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La Turquie De Hrant Dink

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  • La Turquie De Hrant Dink

    LA TURQUIE DE HRANT DINK

    Source/Lien : Mediapart

    Publié le : 16-06-2011
    http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=54994

    Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Alors que l'AKP a toutes
    les chances de remporter une nouvelle fois les élections législatives
    turques, dimanche, Mediapart publie deux chroniques du journaliste
    arménien de Turquie, Hrant Dink, assassiné le 19 janvier 2007
    à Istanbul. L'an dernier, considérant qu'elle s'était abstenu
    d'intervenir alors qu'elle disposait d'informations qui auraient
    pu empêcher son assassinat, la Cour européenne des droits de
    l'homme avait condamné la Turquie. Ces deux textes sont extraits
    du livre Hrant Dink, Chroniques d'un journaliste assassiné, textes
    rassemblés par Günter Seufert, traduction: Bernard Banoun, Haldun
    Bayrı et Marie-Michèle Martinet, © Galaade éditions, 2010, pour
    la traduction française. Le Collectif VAN vous propose cet article
    publié sur Mediapart le 10 juin 2011.

    10 Juin 2011 Par Les invités de Mediapart

    Edition : Les invités de Mediapart

    Alors que l'AKP a toutes les chances de remporter une nouvelle fois
    les élections législatives turques, dimanche, Mediapart publie
    deux chroniques du journaliste turc d'origine arménienne Hrant
    Dink, assassiné le 19 janvier 2007 à Istanbul. L'an dernier,
    considérant qu'elle s'était abstenu d'intervenir alors qu'elle
    disposait d'informations qui auraient pu empêcher son assassinat,
    la Cour européenne des droits de l'homme avait condamné la Turquie.

    La carte au trésor, 18 février 2000

    Dans les journaux, on tombe souvent sur des titres de ce genre:
    «Arrestation d'un vendeur de fausses cartes au trésor». Ou bien:
    «Il se fait escroquer par des voleurs de trésor». Un jour,
    c'était dans Agos: «Des personnes d'origine arménienne vendent
    de fausses cartes au trésor». Nous sommes allés rendre visite
    au directeur du musée d'Erzurum qui était à l'origine de cette
    histoire. En fait, l'homme n'aurait pas déclaré que les coupables
    étaient arméniens, mais il aurait parlé d'«escrocs se présentant
    comme des Arméniens»; des types qui, pour accomplir leur larcin,
    expliquent que leur grand-père a enterré son or au moment du départ
    et qu'ils sont en possession d'une carte indiquant l'endroit où le
    trésor est resté caché.

    Le directeur aurait dit cela, mais ses interlocuteurs auraient
    compris comme cela... de toute façon, la question n'est pas de
    savoir ce que celui-ci ou celui-là aura pu dire. Comme on le sait,
    la chasse au trésor est une activité, très en vogue en Anatolie, à
    laquelle certains fanatiques du trésor ont voué leur existence. On
    prétend même qu'il existe un café à Aksaray 86 exclusivement
    fréquenté par les chercheurs d'or. Des gars du genre de ceux qui
    viennent régulièrement frapper à la porte d'Agos pour vous montrer
    de vieux parchemins couverts de dessins auxquels ils ne comprennent
    rien; et vous tendre leur bout de papier d'un air craintif, comme
    s'ils avaient peur de se le voir arracher des mains. Vous voyez
    le tableau! Mais mon propos n'est pas de vous parler des cartes au
    trésor. Parmi tous ceux qui passent leur temps à creuser, combien
    savent que ce n'est pas dessous mais en surface qu'il faut chercher?

    Ã~@ les voir, il est évident qu'ils ignorent que le vrai trésor est
    à trouver parmi ceux qui ont échappé à l'exil forcé. Ces personnes
    et leurs enfants ont vécu en Anatolie aussi longtemps qu'il leur a
    été possible de le supporter. Malheureusement, ils n'ont pas été
    estimés à leur juste valeur; leurs écoles et leurs églises ont
    été confisquées.

    Avec le temps, ils se sont éparpillés, d'abord vers Istanbul, puis
    à la surface de toute la terre. Aujourd'hui, ils sont devenus si rares
    en Anatolie qu'il n'est même plus possible de dire combien ils sont.

    Le vrai trésor, c'est tout ce qu'ils ont créé. Les habitués de la
    deuxième page d'Agos doivent se souvenir de la rubrique «Il était
    une fois» qui a pris fin le week-end dernier. On y évoquait tous les
    lieux abandonnés dans les villages que nous avons laissés derrière
    nous: plus de trois mille églises, plus de deux mille écoles et
    d'innombrables maisons, des lieux de travail, des hôpitaux... On
    n'a pas apprécié la valeur deces personnes mais on n'a certainement
    pas apprécié non plus ce qu'elles ont laissé derrière elles.

    Pourtant, en Anatolie, les Arméniens y vivent encore; pour
    être exact, disons plutôt qu'ils «vivent l'Anatolie» dans cet
    éparpillement à la surface du globe que l'on appelle la diaspora. On
    pourrait ainsi dire que la diaspora, c'est la dimension mondiale
    de l'Anatolie. Les amateurs d'histoire, qui n'ignorent pas qu'elle
    représente le point central d'une dilatation géographique, savent
    qu'il existe aujourd'hui, même en Arménie, des endroits nommées
    Nor Malatya, Nor Arapgir, Nor Pütanya (Izmit), Nor Sepasdiya (Sivas),
    Nor Gesaria (Kayseri)... des villes nouvelles fondées pour ressembler
    aux villes d'Anatolie, où les Arméniens peuvent retrouver leur
    identité anatolienne. Il paraît que de nouveaux monuments mémoriels
    vont bientôt être érigés aux Ã~Itats-Unis (en Virginie) et aux
    Pays-Bas, que des projets de résolution viennent d'être adoptés
    et que, la semaine prochaine, les spécialistes français de la
    taqiyya 87 vont encore débattre au Sénat de la reconnaissance du
    génocide. Chez nous, on entendra encore une fois les mêmes arguments
    sur lâ~@~Yhabileté manÅ~Suvrière des lobbies arméniens. Toujours
    le même film rejoué à lâ~@~Yidentique depuis des annéesâ~@¦

    Il y aurait pourtant un moyen de se sortir de ce bourbier; une voie qui
    nous mènerait au véritable trésor. Pour désarmer nos adversaires et
    les empêcher dâ~@~Yintervenir à leur gré dans nos affaires, il nous
    faudrait trouver le moyen de renouer le dialogue rompu, en donnant la
    priorité aux relations entre la Turquie et lâ~@~YArménie. Ensuite,
    nous devrions régler nous-mêmes les problèmes des Arméniens de
    Turquie, sans céder à telle ou telle pression ou intimidation venue
    de lâ~@~Yextérieur. Enfin, et câ~@~Yest le point le plus important,
    il est indispensable de reconquérir lâ~@~YAnatolie de la diaspora.

    Croyez-moi, il ne sâ~@~Yagit pas dâ~@~Yune utopie ou de quelque
    chose dâ~@~Yirréalisable. La vie est pleine dâ~@~Yexemples montrant
    que de tout petits pas ou de minuscules entreprises peuvent être à
    lâ~@~Yorigine des plus grands progrès. Au lieu de dire: «Développons
    le tourisme en misant sur la foi pour gagner de lâ~@~Yargent», il nous
    faut regagner le cÅ~Sur des nôtres en engageant notre sincérité. Il
    suffirait, par exemple, de poser une plaque, même toute petite, où on
    aurait écrit: «Cette mosquée fut autrefois lâ~@~Yéglise arménienne
    Sourp Krikor Lousarovitch». Ce serait assurément un geste positif
    bien plus consolateur que nos incessantes querelles. Et câ~@~Yest
    ainsi que je pourrais décrire ma conception de la carte au trésor.

    Sur «la Turquie musulmane», 21 octobre 2005

    Le Conseil de sécurité nationale 84 vient encore de déclarer
    que les menées séparatistes et les activités réactionnaires
    constituent à ses yeux la plus importante et imminente menace. Pour
    le dire simplement, les menées séparatistes englobent le problème
    kurde, et les activités réactionnaires désignent lâ~@~Yislam
    fondamentaliste. Même si la question nâ~@~Yest pas ici de prendre le
    pouls de la menace réactionnaire et de lâ~@~Yactivisme islamique ou
    de faire le tour de la question kurde, il me semble utile de faire
    le constat suivant: heureusement que les Turcs et les Kurdes sont
    des musulmans. Si, jusquâ~@~Yà ce jour, le sang nâ~@~Ya pas coulé
    entre ces deux peuples et si, ins¸allah, nous sommes préservés à
    lâ~@~Yavenir de tels événements, il faut dâ~@~Yabord le mettre au
    crédit de leur religion musulmane commune.

    Voilà ce que je veux dire: au même titre que le séparatisme,
    peut-être que la montée religieuse est une menace, mais
    il faut bien admettre que câ~@~Yest aussi le meilleur ciment
    national! Autrement dit, lâ~@~Yune des deux menaces neutralise,
    voire élimine lâ~@~Yautre. La structure musulmane de la Turquie
    ne constitue pas seulement un avantage à lâ~@~Yintérieur du pays,
    elle constitue aussi un atout à lâ~@~Yextérieur des frontières;
    peut-être même son atout majeur. Ce que nous sommes actuellement
    en train de vivre illustre mon propos: si le principal argument
    des opposants à lâ~@~Yadhésion de la Turquie dans lâ~@~YUnion
    européenne sâ~@~Yattache à la structure musulmane de notre pays,
    câ~@~Yest aussi le meilleur argument de ceux qui la défendent; à
    tel point que le Premier ministre en joue assez habilement. Prêtez
    attention aux messages quâ~@~Yil envoie à lâ~@~YEurope et vous
    remarquerez quâ~@~Yil se garde bien de détourner les regards de
    lâ~@~Yappartenance musulmane de la Turquie; au contraire, en plaçant
    cette identité au premier plan, il a déjà obtenu pas mal de succès.

    Quelle quâ~@~Yen soit la raison, que ce soit le 11 Septembre ou Ben
    Laden, la réalité est là. Si aujourdâ~@~Yhui la Turquie se retrouve
    à ce point prise en compte sur la scène politique internationale,
    câ~@~Yest surtout grâce à son identité musulmane. Cependant, même
    si elle offre de nombreux avantages tant à lâ~@~Yintérieur quâ~@~Yà
    lâ~@~Yextérieur des frontières, cette appar- tenance à lâ~@~YIslam
    est aussi le plus sérieux handicap du pays. Lâ~@~YÃ~Itat qui sâ~@~Yest
    construit depuis des décennies sur le principe de laïcité nâ~@~Ya eu
    de cesse de contrôler les pratiques religieuses du peuple quâ~@~Yil
    gouverne et de maintenir un état dâ~@~Yalerte permanente à coup de
    révolutions, de lois ou de pressions en tous genres. La tension fut
    ainsi à son comble après la révolution des mollahs en Iran. Au fond,
    toutes ces mesures ne servent pas à grand-chose; toutes les réformes
    vestimentaires et les multiples efforts déployés pour placer la
    vie religieuse sous le contrôle bureaucratique de la direction des
    Affaires religieuses nâ~@~Yont pas pu empêcher ceci: en Turquie,
    le pouvoir est aujourdâ~@~Yhui aux mains dâ~@~Yun parti qui a su
    jouer de son image de parti musulman pour figurer au premier plan.

    Après tout, câ~@~Yest très bien comme ça! Un jour viendra où les
    musulmans qui sâ~@~Yempareront du pouvoir écarteront eux-mêmes la
    peur du fondamentalisme, que toutes les menées des farouches partisans
    de la laïcité nâ~@~Yont jamais pu éradiquer. Si jâ~@~Yétais
    un de ces partisans, ou même si jâ~@~Yappartenais au Conseil de
    sécurité nationale, je remercierais Dieu dâ~@~Yavoir mis lâ~@~YAKP
    85 au gouvernement. Plus le musulman fait de la politique, plus la
    menace politique sâ~@~Yéloigne; plus le musulman est au pouvoir,
    plus il se débarrasse de son ambition de pouvoir et de son désir
    de charia. Câ~@~Yest pour cette raison que lâ~@~Yon peut affirmer
    quâ~@~Yen matière de défense de la laïcité, les musulmans
    réussiront là où ceux qui sâ~@~Yen faisaient les hérauts ont
    échoué.

    Les partis chrétiens dâ~@~YEurope qui ne veulent pas que la Turquie
    devienne membre de lâ~@~YUnion européenne devraient y réfléchir
    à deux fois et songer quâ~@~Yil est beaucoup plus fécond que les
    différentes religions vivent ensemble, les unes avec les autres,
    plutôt que côte à côte. Car, si lâ~@~Yon parvient à une lecture
    correcte de leurs différences, on sâ~@~Yaperçoit quâ~@~Yelles
    se nourrissent et ne se détruisent pas. Lâ~@~Yappel à la prière
    du muezzin, entendu cinq fois par jour par un chrétien comme moi,
    lui rappelle quâ~@~Yil est chrétien. Ce nâ~@~Yest pas une perte,
    mais un gain pour la religion chrétienne. Câ~@~Yest ainsi que les
    différences sâ~@~Yenrichissent. Pour être tout à fait clair,
    je veux dire que, dans un tel cas, lâ~@~Yexistence de lâ~@~Yislam
    constitue lâ~@~Yune des assurances de mon christianisme.

    -------------

    Textes extraits de Hrant Dink, Chroniques d'un journaliste assassiné,
    textes rassemblés par Günter Seufert, traduction: Bernard Banoun,
    Haldun Bayrı et Marie-Michèle Martinet, © Galaade éditions, 2010,
    pour la traduction française

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