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La nostalgie d'un monde perdu

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    REVUE DE PRESSE
    La nostalgie d'un monde perdu


    En cas de nouvelle guerre, a dit le chef d'état-major israélien Benny
    Gantz, nous ramènerons le Liban soixante-dix ou quatre-vingts ans en
    arrière." Une déclaration qui ne nous a pas démesurément
    impressionnés, nous autres Libanais, vu que nous sommes habitués à
    plus fleuri en matière d'horticulture langagière. En revanche, il nous
    a presque fait rêver, le général Gantz. "Tu te rends compte, m'a dit
    mon amie Maha, soixante-dix ans en arrière ! C'est justement l'époque
    où il faisait bon vivre dans ce pays." Cela correspondrait à la
    période du milieu des années 1930 au milieu des années 1940 du siècle
    dernier. Le Liban serait encore sous mandat français, piaffant
    d'impatience à l'idée d'acquérir son indépendance et l'obtenant enfin.
    Les Libanais auraient un idéal de pays, un projet commun. Leurs
    leaders politiques auraient un sens aigu de l'honneur et de leur
    mission. Chrétiens et musulmans seraient à la veille d'établir une
    démocratie sur le modèle du contrat de mariage : pour le meilleur et
    pour le pire, protection mutuelle, communauté des biens et tout ça.
    Mieux, l'Etat d'Israël n'existerait pas encore, les Palestiniens
    seraient ce peuple d'agriculteurs débonnaires, accueillants et
    généreux, inconscients des desseins sournois qui les menacent. Mes
    grands-parents feraient des cures au lac de Tibériade et des
    pèlerinages à Jérusalem. Les Arméniens, persécutés en leurs villes
    ancestrales de Turquie, continueraient d'arriver par vagues et par
    bateaux dans la seule capitale d'Orient où pour des chrétiens il
    ferait bon vivre : Beyrouth, et Beyrouth serait encore un jardin. Par
    la gare de Mar Mikhaël, on prendrait des trains faisant la liaison
    avec toutes les grandes lignes d'Europe et d'Asie. Certains racontent
    qu'à cette époque ils allaient par le rail faire la fête sur les bords
    de la Baltique. Que reste-t-il de tout cela ? Une photo, bien sûr, des
    photos jaunies, des cartes postales que des collectionneurs passionnés
    rassemblent avec ferveur et partagent sur les réseaux sociaux avec un
    tel succès que d'autres les leur volent, s'attribuant à peu de frais
    leur labeur et leur mérite. Ces trésors, témoins dérisoires d'un avant
    où nous fûmes presque heureux et fiers, déploient des vues d'une
    beauté à couper le souffle : de longues baies vierges où de petites
    habitations coiffées de tuile rouge s'alignent paisiblement,
    confiantes en la douceur du ressac ; quelques fiacres traversant une
    place ornée de palmiers, d'eucalyptus et de sycomores ; des souks
    débordants de primeurs, de minuscules échoppes parées d'un fouillis
    d'objets insolites, tirelires en terre cuite, grappes de luffa,
    tambourins et cerceaux ; des porteurs harnachés de paniers démesurés,
    suivant avec leurs courses les élégantes des beaux quartiers, la tête
    courbée sous le poids de leur fardeau mais anoblis par leur
    appartenance à une confrérie hors norme. Mais faites donc, général
    Gantz, si vous en avez le pouvoir. Ramenez-nous à ces temps bénis où
    votre folie meurtrière n'avait pas encore réveillé les monstres de ce
    brave monde arabe. Décivilisez-nous et que votre barbarie triomphe.
    Parce que nous nous valons bien.-

    Fifi Abou Dib

    Publié le 9 octobre

    L'Orient-Le Jour

    Beyrouth

    dimanche 4 janvier 2015,
    Stéphane (c)armenews.com

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