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Le genocide armenien admis par des intellectuels turcs

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    Le Monde, France
    24 avril 2010 samedi

    Le génocide arménien admis par des intellectuels turcs

    par Guillaume Perrier


    Pour la première fois, des manifestations sont organisées à Istanbul
    pour commémorer le début du grand massacre


    Dans mon enfance, tout ce que j'ai appris de mon grand-père, c'est
    qu'il était un pacha ottoman très important. Puis qu'il a été
    assassiné par un Arménien. Sans savoir pourquoi. " Calmement, Hasan
    Cemal, éditorialiste influent du journal turc Milliyet, raconte son
    histoire familiale. Dans un coin de son bureau est punaisé un petit
    portrait en noir et blanc de son grand-père.

    Son aïeul, Ahmet Cemal, dit Cemal Pacha, était, avec Enver et Talat,
    l'une des trois têtes du gouvernement nationaliste " jeune turc " au
    pouvoir à la fin de l'Empire ottoman. L'un des trois architectes du
    génocide des Arméniens d'Anatolie, lancé le 24 avril 1915 à Istanbul,
    et dont le 95e anniversaire est célébré samedi 24 avril. Comme tout
    Turc, Hasan Cemal n'a longtemps connu que le récit officiel des
    massacres : " A l'école et à l'université, on apprend que les
    Arméniens coopéraient avec les ennemis et qu'il fallait qu'ils soient
    déportés vers la Syrie. On ne sait rien de la réalité historique. La
    Turquie a été maintenue dans l'obscurité. "

    Les premiers écrits de l'historien Taner Akçam, au début des années
    1990, ont ouvert une brèche dans cette politique du déni, à l'oeuvre
    depuis près d'un siècle. " Son courage a marqué un tournant, reconnaît
    M. Cemal, c'est lui qui a déverrouillé mon esprit. Puis c'est Hrant
    Dink - journaliste turc d'origine arménienne assassiné en 2007 - qui a
    ouvert mon coeur. Aujourd'hui, les choses ont changé. " Au point qu'en
    novembre 2009, le petit-fils de Cemal Pacha participait, Ã Harvard, Ã
    une conférence sur le génocide de 1915, pour raconter son cheminement
    personnel. En 2008, il s'est rendu à Erevan, où il s'est recueilli au
    mémorial du génocide. Il a aussi tenu à rencontrer le petit-fils de
    l'assassin de son grand-père, tué par un Arménien à Tbilissi, en 1922.

    Le négationnisme officiel de l'Etat turc se fissure de l'intérieur.
    Pour la première fois, des manifestations publiques sont organisées,
    samedi à Istanbul, pour commémorer la rafle de 220 membres de
    l'intelligentsia arménienne, en 1915. Des rassemblements devant la
    gare d'Haydarpacha, d'où est parti le premier convoi de déportation,
    et sur la place Taksim, au coeur de la ville.

    Bien sûr, les pressions se sont multipliées sur les organisateurs. A
    Ankara, une conférence organisée par l'association pour la liberté de
    pensée a été annulée au dernier moment. L'hôtel qui devait
    l'accueillir a prétexté des fuites d'eau dans le toit. Mais selon
    l'expression du politologue Cengiz Aktar, " les djinns sont sortis de
    leur bouteille ", le tabou est levé. " Le temps de l'action est venu,
    explique l'auteur de L'Appel au pardon (éd. CNRS). Aujourd'hui en
    Turquie, il y a une tentative sérieuse de développer une politique de
    mémoire. "

    Un groupe d'intellectuels, dont Cengiz Aktar, est à l'origine d'une
    pétition, rédigée en 2008, demandant " pardon " aux Arméniens ottomans
    pour " la grande catastrophe qu'ils ont subie en 1915 ". Elle a été
    signée par plus de 30 000 citoyens turcs.

    L'emploi de l'expression " grande catastrophe " plutôt que du mot "
    génocide " a provoqué un débat dans la communauté intellectuelle et a
    été diversement apprécié dans la diaspora arménienne. " Bien sûr que
    c'est un génocide, mais le mot ne passerait jamais. La reconnaissance
    par l'Etat comme préalable est irréaliste ", répond M. Aktar.

    Militante à l'association des droits de l'homme (IHD), Ayse Günaysu
    défend l'autre approche. " Sans reconnaissance officielle, rien ne
    peut se passer. C'est une position morale. Nous devrions tous
    ressentir cette honte ", dit-elle. Un avocat d'Ankara a déposé, en
    mars, une action en justice pour demander la reconnaissance du
    génocide et la condamnation de Talat Pacha. Un procès est ouvert
    contre lui pour " insulte à la nation turque ".

    Depuis quelques années, les confrontations, directes ou indirectes,
    des intellectuels avec l'Etat turc se sont multipliées. En 2005,
    l'écrivain Orhan Pamuk s'était attiré les foudres de la justice pour
    avoir déclaré qu'" un million d'Arméniens et 30 000 Kurdes ont été
    tués sur ces terres ". Deux ans plus tard, l'émotion déclenchée par
    l'assassinat du journaliste Hrant Dink ouvrait la voie à une remise en
    question de l'histoire officielle, d'une ampleur inédite.

    Le débat s'invite sur les plateaux des émissions de télé ou dans les
    librairies. Les milieux culturels et de la recherche universitaire ont
    commencé à s'emparer du sujet. " On est dans la recherche d'un passé
    enfoui sous la superstructure de la République ", constate Vincent
    Duclert, historien auteur de L'Europe a-t-elle besoin des
    intellectuels turcs ? (éd. Armand Colin). " Il y a en Turquie une
    vraie tradition d'intellectuels dissidents et une progression de la
    liberté de l'histoire, poursuit-il. La question est de faire baisser
    l'intensité du nationalisme qui nourrit le négationnisme. "

    Ce débat apporte la contradiction au discours officiel, présent sur
    les sites Internet des institutions turques et dans les médias. " Mais
    dans les villages, les gens ne sont pas dupes, note Cengiz Aktar. Ils
    savent que pendant des années, leurs champs n'ont pas pu être cultivés
    parce que le menuisier arménien n'était plus là pour réparer la roue
    de la charrue. " Grâce à cette ouverture, les intellectuels ont pu
    porter de nouvelles questions sur la place publique. Celle du pardon,
    et aussi celle des réparations pour les spoliations dont les Arméniens
    d'Anatolie ont été victimes.
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