Announcement

Collapse
No announcement yet.

Quand l'eau de Borjomi barre la route de l'exportation au petrole

Collapse
X
 
  • Filter
  • Time
  • Show
Clear All
new posts

  • Quand l'eau de Borjomi barre la route de l'exportation au petrole

    Le Temps
    2 août 2004

    Quand la très réputée eau minérale de Borjomi barre la route de
    l'exportation au pétrole de la Caspienne;

    PÉTROLE. La construction du grand pipeline à travers le Caucase vient
    d'être arrêtée au beau milieu de la Géorgie. Le gouvernement de
    Tbilissi demande au groupe pétrolier britannique BP de mieux protéger
    l'environnement



    Ses concepteurs le savaient: la route d'évacuation du brut de la
    Caspienne en direction de l'Occident est semée d'embûches. Mais le
    pétrolier britannique BP, chef de file du consortium international
    qui dirige ce chantier, l'un des plus grands du monde (tracé de
    l'oléoduc: 1760 km; coût des travaux: près de 4 milliards de
    dollars), pensait les avoir toutes surmontées. Malgré les tensions
    ethniques dans la région (Karabakh, Adjarie, Ossétie du Sud,
    proximité de la Tchétchénie), malgré les soubresauts politiques
    géorgiens liés au départ du vieux président Chevardnadze l'automne
    dernier, malgré des polémiques sur le traitement réservé aux
    militants kurdes des droits de l'homme côté turc, les travaux
    avancent régulièrement depuis le premier coup de pioche en septembre
    2001 au sud de Bakou. BP annonce régulièrement sur un site internet
    spécialement dédié au projet (www.caspiandevelopmentandexport.com)
    que les délais seront tenus. En théorie donc, la conduite stratégique
    Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) sera inaugurée au premier trimestre 2005.
    Ainsi le brut du secteur azéri de la Caspienne pourra, par monts et
    par vaux, déboucher sur le grand terminal pétrolier de Ceyhan, sur la
    côte méditerranéenne de la Turquie. C'est là aussi qu'arrive déjà,
    quand le pipeline n'est pas saboté, le pétrole de Kirkouk, au nord de
    l'Irak. Seulement voilà, une eau minérale menace de tout faire
    dérailler au dernier moment!

    Au coeur du massif du Petit Caucase, au beau milieu de la Géorgie, la
    vallée de Borjomi recèle en effet un superbe parc naturel, réputé
    pour la qualité de son eau minérale cristalline. A l'époque de
    l'empire rouge, 300 millions de Soviétiques ne juraient que par les
    vertus curatives de la Borjomi, dont l'étiquette était reconnaissable
    sur toutes les tables. Celles des apparatchiks du Kremlin comme
    celles des ouvriers des aciéries de Magnitogorsk. Avec la disparition
    de l'URSS, la Borjomi s'était fait plus discrète. Mais depuis
    quelques années, la Géorgie a décidé de lui redonner son prestige,
    invitant des investisseurs étrangers à moderniser les chaînes
    d'embouteillage.

    Quand le pouvoir géorgien a découvert que le tracé du pipeline de BP
    allait passer pile à travers les 17 kilomètres du parc naturel de
    Borjomi, tout faillit capoter. Il fallut, en novembre 2002, une
    rencontre au sommet entre David Woodward, grand patron de BP en
    Azerbaïdjan et maître d'oeuvre du BTC, et le président Chevardnadze,
    pour arracher le consentement de Tbilissi, au terme d'une nuit de
    négociation homérique. Le Ministère de l'environnement lui-même, fort
    des conclusions d'experts écologistes hollandais, s'était pourtant
    opposé au tracé passant par Borjomi, estimant que l'or noir en tube
    menaçait considérablement le fragile équilibre écologique de la
    région. Une campagne internationale de conscientisation avait suivi,
    organisée depuis Londres par des activistes verts déchaînés. Mais, en
    professionnels de la communication, les gens de BP avaient fini par
    noyer les mises en garde sous le flot de leurs communiqués
    rassurants. Il y a dix jours, alors que les travaux ont commencé il y
    a un mois dans ce secteur sensible, les nouvelles autorités
    géorgiennes du président Mikhaïl Saakachvili ont exigé de BP l'arrêt
    immédiat des travaux pour deux semaines, sur cette portion du
    chantier seulement. Le Ministère de l'environnement géorgien et le
    Conseil de sécurité nationale demandent que «les mesures de sécurité
    les plus strictes» soient observées. «Nous invitons BP à respecter
    ses engagements pris lors de l'accord de novembre 2002, notamment le
    paragraphe 9 qui se rapporte directement au secteur de Borjomi»,
    insiste Tamar Lebanidze, ministre de l'Environnement géorgien.
    Consternation chez les pétroliers.

    «Cette requête géorgienne n'est pas une surprise», confie un prochedu
    dossier. Tbilissi entend obtenir le maximum de garanties de la part
    des constructeurs. Les experts du gouvernement géorgien insistent sur
    le fait que la vallée est située dans une zone à «haute activité
    sismique», que les risques de glissements de terrain sont élevés et
    qu'un sabotage ou un acte terroriste n'est pas à exclure. Un accident
    causerait des dommages écologiques irréparables, mais aussi
    économiques. Or la région a le potentiel pour attirer de nombreux
    touristes. En outre, l'entreprise Georgian Glass & Mineral Water,
    propriétaire de l'eau minérale de Borjomi, est l'une des rares
    sociétés du pays à exporter, ce qui en fait une importante
    pourvoyeuse de devises pour un Etat ruiné. Pas question pour elle de
    prendre le risque de connaître les mésaventures de Perrier, dont les
    ventes s'étaient effondrées en 1990, après une affaire de
    contamination de l'eau au benzène.

    Le gouvernement géorgien précise qu'il «reconnaît les engagements
    internationaux» du pouvoir précédent et n'entend pas exiger de
    «suspension à long terme» des travaux. Il n'envisage pas non plus de
    faire changer le tracé du BTC pour contourner la précieuse vallée, en
    passant plus au sud par exemple. Une option qui avait de toute
    manière était évacuée d'emblée par les promoteurs du projet, et par
    la diplomatie américaine qui le soutient: le sud de la Géorgie, dans
    la région de Djavakhétie, est en effet peuplé d'Arméniens, jugés
    potentiellement séparatistes, et proches de Moscou. La zone abrite de
    surcroît une importe base militaire russe...

    Deux semaines, c'est court. Suffiront-elles à réévaluer la situation
    et à amener BP à fournir des garanties supplémentaires? Pour un
    spécialiste des chantiers de pipelines, travaillant sur le BTC, «ce
    délai a un côté médiatique. Cela aurait pu être une comme quatre
    semaines, explique-t-il. Il est à peu près certain que le
    gouvernement géorgien s'appuie sur la forte protestation des
    organisations vertes pour remettre à plat les négociations avec la
    BTC Corporation et BP, afin d'obtenir des conditions financières plus
    favorables, notamment les droits de transit que touchera l'Etat pour
    le passage du pétrole sur son territoire. Chantage? Oui, en quelque
    sorte. Cela se passe toujours comme cela dans ce genre de chantiers,
    aux quatre coins du monde.»

    Même si l'interruption provisoire du grand chantier n'est donc pas
    qu'une question de sécurité environnementale, les organisations
    écologistes ont bien l'intention d'en profiter pour faire entendre
    davantage leurs exigences. Peu optimiste quant à la possibilité de
    faire changer le tracé du BTC, Manana Kochladze, présidente de Green
    Alternative, estime que «cette mesure sera un vrai test de la volonté
    du gouvernement de protéger les populations de la région et défendre
    les intérêts du pays». Entre un gouvernement géorgien tout sauf
    servile et des ONG tenaces et puissantes, BP et ses partenaires
    pourraient avoir fort à faire dans les prochaines semaines. D'autant
    que d'autres motifs de contestation - problème des compensations
    versées aux propriétaires des terres où passera le tuyau;
    non-réalisation de programmes d'«accompagnement» destinés à amoindrir
    l'impact social du chantier - pourraient continuer à freiner
    l'avancée du grand pipeline, une avancée nettement moins inexorable
    que celle promise par David Woodward dans son bureau de Bakou, quand
    il explique aux visiteurs comment son grand tuyau se jouera de toutes
    les difficultés.
Working...
X