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Au Plus =?unknown?q?Pr=E8S?= D'Istanbul: Rencontre Elif Shafak Peint

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    AU PLUS PRèS D'ISTANBUL: RENCONTRE ELIF SHAFAK PEINT UNE TURQUIE DOULOUREUSE ET VIVANTE

    Le Monde
    31 août 2007 vendredi
    France

    Une feministe, une femme voilee, une liberale, une adolescente
    conservatrice, une gauchiste, une adepte soufie, et ainsi de suite " :
    c'est la le public ideal d'Elif Shafak, mais c'est aussi, et surtout,
    son public tout court. La blonde jeune femme sourit, ses yeux gris
    brillants malgre la fatigue des voyages : rien ne la plonge dans un tel
    ravissement que de voir se presser a Istanbul, autour de ses romans,
    " ces gens qui ne partageraient pas un dîner ni rompraient le meme
    pain, mais qui lisent le meme livre ".

    Dans un pays " polarise " comme la Turquie, où les sujets
    d'affrontement ne manquent pas sur le nationalisme et l'occidentalisme,
    la laïcite et l'islam, la democratie ou l'influence de l'armee, et
    sur le genocide armenien, cette gracile romancière, editorialiste et
    universitaire reconnue de 36 ans, a le courage des nuances et parle
    de reconciliation ; mieux, elle l'ecrit. Dans ses articles publies en
    Turquie et a l'etranger, mais aussi dans ses romans, comme La Bâtarde
    d'Istanbul, son sixième, qui la fait aujourd'hui connaître en France.

    C'est un plaisir d'entrer dans ce roman, d'etre brutalement happe
    dans le tumulte boueux d'un Istanbul detrempe, entre deux eclaircies,
    pour ensuite se faire lessiver par l'energie orageuse de la famille
    Kazanci, six femmes toujours aimantes, mais jamais d'accord, que ce
    soit sur la politique, l'histoire, la religion ou le sexe. Presque
    pas d'homme, père, fils ou mari, n'est sorti vivant de ces quatre
    generations de Kazanci, tous precocement frappes par on ne sait quelle
    malediction. Et quand, par un mariage imprevu, cet univers croise celui
    des Tchakhmakhchian, une famille armenienne installee a San Francisco
    depuis le genocide de 1915, pratiquement tous les conflits les plus
    douloureux de la societe turque s'invitent dans le roman, et tombent
    entre les mains des personnages : plus particulièrement entre celles de
    deux adolescentes, Asya la " bâtarde ", la plus jeune des Kasanci, et
    Armanouch, la cadette des Tchakhmakhchian, jeune Armenienne-Americaine
    decouvrant avec Asya Istanbul et l'histoire de ses ancetres.

    Machisme, censure officielle et tabou familial, occultation ou
    oubli du genocide armenien, tous les maux d'une histoire refoulee
    sont recueillis a la fois par la vitalite et l'ironie romanesques,
    tracant leur sillon au coeur de chaque personnage tendrement moque,
    et faconne dans les contradictions : " La tradition turque des
    romanciers paternalistes, qui surplombent et regardent de haut
    le texte, les personnages, le langage et les lecteurs, je veux la
    remettre en question ", explique très lucidement Elif Shafak. " Je
    questionne cette tradition cerebrale qui planifie tout, en prenant des
    risques instinctifs avec l'intrigue et les personnages. Je deviens
    moi-meme audacieuse, plus masculine quand j'ecris, pour renverser
    cette autorite. "

    A ses yeux, l'ecriture n'est pas l'exercice d'un contrôle vertical,
    mais l'horizon ouvert d'une vie nomade, commencee auprès d'une mère
    diplomate qui l'emmène, adolescente, en Espagne. Un nomadisme qu'elle
    a poursuivi, entre l'Arizona, où elle enseignait encore recemment,
    et Istanbul, mais qu'elle pratique aussi entre les savoirs et les
    traditions : diplômee en women studies, docteur en sciences politiques,
    visceralement attachee a l'existence d'une opinion publique critique
    et democratique, Shafak se distingue pourtant de l'elite stambouliote
    laïque influencee par l'heritage classique francais des Lumières,
    qu'elle juge isolee dans sa tour d'ivoire, coupee de la diversite
    culturelle populaire, et qu'elle brocarde sans langue de bois dans
    son roman, en lui attribuant cette phrase : " Nous sommes un groupe
    de citadins cultives entoures de ploucs et de pequenauds. "

    Ce qui la fascine, c'est la pensee d'un Walter Benjamin qui " a
    montre qu'on pouvait etre un liberal de gauche et s'interesser au
    mysticisme ". Pour elle, ce sera le soufisme, cette pensee mystique
    de l'islam, capable d'envisager la precarite et l'harmonie du monde,
    la compassion et la colère divines, et d'inspirer les plus grands
    poètes. Des poètes, oui, mais des romanciers ? " Le roman est un
    genre jeune, et occidental, et le soufisme ancien. Mais c'est pour
    cela que mon public est divers, que meme des conservateurs me lisent,
    a cause de cette culture populaire que je prends en compte. "

    Une culture, au vaste sens du terme : elle rassemble la generosite
    de son univers romanesque, l'autoderision conquise entre le doute
    et l'allegresse, la liberalite de sa langue accueillant des mots
    anciens, d'origine perse, arabe, ottomane, ou bien troquant le turc
    pour l'anglais, la quete de memoire pratiquee comme un desir assume de
    construction personnelle ou collective. Dans son pays, où la fondation
    de l'Etat laïque en 1923 a voulu remettre les compteurs et les memoires
    a zero, cela lui a valu un procès, a la sortie de La Bâtarde d'Istanbul
    (2006), a cause de l'evocation, par un de ses personnages armeniens,
    du rôle des Turcs en 1915 : procès solde par un acquittement.

    On lui reprocha aussi d'avoir ecrit le roman en anglais, quand les
    quatre precedents l'etaient en turc : " Justement : l'autorite,
    c'est la langue ", repond-elle. " Et choisir d'ecrire en anglais,
    une langue que j'ai apprise, et non maternelle, c'etait prendre
    conscience de tout ce que je ne savais pas dire. Affronter ce vide...

    Pour un ecrivain, c'est toujours un defi ", dit-elle simplement,
    en guise de conge.

    Fabienne Dumontet

    La Bâtarde d'Istanbul(The Bastard of Istanbul) d'Elif Shafak Traduit
    de l'anglais (Turquie) par Aline Azoulay, Phebus, 318 p., 21,50 ¤.

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