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Jusqu'où la Turquie veut-elle être l'héritière de l'empire ottoman?

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  • Jusqu'où la Turquie veut-elle être l'héritière de l'empire ottoman?

    Le Huffington Post
    7 dec 2012

    Jusqu'où la Turquie veut-elle être l'héritière de l'empire ottoman?

    Laurent Leylekian. Membre de l'Observatoire arménien

    TURQUIE - L'Etat turc a une conception immodérée de la propriété, en
    tout cas de la sienne. On se rappelle d'une anecdote bien connue qui
    illustra cette réalité, le 16 mars 1921, lors du Traité de Moscou
    entérinant en toute illégalité la soviétisation de l'Arménie entre
    deux gouvernements alors non reconnus par la communauté
    internationale, celui de la Turquie kémaliste et celui de la Russie
    bolchevique.

    A cette occasion, le délégué turc Yusuf Kemal s'était plaint de la
    présence du Mont Ararat -le Fuji Yama des Arméniens échu en territoire
    turc- sur le blason de la République d'Arménie nouvellement
    soviétisée. Ce qui lui valut une réplique cinglante de Gueorgui
    Tchitcherine, le Commissaire du peuple aux Affaires Etrangères:

    "Vous avez bien un croissant de lune sur votre drapeau. Et pourtant,
    la Lune ne vous appartient pas!".
    Il faut croire que la Turquie a renoué avec cette arrogance en matière
    de relations internationales, notamment puisqu'elle se lance désormais
    dans une politique agressive de revendications concernant les trésors
    archéologiques naguère découverts sur son actuel territoire.

    Depuis peu donc, Ankara s'est persuadé que des pièces détenues par
    divers musée occidentaux lui reviendraient en droit. C'est ainsi que
    le Ministère turc de la Culture a très officiellement demandé, et
    obtenu, la "restitution" du sphinx hittite de Hatusa détenu par Berlin
    depuis 1934 ou d'un buste d'Hercule que possédait le musée d'Art de
    Boston. Dans le cas allemand, il est tout à fait notable que la
    Turquie soit parvenue à ses fins en menaçant de fermeture les fouilles
    opérées par les archéologues allemands depuis les années 70.

    "Tout est à nous!"

    Ceci dit, le chantage de marche pas toujours: au début de cette année,
    le British Museum a préféré mettre un terme à des projets d'exposition
    nécessitant le prêt de pièces venues de Turquie plutôt que de
    "restituer", comme le voulaient préalablement les Turcs, une statue de
    la période séleucide.

    Plus récemment encore, Ankara s'est vu poliment, mais fermement,
    opposer par la France une convention internationale de l'Unesco pour
    refuser le retour en Turquie de faïences d'Iznik et de Kütahya; des
    pièces qui, au demeurant, furent souvent l'`uvre d'artisans grecs et
    arméniens dont on sait quel sort amène leur réserva la Turquie.

    Ceux qui sont un peu au fait de la politique présente et passé de la
    Turquie concernant le patrimoine culturel et archéologique présent sur
    son territoire souriront avec amertume. Car si, tout au long du 19e et
    au début du 20e siècle, ces pièces n'avaient pas fait l'objet de
    mesure de sauvegarde par les grands musées occidentaux, il y a fort à
    parier qu'il n'en resterait aujourd'hui que des ruines.

    C'est en effet avec un acharnement particulier que l'Empire ottoman
    finissant et la république turque naissante se sont employés à
    détruire frénétiquement tout ce qui pouvait rappeler le passé grec et
    arménien de l'Asie mineure. A cet égard, mais aussi au regard de notre
    actuel devoir de solidarité européenne avec la Grèce, il y aurait
    certainement plus de raisons de restituer des pièces séleucides à
    Athènes qu'à Ankara. Sans parler des Hittites, disparus plus de 1500
    ans avant que les Turcs n'apparaissent et que seule une
    historiographie fantaisiste permet de rattacher à la Turquie.

    Ceci dit, cette peu diplomatique diplomatie culturelle pose une vraie
    question. Car si, comme l'a récemment clamé Radikal, "tout est à nous"
    du point de vue turc, c'est implicitement que la Turquie se considère
    sans doute l'Etat successeur de l'Empire ottoman, entité politique qui
    dirigeait effectivement la région lorsque les pièces en questions
    furent transférées en Occident.

    Des faïences à 100 milliards d'euros?

    Et elle a raison car, en vérité, la Turquie actuelle est effectivement
    l'Etat successeur de l'Empire ottoman et elle est même bien plus: aux
    termes du Droits international, elle en l'Etat continuateur.

    La nuance semble mince mais ses conséquences ne le sont pas: car un
    Etat continuateur, c'est tout simplement le même Etat, conservant ses
    droits et ses obligations notamment en matière juridique et
    financière.

    Ainsi donc, si Ankara tient tellement à récupérer les faïences d'Iznik
    ou les antiques navires grecs du British Museum, il faudrait sans
    doute qu'elle songe d'abord à honorer ses dettes à l'égard de tous ses
    voisins, et notamment la fantastique dette de vingt milliards de
    franc-or de 1914 qu'elle est censée devoir à l'Arménie aux termes
    d'une estimation faite en 1919 pour indemniser la nation arménienne,
    et des dommages de guerre, et surtout des irréparables dommages
    humains et matériel dont la Turquie se rendit coupable par le
    génocide.

    Sans même parler des implications politiques que constituerait pour la
    Turquie la reconnaissance du fait qu'elle est l'Etat continuateur de
    l'Empire ottoman, cette dette réactualisée se monterait aujourd'hui à
    plusieurs centaines de milliards d'euros.

    Rappelons pour mémoire que le coup de force des Soviets, consistant à
    annuler purement et simplement les créances tsaristes -les fameux
    emprunts russes- ne fut jamais accepté par l'Occident et qu'aux termes
    d'une remarquable persévérance, la France réussit à arracher quatre
    cents millions à la Russie dans les années 90, sans d'ailleurs que
    ceci n'éteigne toute les actions judiciaires.

    La Turquie serait donc bien inspirée de prendre ces éléments en
    considérations avant que de réclamer à la légère des pièces sur
    lesquelles elle n'a juridiquement, et surtout moralement, aucun droit.



    http://www.huffingtonpost.fr/laurent-leylekian/turquie-empire-ottoman_b_2256222.html

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