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Turquie-Armenie - Ballon D'Essai

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    TURQUIE-ARMENIE - BALLON D'ESSAI

    L'Express
    11 Septembre 2008
    France

    Football et diplomatie : un match entre les deux pays a servi de
    pretexte a une visite historique du president turc a Erevan. L'Express,
    qui a suivi ce voyage, decrypte messages et attentes de part et
    d'autre.

    Dans l'avion presidentiel turc qui amorce sa descente vers l'aeroport
    d'Erevan, la capitale armenienne, règne, ce 6 septembre, un etrange
    melange d'inquietude et d'excitation. C'est la première visite
    en Armenie pour la plupart des 30 Turcs, diplomates, conseillers
    et journalistes, qui accompagnent le president Abdullah Gul, venu
    assister au match des eliminatoires de la Coupe du monde de football
    de 2010. Des hublots, on apercoit la silhouette grise de la ville,
    mais la delegation cherche surtout a distinguer la figure imposante du
    mont Ararat, volcan assoupi situe en territoire turc mais symbole de
    l'Armenie. A l'avant de l'avion, le president de la Republique a recu
    les quelques journalistes etrangers dans son petit carre prive. Il
    semblait, lui, parfaitement detendu. " Les hasards des calendriers
    sportifs font naître d'importantes opportunites. Nous avons pense que
    nous pourrions tirer pretexte de ce match pour engager le dialogue et
    nous avons entrepris cette demarche commune ", dit-il. " Savez-vous
    qu'aujourd'hui il y a egalement le premier match de football entre
    les Etats-Unis et Cuba depuis 1947 ? " ajoute-t-il avec l'expression
    cabotine qu'il affecte parfois.

    Le deplacement est pourtant a haut risque. L'important dispositif de
    securite mis en place dans la capitale armenienne le rappelle. Protege
    par des tireurs d'elite tout le long de son parcours, le chef de l'Etat
    turc suivra le match en compagnie de son homologue armenien derrière
    une epaisse vitre blindee. C'est la première visite d'un chef d'Etat
    turc en Armenie et, bien que la Turquie fût une des premières nations
    a reconnaître la jeune republique independante en 1991, les frontières
    terrestres entre ces deux voisins sont fermees et un froid glacial
    règne entre les diplomaties des deux pays depuis l'occupation, en
    1993, du Haut-Karabakh, province d'Azerbaïdjan a majorite armenienne,
    par les armees d'Erevan.

    Mais, plus que l'invasion du Karabakh, c'est bien le spectre de 1915
    qui plane sur ce deplacement. Entre l'aeroport et le centre-ville,
    la presence de milliers de personnes massees silencieusement sur les
    bords de la route est intimidante. Ils brandissent des pancartes,
    la plupart en anglais, parfois en turc ou en armenien : " Je suis de
    Mus ", " Je suis d'Adana ". Les ecriteaux egrènent les noms de ces
    villes de Turquie dont parents ou grands-parents ont ete arraches
    il y a moins d'un siècle. Fehmi Koru, principal editorialiste du
    quotidien turc Yeni Safak, dit qu'il est heureux de voir que ces
    gens puissent aujourd'hui revendiquer leur appartenance avec tant de
    maturite. Il pense que la Turquie aussi a fait beaucoup de chemin ces
    dernières annees. Le tabou est desormais depasse. Voici venu le temps
    de la confrontation avec l'Histoire. " On peut parler ouvertement de
    la question armenienne, alors que, dans ma jeunesse, c'etait tout
    bonnement impensable ", rappelle-t-il. A l'image de Hasan Cemal,
    editorialiste au quotidien Milliyet, plusieurs journalistes turcs
    sont alles visiter le Mausolee du genocide et ont rendu compte de
    leurs impressions a leurs lecteurs. " Dans le silence vierge du matin,
    j'ai compris encore une fois l'inanite de la negation de l'Histoire,
    mais egalement les risques qu'il y avait a devenir prisonnier de ses
    douleurs ", ecrit Cemal.

    Avec l'arrivee d'Abdullah Gul a la fonction supreme, la diplomatie
    turque a gagne une nouvelle dynamique. Le president a effectue 22
    deplacements a l'etranger en un peu plus d'un an. Ce voyage a Erevan
    est la consequence logique de la ligne engagee depuis cinq ans. "
    S'ils ne sont pas traites, les problèmes deviennent chroniques. Nous
    ne voulons pas laisser [le problème armenien] aux generations futures
    ", a dit Gul a la sortie de ses entretiens avec son homologue armenien.

    Pourtant, cette visite n'est pas sans perils. Les partis d'opposition
    turcs ont crie a la trahison. De nombreux analystes et anciens
    diplomates brandissaient encore, quelques jours avant le match, le
    danger qu'il y a a se fâcher avec les " frères " azeris, assis sur de
    consequentes reserves de petrole. La sensibilite dans l'opinion etait
    tellement exacerbee que, le jour meme du match, un site d'information
    turc annoncait qu'un ancien membre de l'Asala - l'ex-organisation
    terroriste armenienne - Varoujan Garbidjian, l'un des responsables de
    l'attentat d'Orly (8 morts et 63 blesses en 1983) devait etre present
    dans la tribune protocolaire. Cette fausse nouvelle s'est repandue
    comme une traînee de poudre. Pour mettre fin a toute polemique,
    la police armenienne a emmene Garbidjian hors de la ville.

    Afin de limiter les risques, le Parti de la justice et du
    developpement, au pouvoir a Ankara, a interdit a ses deputes de se
    rendre au match. Le seul membre du Parlement a faire le voyage fut
    le depute independant Ufuk Uras, venu celebrer a Erevan la memoire du
    journaliste armenien de Turquie Hrant Dink, assassine il y a dix-neuf
    mois, qui militait pour le dialogue. Peuples proches, voisins lointains
    est le titre du livre de Dink publie a titre posthume cette annee
    par la Fondation internationale Dink. Un leitmotiv retransmis par
    les equipes de television turques qui ont fait le deplacement et qui
    s'extasient a longueur de reportages sur les ressemblances culturelles
    entre les deux pays.

    Des vols directs entre la Turquie et l'Armenie existent depuis
    quatre ans et le commerce indirect entre les deux pays atteint 500
    millions dollars. De nombreux Armeniens travaillent clandestinement
    a Istanbul. Mais c'est l'arrivee de Serge Sarkissian au pouvoir a
    Erevan qui a servi de declic. Abdullah Gul lui a adresse un message
    de felicitations particulièrement chaleureux, insistant sur l'espoir
    de dialogue qu'il fondait. Sarkissian a repondu sur le meme ton. "
    Nous ne faisons pas de la reconnaissance du genocide une condition
    prealable au developpement de nos relations ", a declare le president
    armenien au journaliste turc Murat Yetkin dans un reportage remarque,
    publie fin août.

    Il est vrai qu'avec l'embrasement de la situation en Georgie, l'Armenie
    a besoin plus que jamais pour se desenclaver d'une normalisation des
    relations avec la Turquie et surtout de l'ouverture de sa frontière
    terrestre. D'où son interet pour la " Plate-forme de stabilite et
    cooperation pour le Caucase " lancee par Ankara, qui a pour objectif
    de rassembler dans un grand forum toutes les nations de la region et
    la Russie. La Turquie ira peut-etre moins vite que ne le voudrait
    Sarkissian, attendant pour lever les barrières frontalières une
    acceleration des discussions discrètes qui durent depuis six mois
    entre les deux pays en Suisse, mais egalement des elements concrets
    de la bonne volonte de l'Armenie pour resoudre la situation au
    Haut-Karabakh. Gul a annonce qu'il se rendrait très prochainement
    en Azerbaïdjan.

    Quant au match, ce ne fut pas un grand moment de football. L'hymne
    national turc fut siffle, comme parfois lors des matchs avec la
    Grèce. La selection turque, se reveillant au cours de la seconde
    mi-temps, finit par inscrire deux buts. Bilan presque nul au
    niveau sportif, mais une etape importante pour les relations
    internationales. En fin de compte, tout le monde aura gagne.

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