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Laure Marchand et Guillaume Perrier sur les traces du génocide armén

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    revue de presse
    Laure Marchand et Guillaume Perrier sur les traces du génocide arménien


    « Laure Marchand et Guillaume Perrier se sont attelés à une tche
    ardue. Celle de nous tendre, à nous les Turcs, un miroir. Ils veulent
    que nous voyions ce que nous ne voyons pas et que nous sachions ce que
    nous ne savons pas ».

    Ainsi commence le texte que signe l'historien turc « dissident » Taner
    Akçam en préface du livre La Turquie et le fantôme arménien écrit par
    la correspondante du Figaro et le correspondant du Monde à Istanbul.
    Mais sa remarque ne vaut pas seulement pour l'opinion turque. Le
    génocide perpétré en 1915 par les Jeunes Turcs est aussi, notamment,
    une « histoire française ». Non seulement parce que les massacres des
    Arméniens, dès la fin du 19ème siècle, mobilisèrent de grands noms de
    la politique et des lettres françaises, à l'image de Jean Jaurès
    proclamant « l'humanité ne peut vivre avec, dans sa cave, le cadavre
    d'un peuple assassiné ». Non seulement parce que des dizaines de
    milliers de rescapés du génocide trouvèrent refuge en France, mais
    aussi parce que l'idéologie des Jeunes Turcs s'inspira du positivisme
    et du jacobinisme français, en les dévoyant et en les racialisant. Par
    ailleurs, si le génocide est officiellement reconnu aujourd'hui par un
    certain nombre de pays, dont la Belgique et la France, la plupart des
    Etats, craignant d'offenser Ankara, aimeraient eux aussi ne rien
    savoir. Et des partis politiques, en Belgique en particulier, soucieux
    de courtiser le « vote turc » lors des élections communales, classent
    le sujet de la reconnaissance au rayon des belles idées oubliées,
    quand ils ne s'associent pas avec des personnes ou des groupes qui
    pratiquent le négationnisme d'Etat. Alors que la négation, comme
    l'écrivait le regretté Pierre Vidal-Naquet dans son célèbre essai Les
    Assassins de la Mémoire, est la continuation du génocide, sa phase
    ultime.

    Sur les traces du génocide

    Dans ce livre bellement écrit comme un reportage au long cours, les
    deux auteurs proposent une extraordinaire enquête sur la mémoire
    arménienne dans la Turquie d'aujourd'hui. Un sujet encore largement
    tabou, enfoui sous des strates de silences et de mensonges. Un sujet
    qui, pourtant, détermine largement l'identité de la Turquie et sa
    capacité à intégrer la diversité et la tolérance, conditions
    essentielles de la modernité et de la démocratie avancée.

    A deux ans du centenaire des massacres qui emportèrent plus d'un
    million d'Arméniens, ils rappellent d'abord sans détours les faits,
    qu'aucun historien digne de ce nom aujourd'hui ne conteste. « Les
    sources documentaires et les archives, que ce soient celles de
    l'Empire ottoman, de plus en plus librement accessibles, ou celles de
    l'Allemagne, écrivent-ils, suffisent amplement à démontrer l'intention
    génocidaire du Comité Union et Progrès, le c`ur du pouvoir
    nationaliste turc pendant la Première Guerre mondiale...La négation
    des faits relève, à l'évidence de la névrose collective ».

    D'Istanbul à Sivas, de Diyarbakir à Van, bourlinguant sur ces terres
    anatoliennes balafrées par l'histoire, ils retrouvent les traces des
    communautés arméniennes dans les souvenirs des villageois, dans des
    pierres d'anciennes églises mêlées à des constructions profanes, dans
    des coutumes religieuses ou culinaires pratiquées dans la discrétion.

    L'histoire du génocide, avec ses lieux de morts comme « la falaise des
    Arméniens, dans la région d'Ordu, « où les malheureux avaient été
    jetés dans vide », avec ses villages arméniens rayés de la carte, se
    télescope constamment avec les observations du reportage, dessinant un
    pays hanté par un passé qui ne passe pas. Presque partout encore, la
    peur de se dire arménien règne, « un réflexe de survie dans ces
    contrées anatoliennes où l'identité non turque ne se crie pas sur les
    toits ».

    Des anecdotes touchantes et déchirantes émaillent ce périple à la fois
    mémoriel et actuel. Comme celles des « restes de l'épée », ces
    milliers d'enfants et de femmes qui échappèrent au massacre en étant
    incorporés dans des familles turques ou kurdes et dont le souvenir
    resurgit peu à peu aujourd'hui. A l'image de Sabiha Gökcen, héroïne de
    l'aviation militaire turque, dont le journaliste turco-arménien Hrant
    Dink, assassiné en 2007, révéla qu'elle avait été adoptée par Mustapha
    Kemal Ataturk, le fondateur de la Turquie moderne. Ou de Fethiye
    Cetin, militante des droits de l'homme et l'avocate de la famille
    Dink, dont l'aïeule était arménienne, une histoire qu'elle raconte
    dans Le Livre de ma grand-mère (Editions de l'Aube, 2006).

    Assumer l'héritage arménien

    Comment assumer cet héritage dans un pays encore marqué par la haine
    de l'Arménien ? « Au-delà de la peur, il y avait la honte », écrivent
    Laure Marchand et Guillaume Perrier. « Ces petits-enfants ont du sang
    mêlé, celui de la victime et de son sauveur parfois, celui de la
    victime et de son bourreau le plus souvent ». Mais cette «
    micro-histoire » familiale contribue aussi à combattre l'idéologie
    d'exclusion officielle. « Si vous commencez à vous poser des questions
    sur vous-même et votre famille, naturellement `l'autre' ne peut plus
    être `l'autre' », écrit Fethiye Cetin.

    Le livre offre des rencontres avec des personnages hauts en couleur, à
    l'image de Sevan Nisanyan, le « Don Quichotte arménien », dénonciateur
    tapageur de l'Histoire officielle, mais aussi avec des « Arméniens
    convertis », tentés d'être « plus turcs que les Turcs » et qui
    continuent, malgré tout, à être victimes de discrimination, car leurs
    noms et leur origine arménienne sont répertoriés dans les registres
    officiels.

    L'industrie du négationnisme

    Les auteurs abordent frontalement le négationnisme officiel, « une
    véritable industrie », écrit Taner Aksam, dotée de moyens colossaux et
    fondée sur un racisme agressif qui nie l'histoire complexe et
    plurielle de la Turquie et entache sa réputation internationale. «
    Imaginons Faurisson ministre, Faurisson général », écrivent les
    auteurs, en se référant au pseudo-historien Robert Faurisson, négateur
    de la Shoah. A l'étranger, seuls quelques piètres historiens relaient
    l'argumentaire d'Ankara. Seuls des dirigeants opportunistes ou timorés
    évoquent encore les « doutes » sur la réalité du génocide. « Nous
    n'avons pas une seule publication qui soit prise au sérieux dans les
    cercles académiques à l'étranger », notait Murat Bardakçi, dans une
    chronique du quotidien Haber Turk.

    La Turquie a encore un long chemin à parcourir avant de se débarrasser
    de ses vieux démons. La faute a été trop immense. L'éradication de la
    présence arménienne a été totale et totalitaire. La population a été
    exterminée ou expulsée. Ses biens ont été volés et accaparés. Son
    patrimoine culturel a été détruit. Et l'Etat a imposé une histoire
    faussée, qu'elle répète et répète à l'école, à l'armée.

    Aujourd'hui encore, les préjugés contre les Arméniens restent tenaces.
    Le discours ultranationaliste persiste. La crainte d'une demande de
    réparations des préjudices subis hante les esprits. Alors que le sujet
    du génocide est aujourd'hui discuté ouvertement dans les cercles
    libéraux de Turquie et que des livres, naguère tabous, sont en vente
    dans les librairies d'Istanbul, le premier ministre Erdogan se montre
    incapable d'aborder avec justesse et justice la « question arménienne
    ». En 2011, à Kars, il a même fait raser le Monument de l'Humanité,
    une statue qui devait symboliser la réconciliation entre la Turquie et
    l'Arménie.

    Une « nouvelle Turquie »

    Toutefois, si la majorité de la population nie ou ignore, une nouvelle
    génération se lève, qui exige la vérité. Elle est descendue dans la
    rue à Istanbul en 2007 pour crier, à l'annonce de l'assassinat de
    Hrant Dink, « nous sommes tous des Arméniens ». Elle a signé l'Appel
    au Pardon qui reconnaît la Grande Catastrophe, sans, toutefois, oser
    encore prononcer le mot de génocide. « Bien sûr que c'est un génocide
    », s'exclame l'un de ses initiateurs, Cengiz Aktar, « mais le mot ne
    passerait jamais ». Elle se réclame des milliers de Justes, turcs et
    kurdes, qui, lors du génocide, refusèrent d'être complices. Et elle
    écoute ces Turcs courageux, intègres, qui brisent les tabous,
    reviennent sur l'Histoire et sur leur propre histoire. A l'exemple de
    Hasan Cemal, auteur fin 2012 d'un ouvrage intitulé sobrement,
    fortement, « 1915, le génocide arménien ». « Hasan Cemal est l'un des
    journalistes les plus en vue de Turquie », notent les auteurs, « un
    homme réputé pour sa droiture d'esprit », mais aussi le petit-fils de
    Djemal Pacha, l'un des hauts responsables du génocide.

    Le livre de Laure Marchand et Guillaume Perrier, d'une extraordinaire
    richesse, peut être lu comme une plongée au sein d'un sujet singulier,
    la Turquie et de sa mémoire arménienne, mais il ouvre en fait sur une
    réflexion universelle. Non seulement parce que tout génocide concerne
    l'humanité tout entière, mais aussi parce que d'autres peuples,
    victimes ou bourreaux, ont souffert ou souffrent encore des affres de
    la « mémoire du silence ». Tout au long de ce livre, les auteurs nous
    lancent indirectement des questions essentielles, existentielles :
    qu'aurions-nous fait en 1915 ? Que ferions-nous aujourd'hui pour que
    prévalent la vérité et la justice ? Comment assurer que la justice
    accompagne la réconciliation ?

    Que va-t-il se passer en 2015, à l'occasion de la commémoration du
    centenaire du génocide ? « Le centenaire pourrait constituer une étape
    clef sur la voie de la conscience et de la reconnaissance du crime,
    écrivent Laure Marchand et Guillaume Perrier. Le dialogue des sociétés
    civiles turque et arménienne -d'Arménie et de la diaspora - engagé
    depuis quelques années a ouvert des brèches inédites (...). Mais comme
    un réflexe, l'Etat turc prépare sa riposte et promet d'inonder le
    monde de brochures négationnistes ». Même si le ministre des Affaires
    étrangères Ahmet Davutoglu semble reconnaître que cet effort est de
    plus en plus futile...

    « La reconnaissance n'est pas au programme de 2015, concluent les
    auteurs. Mais au moins, une autre lecture de l'histoire pourrait
    trouver sa place ». Ce livre, qui sera bientôt traduit en turc, aura
    sans aucun doute contribué à ce long cheminement de la mémoire et de
    la vérité dans lequel se sont engagés ces citoyens, ces intellectuels
    turcs, qui incarnent le meilleur de leur pays, en osant affronter ce
    passé qui détermine tellement l'avenir.

    Laure Marchand et Guillaume Perrier, La Turquie et le fantôme
    arménien. Sur les traces du génocide, Préface de Taner Aksam,
    Solin/Actes Sud, 2013, 218 pages.

    http://blog.lesoir.be/lalibertesinonrien/2013/07/19/laure-marchand-et-guillaume-perrier-sur-les-traces-du-genocide-armenien/

    dimanche 11 août 2013,
    Stéphane ©armenews.com

    http://www.armenews.com/article.php3?id_article`863

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