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Cinema: Le Genocide Des Armeniens Revisite

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    LE GENOCIDE DES ARMENIENS REVISITE

    Le Temps, Suisse
    6 juin 2007

    Les frères Taviani se rappellent a notre bon souvenir avec "Le Mas
    des alouettes".

    On croyait Paolo et Vittorio Taviani perdus pour le cinema, les voici
    qui ressurgissent, septuagenaires, avec un film inattendu: avant tout
    un acte politique, loin de leurs recentes preoccupations litteraires
    (Pirandello, Tolstoï, Goethe, Dumas). Le Mas des alouettes est en effet
    le premier film a s'attaquer frontalement au genocide des Armeniens de
    1915-1918. Un fait historique aux repercussions toujours actuelles,
    comme le prouve la prudente presentation du film hors competition
    lors du dernier Festival de Berlin (comme pour le plus subtil Ararat
    d'Atom Egoyan a Cannes en 2002), afin d'eviter l'incident diplomatique
    avec une Turquie restee très chatouilleuse sur la question.

    Le geste est d'autant plus remarquable qu'il est le fait de
    non-Armeniens. Un desir d'approfondir leur connaissance de ce genocide
    fondateur du XXe siècle a pousse les frères toscans a porter a l'ecran
    le roman d'Antonia Arslan La Masseria delle allodole (2004, traduit
    sous le titre de Il etait une fois en Armenie chez Robert Laffont). Un
    livre où cette Italo-Armenienne relate l'histoire tragique de sa
    famille tandis que son grand-père, deja emigre en Italie, tentait de
    leur venir en aide. Les Taviani ont retravaille la structure, change
    les noms, ignore les mises en garde turques et fini par tourner en
    Bulgarie, avec des acteurs europeens venus de tous horizons. D'où
    un film un peu bancal, au style reconnaissable entre mille, mais
    qui, il faut bien l'avouer, flirte aussi avec l'"europudding" et la
    mini-serie TV de luxe telle que les Taviani l'ont pratiquee recemment
    (Resurrection, La San Felice).

    Le film s'ouvre sur une sequence de toute beaute qui voit le petit
    Avetis recueillir le dernier souffle du patriarche de la maisonnee
    Avakian. Les funerailles revèlent ensuite les protagonistes du drame
    et les tensions qui couvent dans ce coin recule de l'Anatolie. Les
    parents Aram (Tcheky Karyo) et Armineh (Arsinee Khanjian) cultivent
    de bons rapports avec les Turcs, aussi bien le colonel Arkan (Andre
    Dussollier) que le mendiant Nazim (Mohammed Bakri). Pendant ce temps,
    leur aînee Nunik (Paz Vega) est amoureuse du jeune officier turc Egon
    (Alessandro Preziosi), ce qui n'a pas echappe a la nounou grecque
    Ismene (Angela Molina), qui desapprouve.

    Lorsque toute la famille se prepare a recevoir Assadour, le frère
    aîne parti a 14 ans et devenu medecin en Italie, la menace se
    precise: le parti au pouvoir des Jeunes Turcs a decide l'elimination
    systematique des Armeniens, traîtres potentiels dans la guerre
    contre la Russie. Avertis, les Avakian ont beau convier toutes leurs
    connaissances a se refugier au Mas des alouettes, leur belle maison de
    campagne, ils ne rechapperont pas a cette folie meurtrière: les hommes
    d'abord, les femmes et les enfants, deportes vers Alep et la Syrie,
    ensuite. A moins que l'argent d'Assadour et les efforts conjugues
    de Nazim et d'Ismene ne parviennent a sauver au moins les dernières
    survivantes? Jusqu'a la tuerie au Mas des alouettes, evoquee sans
    aucune complaisance, on retrouve avec joie la stylisation expressive
    des frères Taviani, certes en deca des sommets d'Allonsanfan, de La
    Nuit de San Lorenzo ou de Kaos, mais qui se detache encore largement
    du tout-venant. Les acteurs sont parfaitement choisis, et meme le
    choix de doubler tout ce beau monde en italien passe bien, comme
    autrefois chez Visconti ou Fellini.

    Le film convainc moins par la suite, lorsque le recit se scinde entre
    la terrible marche a l'extermination des prisonnières, les efforts
    frustrants de l'oncle de Padoue et l'evocation d'une improbable
    confrerie des mendiants. Partage entre emotion et deception,
    on regrette qu'une tournure en forme de film d'aventures etouffe
    l'inspiration poetique des Taviani. D'autre part, aussi valable que
    soit l'accompagnement musical de Giuliano Taviani (fils de Vittorio),
    force est de reconnaître qu'elle ne fera pas oublier leur collaboration
    historique avec Nicola Piovani.

    Heureusement, l'introduction tardive d'un dernier personnage cle,
    le soldat turc Youssouf (Moritz Bleibtreu), leur permet au moins de
    conclure sur une note fortement polemique. Soucieux de ne pas depeindre
    tous les Turcs comme des monstres sanguinaires, les Taviani montrent au
    contraire des hommes tirailles, mais incapables de s'opposer au pouvoir
    des fanatiques. L'inclusion des fameuses photos du temoin allemand
    Armin T. Wegner vise quant a elle a lever tout doute sur la realite de
    l'evenement, qui coûta la vie a un million et demi d'Armeniens, tandis
    que l'evocation finale des procès de 1919 renvoie l'Etat turc a cette
    grande occasion manquee de ne pas s'enferrer dans le negationnisme.

    "Nous sommes convaincus qu'il est necessaire pour la Republique turque
    de rejoindre l'Union europeenne, ecrivent Paolo et Vittorio Taviani
    dans le dossier de presse, mais nous pensons aussi qu'elle doit
    d'abord reconnaître publiquement la verite historique de la tragedie
    armenienne, de la meme manière que l'Allemagne et l'Italie ont assume
    leur passe criminel." De quoi remettre l'eglise au milieu du village,
    meme si l'actuelle question kurde, qui complique singulièrement ce
    mea culpa, n'est pas evoquee.

    Ce Mas des alouettes est aux Taviani ce que Le Jardin des Finzi
    Contini fut pour Vittorio de Sica: un (avant-) dernier sursaut,
    empreint d'une belle conscience historique. Meme un peu date et emousse
    dans sa forme, c'est avec plaisir que l'on retrouve ce cinema d'une
    profonde rigueur morale et esthetique - n'en deplaise a une critique
    francaise typiquement maussade et a un marche evidemment peu emballe.

    Le Mas des alouettes (La Masseria delle allodole), de Paolo et Vittorio
    Taviani (Italie/France/Bulgarie/Espagne 2007), avec Paz Vega, Moritz
    Bleibtreu, Alessandro Preziosi, Angela Molina, Andre Dussollier,
    Tcheky Karyo, Arsinee Khanjian, Mohammed Bakri. 2h02

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