Announcement

Collapse
No announcement yet.

Penalisation De La Negation Des Genocides : Pour Ou Contre ?

Collapse
X
 
  • Filter
  • Time
  • Show
Clear All
new posts

  • Penalisation De La Negation Des Genocides : Pour Ou Contre ?

    COLLOQUE DE L'INSTITUT DE DROIT PENAL DU BARREAU DE PARIS
    Jean Eckian

    armenews.com
    mercredi 8 fevrier 2012

    Penalisation de la Negation des Genocides : Pour ou Contre ?

    L'Institut de Droit Penal du Barreau de Paris organisait le 6 fevrier
    2012 un colloque intitule : " Penalisation de la negation des genocides
    : pour ou contre ? ".

    Ce colloque a reuni un prestigieux plateau d'intervenants de haut vol,
    souvent bien connus de la communaute armenienne. Present egalement
    dans la salle, maître Bernard Jouanneau. Autour du moderateur de la
    conference, maître Vincent Niore, president delegue de l'Institut
    de droit penal : maître Jean-Yves Le Borgne, ancien vice-bâtonnier
    du barreau de Paris et president de l'Institut de Droit Penal ;
    maître Henri Leclerc, ancien president de la Ligue des Droits de
    l'Homme et president d'honneur de l'Institut de Droit Penal ; maître
    Christian Charrière-Bournazel, ancien bâtonnier du barreau de Paris
    et president d'honneur de l'Institut de Droit Penal ; maître Basile
    Ader, membre du conseil de l'Ordre ; maître Sevag Torossian, avocat
    au barreau de Paris ; maître Ron Soffer, avocat aux barreaux de Paris
    et New-York ; et maître Mario Stasi, ancien bâtonnier du barreau de
    Paris et president d'honneur de l'Institut de Droit Penal.

    Vincent Niore a ouvert le colloque en presence de representants de
    la Representation du Haut-Karabagh, de l'Ambassade d'Armenie a Paris,
    du CRIF, et des co-presidents du CCAF.

    Il a tout d'abord rappele les actions conduites par les avocats
    francais en solidarite des avocats persecutes ou emprisonnes, notamment
    en Syrie, en Chine et en Turquie.

    Il a souligne que l'eventuel succès du recours forme par les
    parlementaires contre la loi Boyer (et singulièrement l'article 5
    de ce recours) ouvrirait la voie a une remise en question de la loi
    Gayssot elle-meme.

    Il a enfin rappele la position de l'Association Turque des Droits de
    l'homme (IHD) : " La negation d'un genocide est une agression envers
    les descendants des victimes ".

    Introduction de Maître Jean-Yves Le Borgne : " le verbe peut-il etre
    le prolongement d'un crime ? "

    Maître Le Borgne a concentre son propos sur quelques questions,
    soulignant que son opinion n'etait pas faite sur l'opportunite ou non
    d'une loi. Les insupportables excès du negationnisme doivent-ils etre
    jugules par l'interdiction ou bien par le debat et la demonstration
    rationnelle, s'est-il interroge. Il y a quelque chose de desesperant
    a devoir interdire la pensee mauvaise, a devoir eriger une sorte de
    bien-pensance qui traduit en fait une absence de foi dans le bon sens
    et la capacite de jugement de nos concitoyens.

    Au fond fixant une borne morale, la loi ferait le constat de
    l'incapacite des Francais a se reperer par eux-memes, a identifier
    ce qui est mensonger et scandaleux.

    Autre questionnement, le verbe peut-il etre le prolongement d'un
    crime ? L'indecence et l'attitude scandaleuse que representent la
    negation d'un crime et l'edulcoration de l'histoire, doivent-elles
    etre designees comme un crime ?

    Ce n'est pas necessairement parce qu'il est juste de dire que le
    negationnisme est moralement condamnable qu'il faudrait par consequent
    eriger une loi, et baliser la liberte de pensee par un interdit.

    Maître Le Borgne a rappele le rôle crucial de l'education, citant en
    exemple la loi Taubira qui encourage l'enseignement de l'histoire de
    l'esclavage dans les programmes scolaires. Il a invite a renforcer cet
    aspect dans le cas du genocide armenien, dont l'enseignement pourrait
    trouver une plus grande place par exemple dans l'enseignement de la
    première guerre mondiale.

    Il a enfin suggere que les lois destinees a combattre la negation et
    a baliser l'expression publique pourraient etre de nature temporaire
    (par exemple 10 ans), avec un renouvellement ou non en fonction de
    la persistance ou non d'un discours negationniste dans l'espace public.

    Ce faisant, cela attenuerait le sentiment de " verite officielle ".

    Intervention de Maître Henri Leclerc : " une verite affirmee par la
    loi est une verite affaiblie "

    Maître Henri Leclerc a tout d'abord longuement rappele que le
    gouvernement turc nie la realite du genocide et met ainsi curieusement
    ses pas dans ceux des Jeunes-Turcs ; le negationnisme aboutit a la
    situation absurde où M. Erdogan " couvre " Talaat Pacha. Encore plus
    grave, derrière l'etat turc, le peuple turc est trompe, maintenu dans
    l'ignorance, et supporte le poids de ce mensonge, alors meme qu'il
    ne porte aucunement la responsabilite de ce crime. En organisant
    le negationnisme, l'etat turc attise les tensions entre Turcs et
    Armeniens. Dans ce contexte, les prises de positions d'Orhan Pamuk
    et de nombreux intellectuels turcs et les reactions de la societe
    turque après la mort de Hrant Dink sont tout a fait notables.

    Rappelant ses 30 annees de combat comme avocat, comme president de la
    Ligue des Droits de l'homme et comme citoyen, contre les negationnismes
    et pour la reconnaissance du genocide armenien en particulier, Maître
    Henri Leclerc s'est dit très reserve envers cette loi.

    Faut-il nommer par une loi deux genocides ou tous les genocides ;
    pourquoi exclure la politique deliberee de famine conduite par l'URSS
    a l'egard de l'Ukraine, qui entraîna la mort de cinq millions de
    personnes ? pourquoi ne pas mentionner le genocide des Assyro-Chaldeens
    concomitant de celui des Armeniens, ou celui des Vendeens durant la
    revolution francaise ? Et pourquoi poser seulement le problème de la
    negation des genocides et non celle de la negation des crimes contre
    l'humanite (comme l'esclavage par exemple) s'est-il encore interroge.

    De meme qu'il etait reserve sur la loi Gayssot, Maître Leclerc est
    reserve sur la loi Boyer : il n'y a plus de delit de blasphème,
    plus de verite officielle, et ces lois marquent d'une certaine facon
    une regression.

    L'alternative a la loi consiste a faire triompher la verite par la
    raison. Dans une formule ramassee, Maître Leclerc a souligne qu'une
    verite affirmee par la loi est une verite affaiblie.

    En l'absence de Robert Badinter, qui s'etait desiste le matin meme,
    Maître Niore a lu de larges extraits de l'article que l'ancien garde
    des Sceaux avait fait paraître dans le Monde du 16 janvier 2012.

    Intervention de Maître Charrière-Bournazel : " Le negationniste fait
    injure a l'humanite "

    Maître Charrière-Bournazel a souligne que le caractère effroyable
    du crime contre l'humanite exige la prise en compte d'une dimension
    universelle de ce qui a ete commis et de ce qui a ete souffert. Or
    celui qui nie le genocide nie la souffrance et la mort.

    A la difference des juifs d'Europe, les Armeniens n'ont pas beneficie
    de la justice des hommes, et le crime est reste pour l'essentiel
    impuni.

    Le droit doit aussi savoir plonger ses racines dans le c~\ur, et ne pas
    se limiter a des arguties juridiques ou a une conception integriste
    d'une liberte d'expression absolue. En effet, le mot " liberte
    d'expression " n'est nullement porteur d'une sorte d'immunite, et les
    mots peuvent faire le mal : ce sont des mots qui font la calomnie,
    le harcèlement, le chantage ou l'outrage par exemple, a-t-il souligne.

    Les debats autour de la loi Boyer se resume souvent a jouer avec
    des abstractions ou des dogmes eriges en principes ; or ce n'est
    pas avec des abstractions qu'on resout les problèmes de la haine,
    de l'aveuglement et du negationnisme.

    Celui qui nie l'evidence, et d'autant plus lorsque les victimes n'ont
    pas beneficie de la justice des hommes, attise leur souffrance et celle
    de leurs descendants, leur fait injure et fait injure a l'humanite. Et
    l'injure doit etre poursuivie.

    Ecouter ICI

    Intervention de Basile Ader : " Avec la loi, c'est au juge que revient
    l'appreciation "

    S'appuyant sur sa longue pratique de la mise en application de la loi
    Gayssot, il a souligne que la loi laisse au juge le soin d'evaluer
    ce qui doit etre sanctionner, du fait en particulier de l'acceptation
    assez extensive du terme meme de " contestation ".

    Après une analyse assez technique de 3 cas precis, il a mise en
    evidence que les contestations par insinuation, par mise en doute
    ou par dissimulation par exemple sont des cas qui ont ete retenus et
    sanctionnes par le juge.

    Par ailleurs, aucun historien n'a ete inquiete au titre de la loi
    Gayssot.

    Intervention de Sevag Torossian : " La loi Boyer, une loi a portee
    universelle "

    Maître Torossian a d'abord souligne a quel point l'histoire du genocide
    armenien, et l'histoire de sa negation, restent mal connues en France,
    et ne l'etaient quasiment pas du tout avant la fin des annees 90. C'est
    la loi de 2001 et le combat pour sa preparation qui ont permis que le
    genocide armenien puisse sortir du deni dans lequel il etait enferme.

    Maître Torossian a rappele que la loi Boyer a touche une fibre
    sensible dans le debat francais, celle du rapport a la memoire,
    celle de l'universalite d'un crime contre l'humanite ; or la France
    n'est peut-etre pas encore a l'aise avec cette notion d'universalite,
    de transcendance.

    Sur le negationnisme lui-meme, Sevag Torossian a rappele la definition
    de l'historien Richard Hovannisian : " Le negationnisme, c'est le
    crime qui detruit la memoire du crime ".

    La gravite de delit, a-t-il poursuivi, exige une sanction adaptee
    a son ampleur, a l'ampleur de l'atteinte a la dignite humaine qu'il
    represente.

    En montrant du doigt le " negationnisme collectif ", le president
    Sarkozy a pointe ce qui fait la specificite du negationnisme du
    genocide armenien, celle d'etre un negationnisme d'Etat ; il a eu
    une intuition juste, mettant en evidence une carence juridique,
    a laquelle la loi Boyer apporte une solution d'avant-garde par son
    universalite (elle ne cite aucun genocide en particulier, et a vocation
    a s'appliquer a tout genocide que la France pourrait reconnaître s'il
    etait confronte a un deni actif).

    Par ailleurs, maître Torossian a souligne la difference de contexte
    entre la loi Gayssot (une loi " post reconnaissance ", intervenant
    après la pleine reconnaissance de la Shoah par l'Allemagne), et la
    loi Boyer (une loi " pre-reconnaissance " pour ce qui concerne la
    reconnaissance du genocide armenien par la Turquie).

    Comment lutter efficacement, s'est-il interroge, contre les crimes
    contre l'humanite sans meme lutter contre leur negation ?

    Maître Torossian est longuement revenu sur l'argument oppose a la
    penalisation de la negation du genocide armenien, selon lequel le
    genocide armenien ne beneficierait pas de l'autorite de la chose
    jugee. Argument tortueux selon lui qui reviendrait a dire qu'au fond
    la loi Gayssot incriminerait simplement la contestation d'une decision
    de justice (celle du tribunal de Nuremberg). Argument irrecevable
    meme puisqu'il reviendrait a dire que la contestation d'une decision
    de justice pourrait a elle seule conduire en prison. Il s'est eleve
    contre le detournement du fondement de l'autorite de la chose jugee,
    qui est simplement d'eviter les procedures a repetition sur des faits
    deja juges. En aucun cas la verite ne se confond avec l'autorite de la
    chose jugee - l'absence d'un jugement n'ôte rien a la verite d'un fait.

    Il a egalement rappele que, dès mai 1915, les puissances de l'Entente,
    et tout particulièrement la France, avait appele au jugement des
    criminels qui orchestraient l'extermination des Armeniens ; que le
    traite de Sèvres en 1920 prevoyait la mise en place d'une juridiction
    internationale a cet effet ; mais que les tractations ont finalement
    eu raison de ces procès internationaux qui n'eurent finalement jamais
    lieu, et que le Traite de Lausanne (1923) accorda finalement une
    amnistie generale.

    En conclusion, maître Torossian a souligne que ce que vise la loi
    Boyer, c'est la contestation " outrancière ", donc l'intention de
    nuire et la mauvaise foi. L'interrogation de l'historien implique,
    elle, au contraire une responsabilite professionnelle, une demarche
    scientifique.

    Il a enfin illustre quelques troubles a l'ordre public recents a
    caractère negationniste, montrant la necessite d'une loi.

    Intervention de Ron Soffer : "le cas americain"

    Maître Soffer a principalement concentre son expose sur
    l'impossibilite absolue en droit americain de legiferer sur la liberte
    d'expression. Dans ce cadre, une loi penalisant le negationnisme est
    tout a fait impossible. En revanche, un jugement civil peut condamner
    a dommages et interets en reparation d'un prejudice, mais c'est une
    voie souvent difficile.

    Synthèse des debats par maître Stasi (a droite sur la photo, en
    discussion avec Ara Toranian et maître Henri Leclerc)

    Maître Stasi a souligne que le legislateur a aussi pour rôle de dire
    ce qui ne doit pas etre oublie, de poser des rappels pour se souvenir
    et reflechir.

    En ce sens, la loi Boyer, par les debats auxquels elle a donne lieu,
    a deja pleinement rempli cet objectif, car elle a permis de bien
    connaître l'histoire du genocide armenien, et meme d'une part meconnue
    de l'histoire et du rôle de la France a cette epoque.

    Selon Maître Stasi, par son universalite et par ses mentions claires
    de " l'outrance " et sa reference au code penal, la loi Boyer est
    irreprochable dans sa formulation. En effet, les faits historiques
    concernes sont averes, et la minimisation outrancière est celle qui
    revient a mettre en cause la realite du crime.

    S'appuyant sur le jugement de Bernard Lewis en 1995, il a souligne
    que le negationnisme est punissable car il ravive les douleurs.

    Il a egalement estime qu'empecher la promulgation d'une loi pour
    des motifs d'opportunite politique, diplomatique ou economique est
    intolerable : où s'arrete l'opportunisme politique et où commencent
    la complaisance, voire la complicite.

    Il a lui aussi estime que la recherche historique ne court pas de
    danger puisque seule l'outrance est visee.

    Par ailleurs, il a estime que s'en prendre a la loi Boyer, c'est ouvrir
    la porte a une remise en question de la loi Gayssot, et que c'est la
    l'objectif non avoue d'un certain nombre d'opposants a la loi Boyer.

    Nier la verite, c'est insulter les victimes et leurs descendants,
    et l'insulte vaut reparation, a-t-il conclu.

Working...
X