premeditated Nature of the Genocide Perpetrated
    on the Armenians, Beyrouth, 1980, p. 158. Cette citation se refère au
    rapport d'A. TOYNBEE dans le Livre bleu anglais : The Treatment of
    Armenians in the Ottoman Empire, 1915-1916, Londres, 1916 (reed. :
    Beyrouth, 1972) ; traduction francaise Laval, 1916 (reed. Paris,
    Payot, 1987).

    9) DAD.[1], note 36, p.349.

    10) Ibid., note 37

    11) Archives..., op. cit., p. 145, pour la première citation, et
    DAD[1], note 38, p. 349, pour la seconde.

    12) DAD[1], ibid.

    13) H. MORGENTHAU, Memoires, Paris, 1919, pp. 290-291 (reed .Paris,
    Flammarion,1984).

    14) Ibid., p. 292.

    15) Entretiens du patriarche Zaven avec Talaat, Saïd Halim et Ibrahim
    bey (ministre de la Justice) parus dans 1915-1965 Houshamadian Medz
    Yeghernee [Memorial du grand crime], op. cit., pp.259-265.

    16) J. LEPSIUS, op. cit., p.220.

    17) DAD[1], p.343.

    18) Cf. supra, note 7 de ce chapitre. Le prince Hohenlohe avait
    precise que c'est en invoquant les soucis du gouvernement de proteger
    les deportes que Talaat avait fait cette declaration.

    19) H. MORGENTHAU, op. cit., pp. 130-131 et p. 134.

    20) Le crime de silence, op. cit., pp. 81-82

    21) Archives..., op. cit., p. 144 (rapport du prince Hohenlohe du
    4 septembre 1915) C'est ce type de pièces, dûment archivees, que
    ressortent les membres de la Societe turque d'Histoire pour affirmer
    qu'ils detiennent des preuves " authentiques " de l'innocence du
    gouvernement jeune-turc.

    22) KRI.[1], doc. J.

    23) KRI [2], doc. K, L et P..

    24) V DADRIAN, " The Role of Turkish Physicians in the World War
    I Genocide of Ottoman Armenians ", Holocaust and Genocide Studies
    (New York), vol.I, n° 2, 1986, pp. 169-192 (cet article sera cite
    plus loin sous la reference DAD[2])

    25) Acte d'accusation du procès des Unionistes, Justicier..., op. cit.,
    p. 267

    26) KRI.[2], p. 387.

    27) La Renaissance (Constantinople), 20 fevrier 1919.

    28) F. EL GHOCEIN, Les massacres en Armenie turque, Beyrouth, 1917,
    p.47.

    29) Archives..., op. cit., pp. 107-108.

    30) DAD[2], p. 175 Rechid fut ensuite nomme vali d'Angora. Puis il
    fut arrete après la guerre et il se suicida en prison en fevrier 1919.

    31) Archives..., op. cit., p. 152

    32) F. EL GHOCEIN, op. cit., pp. 37-38.

    33) DAD.[1], p. 318

    34) A. ANDONIAN, op. cit., p. 152

    35) Ibid., p. 153.

    36) Lettre du 10 septembre 1915 (Archive..., op. cit., p. 146)

    37) Cite par H. VIERBuCHER, Armenie 1915 [Hambourg, 1930-1934],
    traduction francaise :L. Gessarentz, Montelimar, 1987, pp. 78-79

    38) R. DE NOGALES, Cuatro años bajo la media luna, Buenos Aires, 1924 ;
    traduction anglaise Four Years Beneath the Crescent, New York, 1926,
    pp. 139-140 de cette traduction.

    39) Archives..., op. cit., p. 153

    40) Document du Foreign Office FO 371/ 9158, folio 106-7, 22 mai 1923.

    41) FO 371/2781, cite dans Le crime de silence, op. cit., pp.93-95.

    42) FO 371/51663206, cite dans Le crime de silence, op. cit., p. 96.

    43) Ibid., p. 92

    44) S. SAZONOV, Les annees fatales, Paris, Payot, 1927, pp. 141-142.

    Sources/References

    Ternon, Yves. Enquete sur la negation d'un genocide, Marseille,
    Parenthèses, 1989 Description : 229 p. couv. ill. 24 cm ISBN
    : 2-86364-052-6 72, cours Julien 13006 Marseille (France)
    [email protected]

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