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Alain Manoukian : "La hausse, la baisse, c'est la vie"

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  • Alain Manoukian : "La hausse, la baisse, c'est la vie"

    Le Figaro
    01 juin 2004

    Alain Manoukian : 'La hausse, la baisse, c'est la vie'

    AUTEUR: Nathalie CONTE


    ALAIN MANOUKIAN a installé ses locaux dans un château à
    Tain-l'Hermitage, juste au nord de Valence (Drôme). Pour un
    entrepreneur qui a fait son succès dans la maille, le nom du domaine
    était prédestiné : Blanchelaine. A l'intérieur, le bureau d'Alain
    Manoukian et celui de son fils David sont séparés par... une chapelle
    arménienne. Dans ce lieu de recueillement, les deux hommes se
    retrouvent parfois. « Lui, pour prier... moi, pour demander un
    chiffre d'affaires en hausse », explique le fils, avec un clin
    d'oeil, mais sous le regard bienveillant de son père.

    Alain, le père, 58 ans, est celui qui a créé de toutes pièces une
    affaire devenue en quelques années une success story. David, le fils,
    30 ans aujourd'hui, est né l'année où la saga Manoukian a commencé.
    Il a d'abord exercé ses talents comme financier dans un cabinet de
    conseil international, avant de rejoindre la maison familiale en
    1999. Il y a retrouvé sa soeur, Seda, 32 ans, qui a intégré le groupe
    avec une formation de styliste, et sa mère Dany, directrice du style
    et de l'image. Chez les Manoukian, la famille, c'est sacré. Mais
    depuis quelques années, le moteur de l'entreprise est la relation
    entre Alain et David. Entre eux, c'est mieux qu'un tandem, une
    symbiose. Ils partagent même le look de « métrosexuels », celui
    d'hommes qui n'hésitent pas à assumer leur féminité bien qu'ils
    adorent les femmes, d'hommes soucieux de leur ligne et de leur
    allure. Tous les deux arborent une barbe de trois jours
    minutieusement entretenue, taillée avec soin, et portent costume
    rayé, chemise colorée et cravate imprimée tout droit sortis de l'une
    des trois collections masculines du groupe.

    Ses grands-parents avaient trouvé refuge à Marseille après l'exode de
    1915, sans un sou ou presque. Son père a fait quelques centaines de
    kilomètres vers le Nord pour devenir chausseur à Romans (Drôme),
    capitale française de la chaussure de luxe. Alain Manoukian, lui,
    renoncera à reprendre l'usine de chaussures que son père avait bâtie.
    Après ses études d'économie et de comptabilité, il se lance dans le
    commerce. Avec son épouse, styliste, il ouvre une petite boutique de
    prêt-à-porter multimarques à Romans, à l'enseigne Danylan.

    Un cappuccino à l'aube

    Mais sa réussite, il la construira sous sa propre marque. Armé de son
    culot, de sa bonne mine et d'un dictionnaire franco-italien, Alain
    Manoukian se lance dans l'importation de produits en maille. « Un
    jour de 1973, j'ai pris ma voiture à 4 heures du matin et je suis
    parti pour l'Italie à Carpi, le berceau de la maille, aime-t-il à
    raconter avec nostalgie. Ne connaissant personne sur place, je suis
    allé boire un cappuccino dans un café et j'ai arraché les pages de
    l'annuaire local à la rubrique Bonneterie, pour ensuite aller
    démarcher et rencontrer les 200 fabricants du cru. Je me suis
    présenté comme le plus gros importateur français, comme quelqu'un qui
    paie comptant... Et ça a marché ! »

    A la suite de cet épisode italien, Alain Manoukian importe et vend
    des vêtements à Romans, mais il découvre assez vite, à sa grande
    surprise, que ce sont ses propres créations distillées dans les
    collections qui se vendent le mieux ! Il décide, en 1979, de créer
    son enseigne en ouvrant la première franchise à Colmar. « C'était la
    période euphorique de Benetton, on voyait des pulleries se monter un
    peu partout ! », se rappelle Alain Manoukian.

    En jouant sur la déclinaison des couleurs, sur la fantaisie, en se
    dotant d'une image plus haut de gamme que Benetton, la marque devient
    la préférée de la femme élégante et sportswear. Grâce à la franchise,
    elle va grandir à toute vitesse. C'est la période bénie. Entre 1995
    et 2000, Alain Manoukian vit cinq années exceptionnelles. Tous les
    journaux économiques encensent le champion du développement rentable
    et ses profits ininterrompus. Son chiffre d'affaires n'a-t-il pas
    doublé en cinq ans ? N'a-t-il pas franchi le cap des 150 millions
    d'euros de chiffre d'affaires en 2000, soit avec un an d'avance sur
    le tableau de marche ?

    Les mauvais chiffres s'enchaînent

    L'apothéose, d'ailleurs, est atteinte en 2000. En France, Alain
    Manoukian compte alors 200 boutiques à son nom et autant de points de
    vente. A l'étranger, il y a 180 points de présence. L'entrepreneur
    décroche le titre d'enseigne d'or parmi les détaillants textiles.
    Tout semble lui réussir. Las ! Les années suivantes, le succès laisse
    place au doute. Les collections ne rencontrent pas le succès
    escompté, les clientes se détournent des magasins, les ventes
    s'effondrent. En outre, deux décisions s'avèrent plus compliquées que
    prévu à mettre en oeuvre : d'une part, l'intégration du bureau
    d'études qui travaillait avec la société depuis la fin des années 80
    ; d'autre part, la transformation des méthodes de travail. Manoukian
    passe des patrons réalisés à la main à la conception assistée par
    ordinateur. Ce chantier est évalué à plus de 3 millions d'euros.

    En 2002, Alain Manoukian est obligé d'aller chercher chez Kenzo un
    nouveau directeur du bureau d'études. Il lui confie la délicate
    mission de faire cohabiter une ancienne équipe habituée à travailler
    à la main avec une équipe nouvelle, formée aux outils modernes. Mais
    les mauvais chiffres s'enchaînent jusqu'à l'année dernière. Il faut
    prendre des décisions drastiques. Ainsi Alain Manoukian se résout-il
    à arrêter la ligne femme Seda qui, même si elle remportait un succès
    d'estime, a nui finalement au positionnement de la marque. « Nous
    avions cherché à toucher une clientèle plus large, mais nous avions
    mal mesuré le risque de cannibalisation de la marque ombrelle. Or
    c'est ce qui s'est passé. » C'est à regret qu'Alain Manoukian a jeté
    l'éponge, en laissant entendre qu'il ne s'agissait pas d'un arrêt
    définitif.

    Stoïque face aux revers

    Avec un chiffre d'affaires 2003 de 146 millions d'euros en baisse de
    6,8 % par rapport à 2002 et des pertes nettes triplées entre 2002 et
    2003 (à 10,7 millions d'euros), la société de textile espère avoir
    touché le fond l'an passé. Et compte bien rebondir en 2004 : «
    Plusieurs axes de relance ont déjà été initiés : recentrage de
    l'offre sur son coeur de cible historique, optimisation du sourcing
    (approvisionnements et fabrication) et réduction du taux de décote,
    réduction de la structure des coûts et enfin maîtrise de
    l'endettement du groupe », énumère le directeur financier Etienne
    Berthelot.

    Les références (2 800 jusqu'ici) vont être réduites de plus d'un
    quart, aucune ouverture à l'international n'est programmée. Une
    dizaine de magasins « non contributifs » devraient encore être
    fermés. Aujourd'hui, l'enseigne n'est plus présente que par 164
    boutiques dont 115 sont en propriété et 49 affiliées.

    Face à de tels revers, Alain Manoukian reste stoïque : « J'ai
    toujours vécu des phases de hausse, de stabilisation et de baisse,
    c'est dans l'ordre des choses, je ne m'en émeus pas. » « Il fait
    preuve d'une sérénité dans les affaires et d'un pragmatisme qui lui
    viennent sans aucun doute de l'équilibre personnel qu'il a su créer
    autour de lui en travaillant en famille », confirme un de ses amis,
    Jean-Michel Aulas, le président de Cegid, et patron de l'Olympique
    lyonnais.

    De fait, des revers de fortune, Alain Manoukian en a déjà connu
    plusieurs. Déjà au début des années 90, face au changement
    d'habitudes de consommation, et alors que les ventes commençaient à
    s'éroder, Alain Manoukian avait commencé à envisager de faire plus de
    produits cousus (chemisiers, vestes, pantalons..., « chaîne et trame
    », dans le jargon) et moins de maille seule. Il avait aussi pris la
    décision stratégique de cesser la franchise pour devenir
    succursaliste, propriétaire de ses magasins. « Nous sommes passés du
    métier de grossiste à celui de détaillant, du négoce au détail pur,
    en rachetant les franchises les unes après les autres », rappelle
    Alain Manoukian.

    Un changement total de métier qui s'accompagne d'un changement
    d'hommes. Jusqu'en 1995, l'état-major de la société textile était
    réduit à sa plus simple expression : Alain Manoukian lui-même et sa
    femme, entourés d'une équipe très restreinte. En 2001, le PDG
    constitue un véritable comité de direction, avec un accent mis sur
    des hommes issus de la distribution. « Nous avons fait table rase,
    rappelle Alain Manoukian. Il fallait tout changer. » Deux personnes
    sur six seulement gardent leur place au comité de direction.

    Dans le même temps, la société réduit les strates hiérarchiques : on
    passe ainsi de 7 à 4 échelons. Aujourd'hui, la garde rapprochée
    d'Alain Manoukian est constituée de moins de dix personnes : le
    directeur des produits, le directeur de la « supply chain », le
    directeur commercial, le directeur international, le directeur
    financier, la DRH, la directrice du style et de l'image (l'épouse du
    fondateur PDG, Dany Manoukian), tandis que les deux enfants, David et
    Seda, ont le titre de directeur général, l'un en charge du
    développement, l'autre des produits.

    Les Manoukian occupent toujours beaucoup de place dans l'entreprise.
    « Ce n'est pas toujours facile de travailler en famille, commente
    David, le fils. Beaucoup de mes amis m'ont prévenu des dangers ,
    avant que je ne rejoigne le groupe, me mettant en garde contre des
    parents parfois un peu trop attentifs ou prudents. Chez nous, c'est
    l'inverse, c'est à moi, le fils, de freiner parfois mon père trop
    impétueux. »

    Un cauchemar pour ses assistantes

    Bourreau de travail, Alain Manoukian n'aime pas rester enfermé dans
    son bureau. Il lui arrive souvent de travailler au milieu de ses
    équipes en squattant une table dans un open space. Il n'aime rien
    tant que de voir comment vit son entreprise. Un style de travail que
    l'on retrouve dans l'organisation même des locaux. Au domaine de
    Blanchelaine, sur le site qui ressemble à une sorte de camp
    retranché, un souterrain relie le « château » aux entrepôts ! A Paris
    aussi, un seul site regroupe désormais le bureau de création et les
    services administratifs.

    Cette rationalisation ne le rend pas plus facile à gérer. Alain
    Manoukian, qui se flatte de faire ses « 35 heures du lundi au
    mercredi », est un cauchemar pour ses assistantes. Son fils explique
    : « Il ne respecte jamais un horaire et on ne sait jamais où le
    joindre ! » Rarement à son bureau avant 9 heures, le président peut
    en revanche quitter Blanchelaine après 22 heures. « Le fait d'être
    dans un environnement exceptionnel, entouré de vignobles, est une
    chance inestimable, insiste Alain Manoukian. Nous avons l'impression
    d'être sur un campus. Cela crée une ambiance particulière pour les
    250 salariés sur place. En plus, nous sommes à 2 heures de Paris en
    TGV, mais aussi de Genève et de Marseille... »

    Ultime avantage de cette localisation : l'entrepreneur reste près de
    ses racines. « L'axe rhodanien était une zone massive d'immigration
    pour les Arméniens, dans les années 50, rappelle Alain Manoukian. Mes
    parents se sont installés à Romans, je suis resté dans la région. »
    Il adore les vieilles pierres et réside à quelques kilomètres de là
    au château de Conflans, un ancien relais de chasse de Diane de
    Poitiers.

    Ses succès...



    En 30 ans, Alain Manoukian et sa famille ont construit une marque
    présente dans plusieurs pays du monde. Il est passé du métier
    d'importateur à celui de détaillant.

    ... et ses échecs



    Le groupe essuie des pertes depuis deux ans. Mais la plus grande
    déception de l'entrepreneur est d'avoir dû arrêter une ligne de
    produits au nom de sa fille, Seda.



    Manoukian en chiffres



    Le groupe Alain Manoukian est un poids moyen de la distribution
    textile en France, où il compte 164 magasins dont 115 en propre et 49
    affiliés. Il dispose aussi de 19 magasins à l'étranger.

    - CHIFFRE D'AFFAIRES

    146 millions d'euros en 2003 (- 6,8 % par rapport à 2002).

    - PERTES NETTES

    10,7 millions d'euros l'an dernier, trois fois plus qu'en 2002.

    - EFFECTIFS

    250 personnes

    - BOURSE

    Le titre Alain Manoukian est coté à Paris. Il a perdu 27 % depuis
    janvier.



    Ils l'ont vu à l'oeuvre



    - Jean-Michel Aulas, Président de Cegid (informatique) et de
    l'Olympique lyonnais

    « Je peux exactement dater ma rencontre avec Alain Manoukian. Nous
    nous sommes vus pour la première fois le 17 juin 1986 à l'hôtel de
    Paris à Genève... C'était la veille pour tous les deux d'un événement
    majeur : l'introduction en Bourse de nos sociétés respectives ! J'ai
    tout de suite apprécié son esprit d'initiative, sa prise de risque et
    son pragmatisme. Notre proximité géographique nous rapproche certes,
    mais surtout j'ai toujours eu un faible pour les métiers de création,
    les architectes et les concepteurs d'avions. Le fait qu'il travaille
    en famille est un plus et lui permet de traverser aussi bien les
    phases de hausse que de baisse de son métier, qui est soumis à des
    fluctuations très rapides. »

    - Norbert Dentressangle, Président de la société du même nom
    (transports)

    « Alain Manoukian et moi-même sommes doublement amenés à nous
    rencontrer souvent car nous sommes tous les deux installés dans la
    Drôme pour nos activités professionnelles et nos résidences. Ce que
    j'admire le plus chez lui est sa formidable capacité à rebondir
    quelles que soient les circonstances : il sait ne pas s'entêter et
    reconnaître lorsqu'il a fait fausse route. Il est ainsi capable de
    changer de cap très rapidement en cas de dysfonctionnement, ce qui
    est essentiel dans le secteur de la mode et du textile. Il a
    également un esprit de famille très aigu, et représente l'exemple
    type de l'entrepreneur familial, courageux et impliqué, mais surtout
    très travailleur. Je l'ai toujours vu sur le pont... »

    - Bruno Rousset, Président du conseil de surveillance d'April Group
    (assurances)

    « J'ai rencontré Alain Manoukian grâce à mon épouse journaliste. Nous
    avons sympathisé lorsque nous nous sommes retrouvés tous les deux
    nominés pour le prix régional du grand prix de l'entrepreneur en
    2001. Nous avons des attaches communes dans la Drôme, dont je suis
    moi-même originaire, et j'apprécie beaucoup chez lui ce côté très
    terrien, loin des paillettes parisiennes. Il a su rester simple et
    authentique. Dans un monde qui apparaît superficiel, comme peut
    l'être la mode, et malgré les échecs qu'il a pu subir, il a toujours
    réussi à rebondir. C'est un entrepreneur dans l'âme qui sait prendre
    des risques quand il le faut. »
Working...
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