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La question armenienne de moins en moins tabou

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  • La question armenienne de moins en moins tabou

    Le Temps, Suisse
    Vendredi 22 Janvier 2010


    La question arménienne de moins en moins tabou;
    Les témoignages, conférences et livres se multipient: la société
    s'ouvre au débat

    par Delphine Nerbollier, Istanbul


    Baris, 22 ans, a appris, il y a un an que sa grand-mère, Nadire,
    s'appelait en réalité Agavni. Elle était arménienne. Depuis, les
    questions se bousculent dans la tête de ce jeune Turc. Pourquoi sa
    mère a-t-elle attendu si longtemps pour le mettre au courant? Comment
    partager ce secret? «Tu as envie de partager, d'appeler quelqu'un mais
    tu ne trouves personne avec qui le faire», raconte-t-il. «Avant, je me
    voyais comme un nationaliste. Mais je réalise peu à peu à quel point
    ces gens ont souffert [...] Maintenant, je pense et analyse les
    événements par moi-même.»

    Comme Baris, ils sont 25 petits enfants de survivants du génocide
    arménien à raconter leur histoire dans un ouvrage publié en octobre.
    Avec 5000 exemplaires déjà vendus, Torunlar («Petits enfants») rédigé
    par Fethiye Cetin et Aysegül Altinay, est d'ores et déjà un succès. En
    2004, l'avocate Fethiye Cetin avait déjà brisé un tabou en racontant
    dans Le livre de ma grand-mère comment elle avait appris, sur le tard,
    l'arménité de son aïeule. La force de ce second ouvrage est de donner
    une dimension humaine au débat sur le génocide, en évoquant la perte,
    les conversions forcées, la peur de se confier, l'avenir. «Je voulais
    faire parler ces grands-mères qui ont survécu mais que l'on n'entend
    jamais, explique Fethiye Cetin. Je voulais parler de ce silence qui
    pèse sur elles et sur leurs enfants. Il a fallu attendre la troisième
    générat ion pour que l'on commence à s'exprimer.»

    Dans un pays qui nie officiellement le génocide arménien, ce type de
    témoignages est un véritable coup de poing qui ne laisse aucune chance
    à ses détracteurs. «Ce sont des histoires individuelles contre
    lesquelles on ne peut rien opposer, constate une Fethiye Cetin
    optimiste. Les gens commencent à faire des recherches sur leur famille
    et ils lisent beaucoup. Il y a un intérêt incroyable pour la question
    arménienne en Turquie.»

    Cet intérêt a été décuplé avec l'assassinat, il y a trois ans, du
    journaliste d'origine arménienne Hrant Dink. De nombreux ouvrages, de
    fiction notamment, ont été publiés, loin de la propagande officielle.
    L'an dernier, un universitaire issu de la diaspora, Marc Nichanian, a
    donné une série de conférences à Istanbul. Une première. Autre
    initiative, artistique cette fois, la présentation en Turquie, en
    novembre, d'une pièce de thétre, sur le thème de la mémoire du
    génocide. Le metteur en scène, Serge Avedikian, un Français d'origine
    arménienne, s'est confronté au public turc avec une pièce qui les
    renvoie à leur image d'«assassins» tout en critiquant les Arméniens et
    leur «jus de mort» dont «certains ont fait un fonds de commerce».
    «Incontestablement, il y a des choses qui changent en Turquie, estime
    Serge Avedikian. Cette pièce n'aurait jamais pu être jouée ici il y a
    trois ans. L'ouverture est faite.»

    En avril, c'est un livre qui, avec sa traduction turque, devrait faire
    grand bruit dans le pays. Dialogue sur le tabou arménien réunit deux
    intellectuels, le Turc Ahmet Insel et le Français Michel Marian. «Nous
    n'avons pas été d'accords sur tous les sujets, mais la confiance entre
    nous a augmenté, confiait Ahmet Insel lors d'une conférence commune
    donnée en octobre à Istanbul. Ce livre est une étape pour briser les
    tabous.»

    Ces initiatives sont-elles symptomatiques d'un mouvement de fond de la
    société? Fethiye Cetin veut y croire. «Ne sous-estimons pas ce type
    d'événements. Une société évolue à petits pas en touchant la
    conscience des gens. C'est ce que nous sommes en train de vivre en
    Turquie.»
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