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Le Genocide Des Armeniens : Un Bilan Des Recherches

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  • Le Genocide Des Armeniens : Un Bilan Des Recherches

    LE GENOCIDE DES ARMENIENS : UN BILAN DES RECHERCHES

    Publie le : 16-02-2015
    http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=85758

    Info Collectif VAN -www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
    invite a lire cette information publiee sur le site de la Mission du
    centenaire de la Première Guerre mondiale.

    Legende photo : Camp de concentration de Ras ul-Ain, janvier 1916
    (coll.Archives nationales d'Armenie) D.R.

    14-18 Mission Centenaire

    L'extermination des Armeniens, le sommet des crimes de guerre,
    des crimes dans la guerre pendant la periode de la Première Guerre
    mondiale, est desormais qualifiee de genocide par un anachronisme
    retrospectif très signifiant, puisque le terme de genocide n'a ete
    forge qu'en 1943 par Raphaël Lemkin, juriste qui s'etait passionne pour
    le sort des Armeniens dès les annees vingt. L'etude du genocide des
    Armeniens est sortie de la logique unique des rapports de force entre
    grandes puissances où elle avait ete confinee dans le prolongement
    de la Question armenienne qui a emerge sur la scène internationale au
    XIXe siècle, meme si l'on sait bien que ce que Donald Bloxham appelle
    'le grand jeu du genocide' a reconfigure sans le transformer le
    'grand jeu' du demembrement de l'Empire ottoman.

    Aujourd'hui on part de la dimension ottomane, en particulier sous
    l'angle ideologique de la dictature jeune-turque. Le caractère
    universel du crime contre les Armeniens est examine dans le cadre de
    ce qui fut pour les Ottomans une guerre de dix ans, de 1911 a 1922,
    incluant la Première Guerre mondiale. Comme l'Empire allemand,
    l'Empire ottoman se sentait la victime d'un encerclement par des
    grandes puissances ennemies, les Russes au Nord, Les Britanniques
    au Sud et a l'Est. Comme l'Empire russe, l'Empire ottoman a voulu
    profiter de la guerre pour une tentative d'ingenierie sociale et
    demographique par les deplacements forces de population, et dans
    ce cas par l'extermination. Si les Ottomans ont perdu la guerre,
    les Turcs l'ont gagnee. Mais la tentative d'homogeneisation de
    leur nation a ete payee par les minorites chretiennes qui ont ete
    detruites : les Armeniens, situes au coeur du programme meurtrier
    de l'Etat (sans doute 1,3 millions de morts, accompagnees de viols,
    d'enlèvements de femmes et d'enfants et de conversions forcees) et,
    secondairement, les Assyro-Chaldeens ou Syriaques.

    De nombreux fonds d'archives sont desormais etudies et souvent publies,
    archives diplomatiques americaines, allemandes, britanniques,
    temoignages des missionnaires, archives du Vatican, archives
    ottomanes du Premier ministre, archives armeniennes. Ces materiaux,
    en particulier consulaires, ont permis de grandes avancees dans la
    connaissance des procedures d'extermination des populations dans les
    provinces, en particulier par l'etude du fonds du Deuxième Bureau,
    attache au ministère de l'Interieur, sur le programme que le Comite
    central jeune-turc a mis en oeuvre : planification administrative
    des deportations, volonte des chefs jeunes-turcs de transformer la
    composition demographique de l'Asie Mineure, au besoin en eradiquant
    les groupes susceptibles d'entraver leur projet. La recherche qui
    se poursuit apportera des precisions sur certains points, comme les
    differences locales, mais le cadre general de cette histoire est
    desormais etabli.

    La radicalisation des Jeunes Turcs : des Guerres balkaniques a la
    Grande Guerre

    Le rôle des Guerres balkaniques (1912-1913) et de la defaite humiliante
    subie par l'Empire ottoman face a ses anciens vassaux serbes, bulgares
    et grecs est central dans le processus de radicalisation du Comite
    central jeune-turc, dès la première prise de decision, en fevrier 1914
    : deporter d'abord les populations grecques des rives de la mer Egee,
    puis les populations armeniennes. Les documents ottomans ont permis
    d'identifier les principaux commanditaires et executants du genocide,
    dont un debut de mise en oeuvre a ete observe de mars a juin 1914. Les
    neuf membres du Comite central du Comite Union et Progrès ont largement
    debattu ; les uns, majoritaires, etaient favorables a la destruction
    systematique des Armeniens, tandis qu'une minorite suggerait de limiter
    ces massacres aux zones frontières avec la Russie et de se contenter
    de deporter la population armenienne restante dans les deserts de
    Syrie et de Mesopotamie. Entre le 22 et le 25 mars 1915, des reunions
    qui ont decide du sort des Armeniens se sont tenues a Istanbul.

    Sur l'influence du contexte international et du jeu des Puissances
    sur le genocide, les historiens de la Grande Guerre ont bien montre
    l'instrumentalisation de la Question armenienne par les Puissances
    et les capacites du regime jeune-turc a jouer de la concurrence
    qui les opposait les unes aux autres. Ni la Grande Bretagne ni la
    France ne desiraient la guerre mais elles n'ont pas ete pretes a
    faire des efforts pour l'eviter. La question du rôle de l'Allemagne
    reste controversee. On sait bien l'habilete avec laquelle le regime
    jeune-turc a exploite son alliance avec les puissances centrales pour
    mener sa propre politique. Mais l'Allemagne etait sans doute le seul
    Etat en mesure de freiner la politique de destruction des populations
    armeniennes ottomanes et elle ne l'a pas fait pour des raisons de
    strategie militaire, laissant les mains libres aux Jeunes-turcs
    agissant > dans le racisme
    et le darwinisme social.

    Les deux phases du genocide

    Fondee sur l'usage extensif du temoignage des victimes et des rescapes,
    l'approche geographique du genocide permet de mesurer son impact local,
    d'apprecier les differences de traitement d'une region a l'autre et
    de saisir la complexite de la machinerie exterminatrice y compris
    dans sa dimension socio-economique. En penetrant jusqu'au niveau des
    communautes villageoises et en rendant compte du comportement des
    bourreaux, des victimes, et de ceux qui se > (des
    temoins aux participants aux massacres, tels des Kurdes), on peut fixer
    dans le temps avec precision la > qu'a constitue le
    genocide pour la population armenienne d'Asie Mineure et d'Anatolie :
    ses membres ont paye de leur vie le desir de construction d'une unite
    nationale edifiee sur la destruction de la diversite ethnique.

    Le niveau d'analyse microhistorique permet de preciser les etapes de
    la destruction des Armeniens et la chronologie des evenements pour
    chaque region. La première phase du genocide (mars 1915 a avril 1916)
    se decompose en un prealable qui consiste a arreter et a exterminer
    les mobilises (mars 1915) et les elites (avril-mai a Istanbul comme
    en province) ; suivent l'arrestation et le massacre, a proximite
    de leurs lieux de residence, des autres hommes adultes (mai-juin),
    avant la deportation du reste de la population (juin-août). À peu
    près tous les convois de deportes ainsi que leurs itineraires ont
    ete identifies et leur depart date. On connaît les escadrons de
    l'Organisation speciale et les sites a partir desquels ils operaient
    pour exterminer les deportes en cours de route. Une liste assez
    complète d'environ 1 700 criminels impliques dans les operations de
    deportation et de massacre peut etre dressee : hauts fonctionnaires,
    militaires, chefs des clubs jeunes-turcs locaux, inspecteurs delegues
    sur place par le Comite central du Comite Union et Progrès, officiers
    de l'Organisation speciale, etc.

    Des monographies regionales nous aident notamment a comprendre comment
    l'administration ottomane se chargeait des tâches officielles, comme
    le recensement des deportes et de leurs biens, l'organisation des
    convois, laissant aux paramilitaires de l'Organisation speciale le
    travail officieux, a savoir la destruction.

    Une fois les etapes du processus de decision de deportation et
    d'extermination des Armeniens connues, on a pu isoler ce que Raymond
    Kervokian appelle la seconde phase du genocide, qui s'etend d'avril
    a novembre 1916. Elle a vise les deportes qui etaient parvenus
    jusqu'a > (formule officielle), dans
    les deserts de Syrie et Mesopotamie : on depasse la la volonte de
    > et de > puisqu'on ne se
    trouve plus sur le territoire > de la Turquie. 25 camps de
    concentration administres par la Sous-direction des deportes etablie
    a Alep etaient disperses dans ces regions. Enfin, 192 750 survivants
    armeniens ont ete executes a Der Zor et sa peripherie entre juillet
    et novembre 1916, comme un point final au programme d'extermination
    concu par l'Ittihad. Les recits de rescapes mis par ecrit >, entre 1917 et 1920 se sont reveles indispensables pour saisir de
    l'interieur le sort des convois de deportes ou la vie dans les camps de
    concentration de Syrie et de Mesopotamie. La dimension economique du
    genocide, par le projet de creation d'une Millî itiksat (>), consistant a capter les entreprises armeniennes
    et grecques et a les transferer a des entrepreneurs >
    est connue, en particulier la confiscation des biens armeniens,
    dont plus de 2 000 eglises et 400 monastères, qui constituent le
    patrimoine monumental principal.

    Tuer, et après ?

    La Commission des Responsabilites auprès de la Conference de la
    Paix (fevrier-avril 1919) a preconise la creation d'un Tribunal
    international pour juger les criminels de guerre et definir de
    nouvelles categories de crimes comme ceux qui ont ete perpetres contre
    une partie de la population ottomane. Mais des anciens criminels
    de guerre ont trouve leur place dans l'appareil d'Etat kemaliste :
    les effets du lien ideologique profond entre le regime jeune-turc
    (depuis 1908) et le nouvel Etat turc (depuis 1923) se font sentir
    jusqu'a nos jours. Ils revèlent la lutte d'influence qui existait dans
    l'immediat après-guerre entre Mustapha Kemal et les cadres jeunes-turcs
    qui continuaient a obeir aux chefs ittihadistes refugies a Berlin
    depuis novembre 1918. L'etude des procès des criminels de guerre
    jeunes-turcs qui se sont tenus a Istanbul de 1919 a 1922 permet de
    comprendre ce qui se jouait alors dans la capitale ottomane et les
    difficultes que rencontraient des tribunaux locaux pour juger des
    nationaux, aussi lourdes que soient les charges pesant sur eux.

    L'evolution du droit international en matière de crimes contre
    l'humanite doit beaucoup a l'oeuvre accomplie par Raphael Lemkin
    et, concernant la qualification de genocide, a ses references a
    l'extermination des Armeniens dont l'impunite a constitue un des
    points de depart de sa reflexion dès les annees vingt. L'essentiel
    de ces categorisations nouvelles se retrouve dans la Convention de
    1948 avec la prevention et la punition du crime de genocide.

    Les etudes comparatistes sur les genocides degagent les facteurs
    constants dans les crimes de masse, comme le contexte de guerre,
    l'instauration d'un regime totalitaire et l'usage systematique de
    paramilitaires pour la mise en oeuvre des massacres. Le dechaînement
    des violences de guerre, la levee des interdits moraux et les
    promesses d'impunite pour les criminels et leurs commanditaires sont
    des conditions propices que l'on retrouve dans le cas du genocide
    des Armeniens avec les phenomènes de radicalisation d'un parti-Etat
    qui a decide de mener une politique d'extermination a l'encontre d'un
    groupe constitutif de la societe.

    L'etude du genocide des Armeniens a, ces dernières annees, pris une
    forme pluridisciplinaire et s'inscrit dorenavant dans le champ plus
    general des violences de masse, contribuant par la meme a alimenter
    les etudes comparatistes. Ainsi des travaux ont ete menes sur les > de rescapes entreprises durant la periode
    du genocide et sur leur sort, sur la question de l'islamisation des
    jeunes femmes et des enfants armeniens, mais egalement sur des sujets
    plus directement lies a l'actualite, comme le deni officiel de l'Etat
    turc, le regard de la societe turque sur son passe, ou encore le poids
    du passe en Armenie et dans la diaspora armenienne. L'evaluation de
    ces crimes de masse, sur lesquels la communaute scientifique porte
    un jugement globalement consensuel, ne souffre actuellement plus de
    discussion sur leur nature et sur leur qualification.

    -------

    Ce texte a ete redige par Raymond Kevorkian et Annette Becker a
    la demande du Conseil scientifique de la Mission du centenaire de
    la Première Guerre mondiale, qui l'a lu et approuve après quelques
    modifications.

    Ouvrages et recueils recents qui font tous la part belle aux donnees
    archivistiques

    Raymond Kevorkian, Le genocide des Armeniens, Odile Jacob, 2006.

    Taner Akcam, Un acte honteux : le genocide armenien et la question
    de la responsabilite turque, Folio Gallimard, 2012.

    Jay Winter, (Dir.) The Cambridge History of First World War/La Première
    Guerre mondiale, 3 volumes, Fayard, 2013-4. (coordination Annette
    Becker)Vol. 1, Combats, chap. 11, Robin Prior, >,
    chap. 22 : Hans Lukas Kieser et Donald Bloxham, >, Vol. 3
    Societes, Chap. 10, Annette Becker, >.

    Annette Becker, Voir la Grande Guerre, un autre recit, Armand-Colin,
    2014.

    Annette Becker et Jay Winter, , Revue d'histoire de la Shoah, n°177-178,
    janvier-août 2003.

    Donald Bloxham, The Great Game of Genocide : Imperialism, Nationalism,
    and the Destruction of the Ottoman Armenians, Oxford University
    Press, 2005.

    Lire aussi :

    > vs >

    Agenda - Paris : Colloque international sur le genocide des Armeniens

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    Source/Lien : 14-18 Mission Centenaire


    From: Baghdasarian
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