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Genocide Armenien : Les Dessous Des Deportations

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    GENOCIDE ARMENIEN : LES DESSOUS DES DEPORTATIONS

    http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=74977
    Publié le : 14-08-2013

    Info Collectif VAN -www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
    invite a lire cette information publiée sur le site Imprescriptible.

    Imprescriptible

    Autres témoignages sur les déportation et les camps de concentration
    de Syrie et de Mésopotamie (1915-1916)

    Les dessous des déportations

    Souvenir du Circassien Hassan bey [sur les Arméniens du Hauran]*

    Le 14 aoÃ"t 1332 (1916), j'avais recu du commandement de la 4me
    armée l'ordre d'aller rejoindre le quartier général a Alep. A
    cette époque, certains abus et irrégularités s'étaient fait jour
    dans le haut personnel de l'armée et j'avais pensé que j'étais
    appelé en vue d'enquêter sur ces faits et agissements. Plein de
    cette conviction, j'avais fait le voyage de Constantinople a Alep et
    le 23 aoÃ"t 1332 j'étais arrivé en cette dernière ville et m'étais
    abouché avec le commandant a l'Hôtel Baron. Après les paroles de
    bienvenue ordinaires et quelques mots échangés sur Constantinople,
    j'ai compris que j'avais été appelé pour m'occuper des affaires
    arméniennes. J'avais entendu parler des décisions et actes du
    gouvernement unioniste a l'égard de cette nation, actes que je
    n'avais pas crus au commencement et que j'avais attribués pour une
    bonne part a l'exagération. Soit pour cette raison, soit parce que
    je ne m'attendais guère a une telle mission, cet ordre et cette
    proposition m'avaient quelque peu confondu, effrayé.

    En retournant de l'hôtel a la maison de ma sÅ"ur qui habitait Alep, le
    tableau sanglant des événements dont s'étaient plaints la plupart de
    mes amis arméniens et que j'étais porté a croire exagéré, s'était
    ranimé dans mon imagination comme une vérité éternelle. On dirait
    que les massacres, les plaintes des enfants, les cris de douleur des
    femmes résonnaient a mes oreilles avec une force croissante [...]

    J'ai suivi le pacha dans le train du chemin de fer du quartier
    général jusqu'a Beyrouth, inquiet et hésitant. Dans cette ville
    que l'on dit être agréable, j'ai passé quinze jours d'angoisse.

    a Damas

    a l'hôtel Victoria, où j'étais descendu, j'ai appris que mes effets
    avaient brÃ"lé par accident dans le wagon des marchandises. Revêtu
    d'un costume échappé a l'accident avec quelques taches de brÃ"lure,
    je me suis présenté le lendemain au quartier général. J'y
    ai rencontré Djémal pacha. a côté de lui se tenait un homme
    maigre et de longue taille, aux moustaches retroussées a la
    Kaiser. Â"Avant toi, j'avais désigné Hussein Kiazim et Kémal
    bey pour l'affaire arménienne... Pour moi, cette question est
    d'une importance sérieuse. C'est pourquoi je t'ai appeléÂ", me
    dit Djémal. Désignant la personne qui était près de lui: Â"Tu
    recevras mes ordres par l'entremise de ce bey, et tu me soumettras
    des propositions par cet intermédiaire!Â"

    J'ai compris que cette homme que je ne connaissais pas était mon
    supérieur. Je voyais, il est vrai, que Djémal pacha laissait vivre
    encore les déportés arméniens en Syrie. Cependant, quelle était
    l'Å"uvre que je pourrais accomplir et que Hussein Kiazim bey, dont je
    connaissais de loin les opinions, n'avait pu exécuter? Quant a celui
    que l'on me présentait comme mon supérieur, je ne remarquais en lui
    aucun signe pouvant souffrir la comparaison avec Hussein Kiazim bey.

    Le moment était venu de connaître ma charge. Je demandai: Â"Effendim,
    puis-je recevoir les ordres de Votre Excellence au sujet de la forme
    et du caractère de ma mission? Il se peut que ce soit une affaire
    au dessus de mon mérite et de mes capacitésÂ". Le commandant, qui
    me scrutait, répondit: Â"Je donnerai tout a l'heure les instructions
    nécessaires. Djémal pacha s'avanca vers son bureau. Il avait l'air
    de lire dans mes yeux mon anxiété. Il me fit signe d'approcher et
    dit: Â"Tu iras maintenant au Hauran. Tu y trouveras environ 20 a 30
    mille déportés Arméniens. Tu sais que ce n'est pas la un milieu qui
    fasse vivre les artisans, et la plupart des Arméniens sont de cette
    catégorie. De sorte qu'ils sont la dans la misère. Tu réuniras
    tout d'abord les veuves et les orphelins et les expédieras ici. Il
    sera fondé ici des établissements pour veuves et orphelins où ils
    seront protégés. Puis tu enverras les familles, sans en séparer les
    membres, et en groupant les professionnels des différents métiers, tu
    les enverras a Beyrouth et dans les autres localités de la Syrie. Tu
    leur procureras des capitaux pour exercer leur industrie, une boutique
    et une habitation. Tu stimuleras leur zèle et leur assureras les
    moyens de gagner leur vie. Quant au présent, ta mission consiste
    a envoyer en parfait ordre ces familles du Hauran dans ces parages
    pour l'hiver et la saison des pluies. Ensuite, tu iras les visiter
    personnellement afin d'améliorer leur situation sociale et assurer
    leur vie...Â".

    a vrai dire, je n'ai cru qu'a demi a ce projet humanitaire. Je
    songeais en moi-même: Â"N'est-ce pas qu'il a été donné, par des
    voies officielles, des ordres similaires aux pauvres gens que l'on
    éloignait de leur pays et qui tombaient dans des situations de
    plus en plus douloureuses, et les mêmes ordres n'étaient-ils pas
    donnés aux fonctionnaires chargés de leur expédition? Quel avenir
    attend ces hommes que je ferai embarquer dans les trains et que dans
    le but de sauver leur vie j'enverrai des déserts du Hauran a Jaffa
    ou a Akkia?Â" Malgré tout je ne parvenais pas a me rassurer. Je me
    suis souvenu des paroles de ma sÅ"ur qui me conseillait de ne pas
    perdre la faculté de pouvoir faire du bien ne fÃ"t-ce qu'a une seule
    famille. Le dimanche, j'ai pris le train a destination du Hauran,
    où est mort et enterré mon père. J'arrivai a Déraa. C'était
    le chef-lieu du liva du Hauran. La commission qui s'occupait de
    la déportation des Arméniens a cette époque était dénommée
    Commission spéciale. Cette affaire était gérée au chef-lieu par
    un nommé Néchat bey, délégué a Damas de l'Union et Progrès,
    mais j'étais le délégué au Hauran de la Commission spéciale,
    et le procureur impérial Ali Kémal bey remplissait, paraît-il, les
    mêmes fonctions a Homs. Mon prédécesseur, dont je ne connaissais
    pas le nom, ayant été nommé cadi d'Akkia, devait le jour même me
    passer la charge de délégué au Hauran de la Commission spéciale et
    se mettre aussitôt en route pour son nouveau poste. En compagnie d'un
    fonctionnaire attaché a cette commission, nous nous sommes acheminés
    vers les quelques tentes dressées au-dela de la station. C'était
    la que siégeait la Commission spéciale ...

    Peu après arriva le mouavine effendi (l'adjoint). Il me félicita
    de mon nouveau poste! Dans une attitude qui laissait entrevoir
    qu'il doutait de ma réussite, il déclara qu'il n'avait plus rien
    a faire et, en guise de péroraison, il raconta que la conversion
    de tous les déportés était un fait accompli, et qu'un prêtre
    arménien avait été mis a mort par privation de nourriture pour
    avoir systématiquement refusé de se convertir a l'islamisme. Le
    nouveau cadi ajouta que cet incident ayant éveillé sa méfiance,
    les autres religieux se trouvant parmi les déportés avaient été
    dirigés par lui sur Kérek et Toufeyla de crainte que leur présence
    ils ( sic ) n'ébranlassent la foi des convertis. Â"En effet, cadi
    effendi! Il ne nous reste rien a faire.

    Vous avez déja accompli l'Å"uvre la plus difficileÂ", dis-je. Et j'ai
    ajouté que pour renforcer leur croyance, il fallait maintenant faire
    venir une quantité suffisante de livres religieux! Ce pauvre homme
    qui n'avait pas compris cette amère ironie a tâché de prouver sa
    capacité en affirmant qu'il y avait déja pensé et avait écrit
    déja a Néchat bey et que les livres arriveraient bientôt. Il
    sortit avec importance de sa poche un papier et s'approchant de moi:
    Â"Des individus suspects, nuisibles!Â" dit-il. Je pris le papier de ses
    mains et, le froissant devant lui, je l'ai jeté a terre. Au mollah qui
    me fixait avec surprise: Â"Ce n'est pas nécessaire, hodja effendi,
    j'en ai une liste détailléeÂ" dis-je. Je n'avais plus la patience
    de rester face a face avec le hodja. Je l'ai laissé sous la tente
    et suis sorti. J'ai commandé aux agents qui se tenaient en dehors de
    préparer mon lit et de me procurer une lampe. L'heure du départ du
    train étant arrivée, le hodja vint me faire ses adieux. On m'avait
    informé qu'il emmenait avec lui trois garcons et deux filles en
    qualité de domestiques.

    L'ex-délégué du Hauran n'imaginait aucun empêchement a cela.

    N'étaient-ils pas des enfants arméniens, sans mère, sans maître?

    Quelque temps après, mon digne prédécesseur revint soudain sous
    ma tente d'un air surpris et dit: Â"Il paraît que vous ne permettez
    pas que les enfants m'accompagnentÂ". Je me suis contenté d'un non
    très bref et froid. Je n'avais pas permis de répliquer au hodja
    abasourdi et m'étais éloigné en lui tournant le dos. Je ne savais
    ce qui adviendrait des déportés, mais j'étais au moins délivré
    du hodja [fin du n° 186, daté du 8 juillet 1919].

    Mumtaz effendi, attaché a la Commission spéciale, me présenta les
    agents qui devaient collaborer avec moi: Â"Bedri effendi, Messoud,
    Nouri effendiÂ" dit-il. Désignant un homme a l'air hésitant,
    aux yeux hagards qui avaient dÃ" voir des jours troublés, Â"le
    moukhtar des déportés de DéraaÂ" ajouta-t-il. Il l'avait appelé
    je ne sais plus de quel nom musulman. J'ai compris que tous ceux-ci
    étaient des Arméniens et que leurs noms avaient été changés,
    grâce aux efforts du cadi effendi. Mais je n'arrivais pas a voir
    d'autre Arménien que ceux-ci. a mon lever, le lendemain matin de
    bonne heure, c'étaient ces mêmes figures qui représentaient les
    20 ou 30 mille déportés arméniens. Je me suis enquis du lieu où
    étaient installés ces déportés. Il me fut répondu qu'ils se
    trouvaient a un quart d'heure de distance de la station de Déraa,
    disséminés dans les différents villages et hameaux.

    Lorsque je manifestai le désir de les voir, le moukhtar me dit:
    Â"Effendim, je vais les informer. Si vous le voulez bien -- désignant
    un côté de la plaine --, nous les alignerons la deux a deux et
    vous les passerez en revueÂ". Â"Ne s'agit-il pas de familles?Â"
    Â"OuiÂ". Â"De quel droit les ferions-nous mander ici et comment les
    aligneras-tu deux a deux?Â" Le bonhomme dit encore: Â"Comme vous
    l'ordonnerez, effendimÂ".

    Quand je lui ai dit que je pouvais moi-même aller les visiter dans
    leurs habitations, il m'indiqua, avec une profonde surprise et une
    grande déférence, le village où ils étaient et me demanda si
    je comptais m'y rendre a pied. Je m'étais mis a marcher; il venait
    derrière moi.

    Le bourg de Déraa était formé d'amas de pisé superposés avec de
    sales petites ouvertures d'où l'on pouvait voir la cohabitation
    familière des hommes et des bêtes. Une puanteur lourde s'en
    dégageait. a toutes les questions que je lui avais posées en route,
    le moukhtar n'avait fait que répondre: Â"AsayiÅ~_ ber kemal (la
    sécurité est parfaite!)...Â".

    Les déportés n'avaient besoin ni d'être inspectés ni
    d'inspecteur. Il semblait qu'il ne restait rien de mieux a faire
    que de retourner a la station. Nous avancions. Au pied du village,
    on apercevait des espaces entourés de murs bas et noirs. Il m'a dit
    que c'étaient des aires a grains. Après avoir contourné un ou deux
    endroits pareils, nous sommes arrivés devant une enceinte du même
    genre où j'ai vu environ vingt a trente squelettes enroulés dans
    des haillons, représentant de la facon la plus tragique la misère
    et la faim, qui se mouvaient lentement et avec difficulté. D'une
    espèce de tente dressée au milieu, j'entendis la voix faible et
    souffreteuse d'un enfant. Je m'élancai sous la tente. a ma question:
    Â"Qu'est-ce que c'est ici?Â", je ne me rappelle plus de quelle facon je
    dévisageai le moukhtar qui m'avait répondu: Â"Un hôpitalÂ". Il avait
    baissé la tête. Cet homme n'était pas coupable, mais je m'irritais,
    croyant qu'il ne comprenait pas les tortures de ma conscience. Je
    m'approchai de cette créature qui gémissait dans un coin obscur
    de la tente. j'apercus une femme qui essayait de faire boire une
    espèce d'eau de vaisselle d'une écuelle qu'elle tenait a la main
    a deux bébés innocents étendus sur la terre. Ces deux enfants
    dont les yeux enfoncés dans leurs orbites, les joues caves, les
    bras et les jambes comme des baguettes, ne ressemblaient a rien [de]
    moins qu'a des momies, étaient en pleine agonie. L'un d'eux, calme et
    immobile, avait fixé ses yeux au ciel, l'autre se contorsionnait dans
    d'indicibles souffrances: Â"Qu'est-ce qu'il a?Â" fis-je. Â"Effendim,
    il est devenu chauve, des vers se sont [re]produits sur sa tête; il
    pousse des cris toutes les fois que les vers rongent sa têteÂ". Je
    n'ai pas pu endurer cinq minutes de plus ce spectacle tragique. Sans
    proférer un seul mot, je refis la moitié du chemin vers la station.

    M'adressant au Moukhtar que je sentais en proie a un profond malaise
    sous mes regards courroucés: Â"Vraiment, l'état des déportés est
    bien ressemblant a la description qui m'en a été faite. N'avez-vous
    pas un médecin?Â" Et j'ai ajouté que j'agirais comme le cadi l'avait
    fait pour les prêtres envers tout Arménien qui se refuserait a
    me renseigner exactement sur la réalité des choses. Le Moukhtar,
    avec hésitation: Â"Que faire, effendim? C'est comme cela...Â",
    disait-il. Â"La Commission spéciale ne possède-t-elle pas de
    docteur?Â" Â"Elle en possède; c'est Yacoub effendiÂ". Â"Bien, que
    fait-il celui-ci?Â" Â"Que ferait-il, effendim?Â" Â"Ne visite-t-il
    pas cet hôpital?Â"

    Lorsque j'ai envoyé chercher le médecin nommé Yacoub ou Hagop,
    il fit répondre que devant aller voir un malade recommandé par
    Djémal pacha, il ne pourrait, en ce moment, visiter les malades et
    qu'il irait les voir le lendemain. Je fus au regret de ne pouvoir
    appliquer la peine que je me proposais pour lui lorsque j'ai vu l'âge
    du médecin que l'on amena par force devant moi vingt minutes plus
    tard, pâle et tremblant.

    Je lui ai fait entendre qu'il n'était pas le médecin de Djémal
    pacha, mais au service de la Commission spéciale, et qu'il devait
    dorénavant visiter régulièrement chaque matin et chaque soir
    l'hôpital qu'il allait fonder et que s'il omettait de le faire, je
    me chargerais de le lui rappeler d'une facon très amère. Dix jours
    plus tard, on pouvait voir Yacoub effendi traiter ses malades avec
    habileté dans un hôpital formé de dix tentes alignées face a face.

    Tout en m'occupant de compléter l'organisation de l'hôpital et
    de la pharmacie, j'avais commencé a prendre mes mesures pour les
    expéditions des déportés. Comme je devais, en premier lieu,
    envoyer a Damas les veuves et les orphelins, il fallait recueillir
    tous ces infortunés jetés dans les différents villages et hameaux
    du Hauran. J'ai fait mander des villages les moukhtars arméniens
    et leur ai recommandé de dresser chacun une liste. J'ai élaboré
    le plan des expéditions d'après ces listes, en répartissant les
    déportés selon le nombre de vagons que le commandant de la station
    mettrait journellement a ma disposition.

    Mon intention était de ne pas faire attendre plus de 24 heures les
    déportés qui arriveraient des villages, afin de ne pas augmenter
    leurs souffrances par une trop grande agglomération. Au bout de
    deux ou trois jours, mon but était atteint. Les expéditions avaient
    commencé.

    Après avoir donné aux fonctionnaires les instructions nécessaires
    pour l'embarquement en bon ordre des déportés qui arriveraient
    chaque jour, je me suis mis en route pour Djébel afin de recueillir
    moi-même les veuves et les orphelins et constater personnellement
    leur situation.

    Ces montagnes, depuis leur création jusqu'a nos jours, n'avaient
    pas porté une misère humaine aussi affreuse. Ce voyage, qui a duré
    quatre jours, m'a enseigné si parfaitement le degré de voracité et
    d'endurance de la créature appelée homme, que j'en ai été effrayé
    et j'ai eu honte d'appartenir a l'espèce humaine. Quelles tristes et
    repoussantes actions sont motivées par les tiraillements de la faim!

    Que ressent l'homme en voyant que son semblable mange de l'herbe, de la
    charogne, son enfant de même? Je puis dire que moi, j'étais glacé.

    J'ai vu les fils de gens comme il faut s'essayer a marcher

    avec des pieds sans force, brouter l'herbe comme des animaux,
    se disputer les morceaux d'un cadavre de mulet comme des hyènes
    voraces et chercher a s'étrangler réciproquement pour se partager
    les intestins de cette charogne. Tous les sens de l'homme cessent de
    fonctionner, ses yeux refusent de voir, ses oreilles d'entendre...

    Lorsque je m'approchai d'eux avec mon appareil photographique, ils
    ne s'en sont même pas inquiétés. Pas un d'eux ne s'est retourné
    pour voir.

    Puis nous nous sommes acheminés vers le hameau d'Erbit. On
    apercevait déja ce hameau. M'adressant au kiatib Aram
    effendi, qui m'accompagnait, j'ai murmuré: Â"J'ai été très
    impressionnéÂ". Â"Nous autres, nous nous sommes accoutumés a
    force de les voir. Au début, nous n'en pouvions aussi supporter
    le spectacle. Mais l'on s'habitue, mon beyÂ", dit-il. Guidés par
    quelques déportés qui attendaient au bout du village pour voir
    le nouvel effendi qui allait peut-être jouer avec leur vie, nous
    sommes entrés dans les rues du village. La nuit était tombée. Sous
    la lumière d'un lampion a demi-mourant, dans une caverne de terre,
    nous avions formé un groupe d'une dizaine de personnes déportées
    d'Aïntab, Ak Hissar, Yozgad, épargnées par les événements
    tragiques. Nous venions de nous lever d'une table préparée avec soin.

    Quand j'expliquai les ordres qui m'avaient été donnés a leur sujet
    par le commandant de l'armée et lorsque je les eus assurées que
    je m'efforcerais de les leur appliquer en toute conscience, leurs
    figures ne paraissaient pas au fond très rassurées.

    Le lendemain, je suis allé au local du gouvernement pour m'entretenir
    avec le caïmakam de l'endroit. Je lui ai fait part de mon intention
    de prolonger mon voyage jusqu'aux localités éloignées d'Alep, et je
    lui ai demandé de m'adjoindre un gendarme connaissant les routes. Le
    caïmakam qui avait accepté volontiers mon offre a déclaré que
    le typhus et la fièvre récurrente y sévissaient en permanence et
    présentaient un caractère dangereux par suite de l'impossibilité de
    prendre les mesures de précaution préventives. Je ne puis affirmer
    que je n'ai pas hésité un seul instant. Cependant, je l'ai quitté
    avec la ferme résolution d'y aller a tout prix.

    Le lendemain soir, j'ai logé a Tchérèche et j'ai continué mon
    voyage vers Kefrendjé. Dans tous les villages suivants, 30 a 40%
    des déportés étaient morts du typhus, de la fièvre récurrente,
    de la malaria qui sévissaient avec violence. Lorsqu'il n'y a pas de
    quinine, la malaria la plus ordinaire présente-t-elle une différence
    quelconque avec la peste?

    Je recueillais les veuves et les orphelins et les faisais se
    préparer pour les emmener avec moi a mon retour et j'avancais
    toujours en remettant a plus tard mes investigations. J'avais désigné
    quelques déportés pour aller recueillir les veuves et les orphelins
    disséminés aux alentours et les amener dans les endroits qui se
    trouvaient sur le passage de mon retour. J'arrivai a Hazrakeuy,
    a une heure de distance de Kéfrendjé. Ici, quatre cent dix-sept
    personnes étaient mortes sur un total de cinq cents âmes. Dans
    les étroites venelles du village, des morts vivants appuyés sur
    des béquilles avancaient péniblement, se dandinant de droite et
    de gauche. J'avais préféré passer la nuit dans un champ. Je n'ai
    pu y rester. J'ai vu la un enfant que les poux avaient rongé. Des
    milliards de ces horribles bêtes avaient couvert tout le cadavre de
    l'enfant depuis le bout des ongles, de facon a ne pas laisser de place
    même pour enfoncer une aiguille. J'ai essayé de passer la nuit en
    m'étendant sous un chêne, mais je ne parvenais pas a fermer les yeux
    [fin du n° 189, daté du 11 juillet 1919].

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    From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
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