Le Monde, France
1 février 2007 jeudi
TURQUIE QUESTION ARMÉNIENNE;
Les nationalistes turcs relèvent la tête, après l'assassinat de Hrant Dink
Sophie Shihab
Dix jours après l'assassinat, le 19 janvier, de Hrant Dink, qui
suscita en Turquie une vague de solidarité sans précédent avec son
combat pour le dialogue arméno-turc, ce sont les réactions des
nationalistes dans le " pays profond " et les ombres dans l'enquête
qui font débat dans le pays. Furieux du slogan " Nous sommes tous des
Arméniens " inscrit sur des milliers de pancartes brandies parmi les
100 000 personnes qui ont suivi les funérailles du journaliste, les
tenants de " la Turquie aux Turcs " se sont, à leur tour, manifestés.
A Trabzon (l'ancienne Trébizonde), la ville du jeune assassin et de
ses complices présumés, le match de football dominical a rempli le
stade de porteurs de banderoles proclamant " Nous sommes tous turcs,
nous sommes tous Mustafa Kemal " ou " Je suis turc, je suis droit, je
suis de Trabzon ". Leur slogan, " les martyrs ne meurent pas, l'unité
du pays est éternelle ", était un clair soutien à la dizaine
d'inculpés issus de leur ville.
Ailleurs, des groupes de fans ont manifesté de même. A Izmir, un
ancien sergent a pris en otage les passagers d'un ferry avec de faux
explosifs, disant protester contre les slogans pro-arméniens. Arrêté,
il a crié aux journalistes : " J'ai fait cela pour la patrie. " Un
des inculpés pour l'assassinat de Hrant Dink avait déjà été montré à
la télé hurlant " Orhan Pamuk, prends garde ! " - une menace contre
le Prix Nobel de littérature, " coupable ", comme Hrant Dink, de
parler de génocide arménien.
Les médias turcs, comme dégrisés après leur couverture exceptionnelle
des condamnations du crime qui ont semblé, au début, unanimes, ont
fait bonne place à ces " contre-réactions ". En pêchant peut-être par
pessimisme après un excès d'optimisme. Selon l'universitaire Cengiz
Aktar, " la foule qui a suivi le cercueil de Dink - ceux qui
partagent sa vision du monde humaniste, démocrate et ouverte - est
une espèce en voie de disparition ". Il parle pourtant de " société
civile naissante " en Turquie, mais rappelle qu'elle a encore besoin,
pour avancer, d'appuis du pouvoir.
" ETAT PROFOND "
Or le gouvernement qui, en cette année électorale, surfe sur la vague
nationaliste issue de la déception européenne, n'a pas embrayé sur le
sursaut civil provoqué par le meurtre : ses chefs n'ont pas assisté
aux funérailles, ne veulent toujours pas annuler l'article 301 du
code pénal qui punit l'" insulte à l'identité turque " et
aborderaient cet assassinat politique comme un simple cas criminel.
Alors que les médias abondent de faits troublants : deux des
inculpés, arrêtés et relchés il y a deux ans, auraient été des
informateurs de la police, la Sécurité à Ankara aurait été informée
d'un projet d'assassiner Hrant Dink, etc.
Tout ceci a relancé le débat sur " l'Etat profond " - dont le premier
ministre, Recep Tayyip Erdogan, a, à son tour, reconnu, dimanche 28
janvier, l'existence, le définissant comme " des gangs au sein
d'institutions d'Etat " contre lesquels le gouvernement a des moyens
limités mais qu'il faut " réussir à minimiser et, si possible,
éliminer ". Le renvoi du gouverneur et du chef de la police de
Trabzon n'est qu'un premier pas dans l'enquête sur le meurtre de
Hrant Dink, qui sera menée à son terme, a promis M. Erdogan.
1 février 2007 jeudi
TURQUIE QUESTION ARMÉNIENNE;
Les nationalistes turcs relèvent la tête, après l'assassinat de Hrant Dink
Sophie Shihab
Dix jours après l'assassinat, le 19 janvier, de Hrant Dink, qui
suscita en Turquie une vague de solidarité sans précédent avec son
combat pour le dialogue arméno-turc, ce sont les réactions des
nationalistes dans le " pays profond " et les ombres dans l'enquête
qui font débat dans le pays. Furieux du slogan " Nous sommes tous des
Arméniens " inscrit sur des milliers de pancartes brandies parmi les
100 000 personnes qui ont suivi les funérailles du journaliste, les
tenants de " la Turquie aux Turcs " se sont, à leur tour, manifestés.
A Trabzon (l'ancienne Trébizonde), la ville du jeune assassin et de
ses complices présumés, le match de football dominical a rempli le
stade de porteurs de banderoles proclamant " Nous sommes tous turcs,
nous sommes tous Mustafa Kemal " ou " Je suis turc, je suis droit, je
suis de Trabzon ". Leur slogan, " les martyrs ne meurent pas, l'unité
du pays est éternelle ", était un clair soutien à la dizaine
d'inculpés issus de leur ville.
Ailleurs, des groupes de fans ont manifesté de même. A Izmir, un
ancien sergent a pris en otage les passagers d'un ferry avec de faux
explosifs, disant protester contre les slogans pro-arméniens. Arrêté,
il a crié aux journalistes : " J'ai fait cela pour la patrie. " Un
des inculpés pour l'assassinat de Hrant Dink avait déjà été montré à
la télé hurlant " Orhan Pamuk, prends garde ! " - une menace contre
le Prix Nobel de littérature, " coupable ", comme Hrant Dink, de
parler de génocide arménien.
Les médias turcs, comme dégrisés après leur couverture exceptionnelle
des condamnations du crime qui ont semblé, au début, unanimes, ont
fait bonne place à ces " contre-réactions ". En pêchant peut-être par
pessimisme après un excès d'optimisme. Selon l'universitaire Cengiz
Aktar, " la foule qui a suivi le cercueil de Dink - ceux qui
partagent sa vision du monde humaniste, démocrate et ouverte - est
une espèce en voie de disparition ". Il parle pourtant de " société
civile naissante " en Turquie, mais rappelle qu'elle a encore besoin,
pour avancer, d'appuis du pouvoir.
" ETAT PROFOND "
Or le gouvernement qui, en cette année électorale, surfe sur la vague
nationaliste issue de la déception européenne, n'a pas embrayé sur le
sursaut civil provoqué par le meurtre : ses chefs n'ont pas assisté
aux funérailles, ne veulent toujours pas annuler l'article 301 du
code pénal qui punit l'" insulte à l'identité turque " et
aborderaient cet assassinat politique comme un simple cas criminel.
Alors que les médias abondent de faits troublants : deux des
inculpés, arrêtés et relchés il y a deux ans, auraient été des
informateurs de la police, la Sécurité à Ankara aurait été informée
d'un projet d'assassiner Hrant Dink, etc.
Tout ceci a relancé le débat sur " l'Etat profond " - dont le premier
ministre, Recep Tayyip Erdogan, a, à son tour, reconnu, dimanche 28
janvier, l'existence, le définissant comme " des gangs au sein
d'institutions d'Etat " contre lesquels le gouvernement a des moyens
limités mais qu'il faut " réussir à minimiser et, si possible,
éliminer ". Le renvoi du gouverneur et du chef de la police de
Trabzon n'est qu'un premier pas dans l'enquête sur le meurtre de
Hrant Dink, qui sera menée à son terme, a promis M. Erdogan.
