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Syrie: 1912-2014 - Kobané, ville neuve, ville martyre

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  • Syrie: 1912-2014 - Kobané, ville neuve, ville martyre

    Courrier International
    20 Novembre 2014

    SYRIE: 1912-2014 - Kobané, ville neuve, ville martyre

    par Asli Aydintasbas, Milliyet (Istanbul)

    Elle est aujourd'hui au coeur de l'actualité internationale, thétre
    de violents combats entre Kurdes et islamistes. Pourtant, il y a un
    siècle, personne n'aurait pu la situer sur une carte. Et pour cause.



    Il y a cent ans, il n'existait pas d'endroit portant le nom de Kobané.
    Pas plus d'ailleurs qu'il n'y avait de lieu appelé Ayn Al-Arab, nom
    que certains considèrent maintenant avec insistance comme le toponyme
    originel de cet endroit.

    Il y a un siècle, on trouvait tout au plus, là où s'étend Kobané
    aujourd'hui, un petit hameau portant le nom d'Arab Punari ou Arap
    Pinari [qui, en turc, signifie "fontaine arabe", tout comme son
    équivalent arabe Ayn Al-Arab]. L'histoire de ce lieu, qui fait
    maintenant la une de l'actualité dans le monde entier, a été oubliée,
    mais elle vaut pourtant la peine d'être connue.

    C'est dans le cadre de la construction de la ligne de chemin de fer
    reliant Berlin à Bagdad, dernier grand projet politique et économique
    de l'Empire ottoman, que le lieu-dit Arab Punari est pour la première
    fois référencé. Il s'agit alors d'une petite gare située sur la
    portion reliant [l'actuelle ville turque de] Konya à [l'actuelle ville
    syrienne d'] Alep et sur laquelle travaillent des ingénieurs
    allemands. Nous sommes en 1912.

    A cette époque, Suruç [située aujourd'hui du côté turc de la
    frontière, face à Kobané] est une sous-préfecture de 10 000 habitants.
    Urfa, chef-lieu de la province, est une ville peuplée essentiellement
    d'Arméniens et d'Arabes. Quant à Arab Punari, ce n'est donc qu'une
    petite gare entourée de quelques baraquements.

    Toutefois, Arab Punari rentre véritablement dans l'Histoire avec les
    massacres d'Arméniens en 1915. A cette époque, Arab Punari, tout comme
    Raqqa, Ras Al-Ayn ou Deir Ez-Zor, dont nous entendons beaucoup parler
    aujourd'hui dans le cadre de la crise en Syrie, abrite un des camps où
    sont parqués les milliers d'Arméniens déportés d'Anatolie.

    C'est un centre de transit où la mortalité est très élevée.
    L'historien français d'origine arménienne Raymond Kevorkian explique,
    dans son livre Le Génocide des Arméniens [Odile Jacob, 2006], qu'aux
    alentours du 25 septembre 1915, entre 120 et 170 Arméniens déportés de
    Sivas, en Anatolie, meurent chaque jour à Arab Punari.

    A cette époque, les autorités ottomanes déportent tous les Arméniens
    d'Anatolie et les envoient vers les déserts de Syrie - vers la mort.
    Au même moment, Suruç aussi voit affluer des colonnes de déportés,
    dont certains, grce à l'indulgence du sous-préfet local (jusqu'au
    moment où cela lui vaudra d'être relevé de ses fonctions), vont
    s'installer sur place et plus au sud.

    Finalement, les Ottomans doivent se retirer de la région [en 1918] et,
    conséquence des accords Sykes-Picot signés secrètement par la
    Grande-Bretagne et la France, Suruç reste en territoire ottoman tandis
    qu'Arab Punari se retrouve en Syrie. Les Arméniens rescapés des
    massacres et les Kurdes venus de villages avoisinants commencent alors
    peu à peu à s'installer à Arab Punari. En 1925, la répression contre
    la révolte du cheikh Saïd Piran [dans les régions kurdes de la
    nouvelle Turquie républicaine] pousse de nombreuses tribus kurdes à
    venir s'installer du côté syrien de la frontière, à Ras Al-Ayn et à
    Arab Punari. Avec le temps, la population du lieu devient un mélange
    d'Arabes, de Kurdes, d'Arméniens et de Turkmènes. Le hameau, constitué
    autour d'une petite gare, commence ainsi à se développer.

    Durant le mandat français sur la Syrie, de 1920 à 1946, le problème le
    plus important de la jeune République turque dans la région consiste à
    contenir les bandes armées qui traversent la frontière en provenance
    de Syrie, et notamment d'Arab Punari. Ankara considère que l'alliance
    entre Kurdes et Arméniens en Syrie représente une menace.

    Les échanges diplomatiques révèlent d'ailleurs qu'Ankara demande aux
    autorités françaises d'exercer un meilleur contrôle sur ces groupes.
    Pour rassurer un peu les Turcs et renforcer la sécurité à la
    frontière, les Français établissent alors une antenne pour leurs
    services de renseignements à Arab Punari. La Syrie devient ensuite
    indépendante et le nouvel Etat syrien, dans le cadre de sa politique
    d'arabisation, donne à cette petite ville le nom d'Ayn Al-Arab. Quant
    au nom de Kobané [sous lequel la ville est connue dans les autres
    langues], il ne semble pas être un mot kurde.

    Kobané viendrait du terme allemand kompanie (signifiant "compagnie",
    "société"), et il remonterait au temps où les Allemands se trouvaient
    à cet endroit. Selon une autre explication, ko viendrait effectivement
    de kompanie et bané du mot allemand bahn, contraction d'eisenbahn
    signifiant "voie ferrée", ce qui aurait donné ko-bahn et donc Kobané.

    Quoi qu'il en soit, le lieu que nous appelons aujourd'hui Kobané est
    depuis un siècle une ville qui tente de survivre tant bien que mal,
    dans les circonstances les plus pénibles, et c'est pour cela qu'elle
    continue à résister.

    -Asli Aydintasbas

    Publié le 13 octobre 2014 dans Milliyet Istanbul



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